Deliveroo baisse les bras en Allemagne : un naufrage salutaire

Les livreurs ou les nouveaux esclaves du numérique

Allemagne/Royaume-Uni – Ce ne sont pas les craintes d’un Brexit dur qui ont incité le groupe britannique Deliveroo à mettre fin à ses activités en Allemagne, mais plutôt les méthodes de gestion douteuses qu’a tenté d’imposer cette société dans un pays sans passé esclavagiste. Distribuer à domicile des produits frais et des plats préparés sur un territoire où la majorité des femmes rechigne depuis longtemps à effectuer les tâches ménagères, apparaissait comme un pari gagné d’avance. C’est la raison pour laquelle la République Fédérale a été une des premières cibles du groupe qui s’est implanté prioritairement simultanément dans les cinq agglomérations, Hambourg, Berlin, Francfort sur le Main, Cologne et Munich, comptant le plus grand nombre de femmes actives et ce, avant de poursuivre son extension sur l’ensemble des villes de moyenne et grande importance . Mais, s’il n’y a rien à redire sur l’étude de marché effectuée par l’investisseur, en revanche, dès son arrivée, ses méthodes de gestion ont été sujettes à polémiques. Payés au rabais et au rendement, les coursiers étaient contraints de prendre de plus en plus de risques pour livrer en temps et en heure des produits élaborés à la dernière minute pour garantir leur fraîcheur. Frites croustillantes, salades composées joliment colorées, pizzas chaudes ou steaks fondants : les publicités alléchantes de Deliveroo n’ont pas manqué d’allécher le chaland et surtout de convaincre des restaurants qui ont très vite compris qu’en collaborant avec la plateforme, ils allaient considérablement réduire leurs propres charges en personnel.
Deliveroo est l’exemple même de la start up qui contribue à faire augmenter le nombre de chômeurs et celui des salariés précaires. Ce phénomène antisocial ne serait que moyennement dramatique s’il ne faisait pas des émules. Or c’est tout le contraire qui se produit dans ce genre de circonstances car, chaque fois qu’il est possible de rogner sur les salaires, le nombre de candidats ne manque plus à l’appel. Depuis plusieurs années, le marché de la livraison à domicile de plats cuisinés est devenu une véritable mode. Des labels sont nés et ont poussé presqu’aussi vite que les champignons livrés. Lieferheld (le héros livreur), Foodora ou Lieferando, pour ne citer que les plus connus, ont inondé le marché et inspiré publicitaires et marketeurs pour appâter des consommateurs ou plutôt des consommatrices qui rêvaient de nourrir leur famille sans avoir à laver les casseroles ou fréquenter les marchés bios de leur quartier. Comme l’Allemagne est encore un pays riche et toujours le plus peuplé d’Europe, il est évident qu’il est le mieux placé pour attirer tous les rapaces. Que certains perdent des plumes lors de l’envol n’est pas catastrophique en soi car la logique capitaliste autorise que derrière toute déclaration ce cessation de paiement se cache une possible fusion-acquisition. Dans ce contexte les plus forts ne sont ni britanniques, ni allemands mais hollandais et de l’autre côté du Rhin, c’est le groupe utrechtois Takeway.com qui a su habilement tirer les marrons du feu, en acquérant les trois marques citées ci-avant, mais aussi, cerise sur le gâteau, pizza.de. Face à un tel concurrent parvenu à quadriller le territoire dans ses moindres recoins, le fondateur de Deliveroo, William Shu (notre photo), même en proposant la recette inédite d’un rosbif à la sauce mentholée, n’avait aucune chance. Il a préféré faire profil bas et abandonner un marché qui s’est avéré beaucoup plus difficile à conquérir qu’espéré. En Allemagne, son groupe employait cent salariés fixes à temps complet et plus de 1.100 livreurs. Parmi ces derniers, aucun en touchera d’indemnités dignes de ce nom, car Shu a organisé sa filiale sans comité d’entreprise ce qui lui a permis de contourner le code du travail. Au mieux, les personnes concernées percevront l’équivalent d’un mois de salaire. La direction a eu toutefois l’honnêteté ou plus exactement le cynisme de déclarer qu’aucune indemnité ne sera inférieure à … 50 euros. Vous avez bien lu : cinquante euros ! kb & vjp

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