L’Allemagne toujours en quête de réunification

Allemagne/UE – Les Allemands vont commémorer dans quelques semaines le 30ième anniversaire de la Chute du Mur de Berlin mais pour leurs dirigeants ces festivités auront un goût amer, car les rêves consécutifs à la Levée du Rideau de Fer n’ont été que partiellement réalisés. Il faut en effet se faire à l’idée qu’une réelle et authentique réunification de l’Allemagne est encore à l’ordre du jour. Les calendriers électoraux font qu’il ne se passe d’année sans que ne se déroule une ou plusieurs élections régionales, programmées à des périodes différentes et qui permettent de mesurer la température politique et sociale du pays sur le terrain et non pas seulement par le truchement, souvent aléatoire, des instituts de sondages.
Des tests grandeur nature

C’est ainsi que depuis 2014, chaque année écoulée a permis aux électeurs de jeter un œil critique sur ceux qui les gouvernent et de constater que rien n’est plus incertain qu’une carrière politique. Ce contexte autorise aussi à certaines figures locales et régionales de s’affirmer à l’échelon fédéral mais aussi et surtout de tester des formes de coalition inédites car allant à contre-courant des idées reçues. C’est la raison pour laquelle, la République Fédérale d’Allemagne, en légitimant ce qu’ailleurs on qualifierait de saugrenu, demeure sinon un modèle du moins ce qui se fait de mieux en matière de démocratie. Chaque élection régionale peut devenir un exemple à suivre ou un écueil à éviter. Pour résumé, le chef ou la cheffe du gouvernement fédéral peut s’appuyer sur les expériences de un ou plusieurs lands avant de les imposer à l’ensemble du pays. Cette force du régionalisme que la France se refuse à admettre n’est pas toujours facile à assumer mais elle a un énorme avantage, celui qui consiste à rehausser le débat en permanence et à chacun de se poser la question au bon moment. Et tous les Allemands s’interrogent actuellement à savoir si le parti d’extrême-droite AfD (Alternative für Deutschland) va ou non poursuivre son ascension ? Aucun d’entre eux n’ose répondre catégoriquement car tous, depuis 2014, ils assistent à des scénarii tellement insolites qu’il aurait été franchement ridicule de les envisager. Qui aurait pu penser, il y a à peine une décennie, que les deux partis historiques allemands, en l’occurrence le parti démocrate-chrétien (CDU) et le parti social-démocrate (SPD) allaient perdre en un scrutin plus de 10% de leurs électeurs dans les trois lands les plus puissants de la République, la Bavière, le Bade-Wurtemberg et la Hesse ? Qui aurait pu prédire que le SPD réaliserait dans le premier d’entre eux son plus mauvais score depuis sa création en 1893 et que dans les deux autres il serait éliminé du jeu politique au profit des écologistes ?

L’AfD, premier parti de l’ex-RDA

Dietmar Woidke, ministre-président du Brandebourg, va devoir faire preuve de diplomatie pour se maintenir à son poste

En revanche, les Allemands, pour la majorité d’entre eux, n’ont pas été étonnés que l’AfD fasse une entrée fulgurante dans l’assemblée régionale de Saxe-Anhalt en ravissant d’un coup d’un seul 25 des 87 sièges. Dans ce land où se concentrent toutes les séquelles de l’ère soviétique mais aussi tous les paradoxes d’une économie trop libérale pour être tolérée par tous, le score de l’AfD n’a surpris que les naïfs croyant encore aux promesses venues d’en haut. A Magdebourg, capitale d’un land où on ne compte qu’une centaine d’habitants par kilomètre carré soit 2,5 fois moins que la moyenne nationale mais où le taux de chômage y est deux fois supérieur (9%), est hissé un drapeau aux couleurs de celui du Kenya, noir, rouge et verte et qui représente une coalition constituée en urgence pour éviter une irrésistible ascension des mouvements d’extrême-gauche et d’extrême-droite qui, avec un cumul de 41 sièges frisent la majorité absolue. A l’automne prochain auront lieu les élections dans trois lands de l’ex-RDA et toutes trois sont programmées avant les commémorations de la Chute du Mur de Berlin, le 1er septembre dans le Brandebourg et la Saxe, le 27 octobre en Thuringe. Du résultat de ces trois scrutins dépend l’avenir d’une Allemagne qui cherche encore à se réunifier. Dans ces trois territoires, l’AfD avait fait une entrée remarquée il y a cinq ans en réalisant des scores deux fois supérieurs aux 5% nécessaires à une présence dans les parlements régionaux. Si on se fie aux sondages effectués chaque semaine par les cinq principaux instituts, il ne serait pas étonnant de voir l’AfD doubler voire presque tripler ses performances de 2014, ce qui ferait d’elle avec 21, 26 et 20% dans le Brandebourg, la Saxe et la Thuringe, la première force politique devant la CDU (17%) dans le premier de ces lands, et la seconde dans la Saxe et le Thuringe où le parti d’Angle Merkel est crédité de 28 et 26%. Le risque est grand pour le SPD qu’il soit relégué à la quatrième place derrière la CDU, l’AfD et le mouvement de gauche Die Linke, voire à la cinquième dans le Brandenbourg où une percée des Verts, crédités de 17%, n’est pas à exclure. Si l’AfD parvenait à mobiliser plus du quart de l’électorat dans les trois lands, une hypothèse qui est tout sauf illusoire, on voit mal comment l’Allemagne pourrait encore longtemps barrer la route à une formation politique représentant plus d’un électeur sur quatre. Tous les regards et naturellement tous les commentaires et analyses vont se concentrer sur les résultats du Brandebourg qui, pour de multiples raisons, est à l’image du pays tout entier. C’est au cœur de ce land que se trouve la capitale et c’est dans ce land que vivent et payent leurs impôts des milliers de personnes travaillant à Berlin. Cette proximité lui a permis de voir son Produit Intérieur Brut augmenter de 278% entre 1991 et 2018, mais cette croissance due à la présence de mastodontes employant plus de 8.000 salariés (Bundesbahn, Siemens, Deutsche Telekom, Daimler Benz, BMW) et à l’attractivité de Berlin, devenue l’un des plus grands pôles du numérique en Europe, n’a pas contribué à adoucir le climat social dans un land qui est dirigé à l’heure actuelle par une coalition rouge-rouge, alliance du SPD avec Die Linke.
La crise migratoire : du « pain béni » !
Le Brandebourg pourrait devenir à partir du 2 septembre prochain un terrain d’expérimentation pour barrer coûte que coûte la route à l’AfD. En fonction des scores réalisés par les deux partis historiques CDU et SPD aux couleurs noire et rouge, quatre options sont possibles : une coalition SPD, Linke et Verts, une alliance CDU,SPD et Verts, une troisième très incertaine CDU, Verts et Linke et enfin une quatrième rassemblant la CDU et les Verts avec une troisième formation ayant passé le cap des 5% indispensables à l’entrée au parlement régional. En 2014, douze partis furent en lice dont huit ne parvinrent pas à mobiliser plus 2,7% des voix. Cette année, ils sont onze mais il est peu probable que l’un d’entre eux puisse se distinguer en atteignant le seuil obligatoire. A moins d’un miracle ou d’une surprise de dernière minute, on voit mal dans le contexte actuel comment une nouvelle formation pourrait avoir les moyens de jouer au trouble-fête. Le plus angoissé à l’heure actuelle est le ministre-président en fonction, Dietmar Woidke, un ingénieur agronome de 58 ans, dont les ambitions politiques n’ont jamais dépassé le cadre régional et qui s’est toujours battu pour que son land prospère au même rythme que le pays. Il sera le plus déçu si le parti au sein duquel il agit depuis plus d’un quart de siècle perd la face lors des prochaines élections. Il est par conséquent évident qu’une coalition CDU, SPD et Verts serait la mieux adaptée au contexte national car conforme à ce qui a des chances de se produire à l échelon fédéral après le départ de la Chancelière en 2021. Toutefois, si les Brandebourgeois venaient à s’exprimer comme ils l’ont fait aux élections européennes, ce trio ne parviendra pas à garantir une majorité solide à l’assemblée régionale. Arrivée en tête avec 19,9% des suffrages l’AfD a perturbé le jeu politique en devançant la CDU (18%), le SPD (17,2%) et les Verts (12,3% à égalité avec Die Linke). Le quadripartisme est devenu une tradition dans ce land où le parti libéral FDP, fondé au lendemain de la levée du Rideau de Fer, n’est jamais parvenu à s’imposer ce qui est un des paradoxes de la réunification à laquelle le patronat n’a pas participé à la hauteur des attentes. Si l’AfD a autant le vent en poupe dans l’ex-RDA, c’est en partie parce qu’aucun des grands groupes industriels d’Allemagne de l’Ouest n’a consenti à déplacer son siège à l’est, alors même que cette partie du territoire dispose de structures souvent plus modernes qu’à l’ouest. Ce sentiment d’avoir été colonisés plus qu’aidés, a été une aubaine pour l’AfD qui s’est rendue célèbre en s’élevant contre l’euro et qui, constatant que sa remise en cause de la monnaie unique ne passait plus, s’est repliée sur la crise migratoire, laquelle n’a été ni plus ni moins, selon les termes de l’un de ses cofondateurs, Alexander Gauland (notre photo), du « pain béni » ! kb & vjp

(1) Notre site a démarré, en septembre 2015, par la publication d’une série d’articles sur les lands de l’ex-RDA. Ces documents seront réactualisés à l’issue des prochaines élections, disponibles en format PDF et envoyés gratuitement aux adhérents de l’association ADEOCSE (Association pour un Dialogue Est-Ouest Culturel, Social et Economique), devenue propriétaire de notre site.

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