Une ville allemande vire à l’extrême-droite

Allemagne – C’est une première dont les Allemands auraient préféré se passer et qui est devenue une réalité à Pirna, une ville de 40.000 habitants située dans le land de Saxe au sud de Dresde et à proximité de la frontière tchèque. Les habitants de cette cité, qui porte un très lourd passé (*), ont en effet élu ce 17 décembre Tim Lochner, un sympathisant du parti d’extrême droite AfD à la tête de leur municipalité.

Tim Lochner, élu à la majorité relative mais élu tout de même !
Pour faire régner l’ordre, le nouveau maire pourra toujours compter sur son ami Max Schreiber.

C’est la première fois qu’un membre de cette formation parvient à conquérir une ville chargée de symboles dans le sens où elle illustre à elle-seule l’histoire de l’Allemagne depuis sa réunification, d’un pays en réalité toujours divisé idéologiquement en deux blocs, confiant et plus ou moins optimiste à l’ouest, déprimé et de plus en plus déçu à l’est. Trois candidats étaient en lice au second tour à Pirna, la chrétienne démocrate (CDU) Kathrin Dollinger-Knuth, porte-parole d’un pacte républicain multicolore réunissant le parti social-démocrate, les Verts et le parti de gauche Die Linke, le représentent du parti Freie Wähler (Electeurs Libres) Ralf Thiele et Tim Lochner qui se prétend officiellement sans étiquette mais qui ne manque jamais une occasion pour s’afficher auprès de membres de l’extrême-droite. Alice Weidel, la coprésidente du groupe AfD au Bundestag, a été, dès l’annonce des résultats, la première à féliciter le nouveau maire de Pirna ; lequel n’aurait jamais pu obtenir ce poste si Dollinger-Knuth était parvenue à convaincre Ralf Thiele de se retirer de la compétition. Une telle configuration électorale aurait été impossible dans le land voisin de Thuringe, où seuls les deux candidats arrivés en tête au premier tour sont autorisés à se présenter au second. Cette spécificité saxonne a permis à Tim Lochner d’obtenir une majorité relative et d’accéder au poste de premier édile. Agé de 53 ans, Tim Lochner, menuisier-ébéniste, est très connu à Pirna, où il a organisé des manifestations contre la vaccination et contre les migrants. Une de ses premières missions va consister à retirer le drapeau arc-en-ciel de la façade de la mairie, car la défense des droits de la communauté LGBT n’est pas sa tassé de thé. Parmi ses amis Facebookiens, se trouve Max Schreiber, un néo-nazi membre du mouvement Saxe Libre qui regroupe des nostalgiques du 3ième Reich et ce, dans une ville où ont été perpétrées les pires atrocités de ce régime (*). Le nouveau maire qui occupera officiellement cette fonction en février prochain a déjà annoncé la couleur en déclarant qu’il allait rencontrer personnellement tous les agents administratifs de la ville, soit quelque 250 personnes, pour « mesurer leur degré de loyauté. » !

Depuis un quart de siècle, Sebastian Reissing se bat contre la violence politique dans sa ville et vit à ce jour un véritable traumatisme.
Markus Lewe, pdt de l’A° des maires, assimile les élections de Pirna à une alerte qu’il serait dangereux de traiter à la légère.

Se méfier des eaux dormantes

Bien que prévisible, la victoire de Tim Lochner a provoqué un choc auprès d’une partie de la société civile, de celle qui se bat pour redorer le blason d’une ville dont les passés lointain et récent ont laissé des traces indélébiles. Ravagée par les bombardements à la fin de la seconde guerre mondiale, elle a été reconstruite en préfabriqués par les communistes. A plusieurs reprises, elle a été victime des caprices de l’Elbe et inondée. Pirna est tout sauf une ville attrayante et le risque est grand que le tournant politique qu’elle vient de prendre le rendre encore plus austère qu’elle ne l’est à l’heure actuelle. Parmi les personnes les plus déçues par le résultat des urnes, Sebastian Reissing occupe une place particulière car il voit vingt-cinq années de sa vie s’écrouler du jouir au lendemain. En 1997, le jeune Sebastian décida en effet de cofonder  Aktion Zivil Courage (AZC), une association destinée à lutter contre la propagande du parti néo-nazi NPD, lequel multipliait alors les exactions contre les étrangers mais aussi tous les représentants de mouvements démocratiques. Grâce à l’AZC, Pirna était parvenue à perdre son image de ville violente et devenir un cité plutôt conviviale. Bien que présente sur le terrain, l’AfD n’était représentée au conseil municipal que par cinq élus sur vingt-cinq. Le dernier scrutin a radicalement changé la donne, ce qui semble prouver qu’il faut toujours se méfier des eaux dormantes. Cela vaut pour Pirna mais aussi pour d’autres villes allemandes qui ne sont à l’abri d’un changement radical de majorité au profit de formations antidémocratiques. Le premier à s’inquiéter d’un potentiel bouleversement du paysage politique local est le président de l’association des maires, Markus Lewe, premier magistrat chrétien-démocrate de Munster. « Les citoyennes et les citoyens de Pirna ont décidé, c’est la démocratie mais le résultat nous inquiète beaucoup car il montre qu’une fissure traverse notre société en de nombreux endroits » a-t-il déclaré aussitôt les résultats connus. Selon Markus Lewe, « les maires doivent prendre en compte les personnes qui sont fatiguées par la crise et qui ne veulent ou ne peuvent plus suivre certaines discussions politiques. C’est à eux que nous devons prêter attention, ce sont eux que nous devons emmener dans les nombreux changements auxquels nous sommes confrontés mais nous n’y parviendrons pas avec des partis qui défendent des positions extrémistes, misent sur la division et attisent les craintes. » Il n’en demeure pas moins que ce genre de discours n’est pas nouveau et c’est peut-être parce qu’il est ressassé à chaque élection qu’il porte de moins en moins les fruits qu’on attend de lui. kb

Mémorial en hommage aux malades mentaux victimes de « l’hygiène raciale » prônée sous le 3ième Reich.

(*) En 1933, le parti national-socialiste arriva largement en tête à Pirna avec plus de 40% des voix et dès les résultats des livres furent brûlés sur les places publics avant que les autodafés se généralisent sur le territoire allemand et le quotidien Volkszeitung fut immédiatement interdit de parution. Cinq ans auparavant, le docteur Hermann Paul Nitsche avait été nommé directeur de l’hôpital de Pirna-Sonnenstein où des malades mentaux étaient censés être soignés. Partisan de « l‘hygiène raciale nationale-socialiste » prônée par Adolf Hitler, le Dr.Nitsche commença par procéder à des stérilisations forcées, des traitements thérapeutiques forcés et des rationnements alimentaires . En décembre 1939, l’établissement fut transformé en hôpital de réserve où fut mis en place l’Action T4 qui a consisté à euthanasier les malades mentaux en provenance d’autre hôpitaux psychiatriques. Entre juin 1940 et août 1941, plus 13.700 patients ont été gazés à Pirna à un rythme pouvant aller jusqu’à deux cents par jour. Au total plus de 70.000 personnes y ont perdu la vie. Tous les habitants de la ville se doutaient des drames qui se déroulaient dans l’enceinte de l’hôpital mais aucun n’est intervenu par peur des sanctions. Après la fin de la guerre, Pirna est devenu communiste mais comme le site de Sonnenstein a été réutilisé à des fins militaro-industrielles, ce chapitre comptant parmi les plus sombres de l’histoire allemande,  n’a pas été abordé voire carrément occulté de la mémoire collective. Il aura fallu attendre 1990 pour qu’un mémorial soit érigé en mémoire aux victimes. Malgré ces faits indiscutables, certaines personnes d’extrême-droite ont encore l’indécence de prétendre que les camps de concentration n’ont jamais existé !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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