Une icône de la musique Rom nous a quittés

République Tchèque – Pour les Britanniques, les Allemands et naturellement tous les Tchèques et Slovaques, elle était l’Ella Fitzgerald Rom et nous a quittés en toute discrétion la semaine dernière, trop tôt victime de ses addictions à l’alcool et au tabac. Née en 1954 à Rokycany dans l’ouest de la Bohème, Vera Bila fut sa vie durant la jazzwoman la plus admirée par tous ceux qui considèrent ce genre musical comme le plus fort symbole de la souffrance, du mépris et de l’intolérance.

 

Membre d’une  fratrie de cinq frères et sœurs, elle a vu le jour dans un monde de misère et chanté sa vie durant la détresse de tous les laissés-pour-compte de la société, les drogués, les prostituées, les pauvres parmi les plus pauvres, les alcooliques et tous ceux qu’aucun miracle ne peut sauver. Elle aurait pu mener une carrière  resplendissante et singulière grâce à sa laideur. Obèse, mal fringuée, édentée et à mille lieues du moindre canon de la beauté, Vera Bila n’avait que sa voix pour la sauver, elle le savait mais n’en a jamais profité. Découverte au début des  années 90 par la chanteuse de folk tchèque Zuzana Navarova, elle a très tôt eu  l’intelligence de mêler la musique tzigane d’Europe Centrale à la pop des années 60. Ainsi naquit Kale, un groupe hybride qui acquit très vite une renommée internationale grâce notamment à l’impulsion du producteur Jiri Smetana, propriétaire et programmateur à Paris du Gibus. Ce groupe, trop inclassable pour perdurer, connut ses heures de  gloire à l’Olympia à Paris, à l’Hollywood Bowl  à Los Angeles mais aussi sur de nombreuses autres scènes à travers le monde. Après que  le magazine les Inrockuptibles eut assisté à un de ses concerts, en 1997, le critique résuma son émotion et son admiration en écrivant « il faut avoir vécu de drôles de choses pour chanter de pareille façon, il faudra bien moins de déchirement pour savoir y goûter ». Son homologue pragois, Jiri Cerny, critique musical au sein de l’agence CTK l a rendu, la semaine dernière, à Vera Bila un vibrant hommage tout en regrettent qu’elle ait été confinée à la musique Rom alors que son talent transcendait tous les genres. Incomparable quant à son physique, Vera Bela le fut aussi  dans sa manière de chanter  et surtout sa façon de vivre. C’est parce qu’elle a annulé au dernier moment un concert attendu de longue date au Carnegie Hall, que son mentor Smetana a pris, à son grand désespoir, la décision de ne plus la programmer. Jiri Cerny est le premier à le regretter mais reconnaît qu’elle « avait devant elle une carrière formidable, toutes les qualités sauf une seule, mais terriblement importante : le goût du travail et la fiabilité». Celle qui aurait pu mener une carrière à la Django Reinhardt, est décédée dans le dénuement le plus total. Ne s’étant jamais remise de la mort à quelques mois d’intervalle, en 2013, de son mari et de son fils adoptif, elle a fermé les yeux quelques jours après Jen Bendig (notre photo)eut tenté de lui redonner espoir.   Elle apparaît brièvement sur le dernier clip de ce jeune chanteur Rom, dont on ne peut qu’espérer qu’il ne vive pas la même destin. ls (Version en français : pg5i)

 

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