Un virus pour ne pas oublier l’Histoire

République Tchèque/Allemagne/France/Norvège/Monde – Doit-on, au nom de l’urgence sanitaire, oublier l’Histoire ? Certains Tchèques ne le pensent pas et partent du principe qu’un virus, voulu par la nature, même s’il provoque la mort de milliers de personnes, ne peut occulter la disparition de millions d’individus, occasionnée par les hommes. Et parmi ces Tchèques , il y en a qu’il est difficile de contredire, car depuis 1967, ils font ce que tout le monde devrait faire, rendre hommage à tous ces innocents qui n’ont pas eu besoin d’un virus pour mourir, la barbarie de quelques dictateurs a suffi.

Il y a deux façons de lutter contre les génocides, soit on les dénoncent lors de commémorations par de beaux discours nous proclamant qu’il faut tout mettre en œuvre pour que de telles ignominies ne se reproduisent plus, soit on agit au quotidien pour ne jamais baisser la garde en partant du principe que les hommes sont toujours prêts à tout, au meilleur comme au pire. Mais ces Tchèques là, ils réfléchissent plus que les autres et considèrent que le combat contre l’horreur, pour être efficace, doit s’intégrer dans l’éducation, dès le plus jeune âge. Si nous avons choisi cette photo parmi des centaines d’autres pour démarrer cet article, c’est parce qu’il nous semble nécessaire, en période d’incertitude davantage qu’en toute autre, de ramener les populations à un minimum de réalisme. Que les parents, démunis face l’impatience de leurs bambins gâtés mais agités car frustrés par le confinement, prennent le temps d’expliquer à leur progéniture ce que des milliers d’enfants innocents ont vécu en période de guerre, la vraie, celle qui oblige des familles à rester confinées pendant des années dans un grenier, une cave, un faux-plafond voire un placard ou qui permet de légaliser la violence et le crime collectif, comme ce fut le cas à Lidice, un bourg effacé de la carte deux ans avant le massacre d’Oradour-sur-Glane.
Confinés dans un grenier ou un placard
A l’opposé des Français, les Tchèques n’ont pas préservé les ruines du village, conscients qu’un jour ou l’autre l’érosion risquait d’avoir raison du souvenir. Dés 1942, c’est-à-dire au lendemain de la destruction du village, décision fut prise par Sir Barnett Stross (notre photo), membre du Parlement britannique, amoureux des arts, mécène et fervent soutien au mouvement de Résistance tchécoslovaque Anthropoïd à Londres, de tout mettre en œuvre pour que Lidice puisse revivre sur ses cendres. Parce que deux officiers de ce mouvement, Josef Horak et Josef Stribrny, devenus membres de la Royal Air Force, étaient nés à Lidice, la gestapo décida de venger Reinhard Heydrich, décédé le 4 juin 1942 des suites d’un attentat perpétré à son encontre le 27 mai précédent. C’est en plein cœur de la guerre que Lidice est devenu un symbole, symbole d’une Résistance efficace qui a frappé un des plus proches collaborateurs d’Adolf Hitler, symbole du courage de l’Angleterre, le seul pays à avoir dit « non » en 1940 à la dictature national-socialiste mais symbole aussi d’un nouveau et cruel visage de la guerre qui consiste non seulement à prendre les populations civiles en otages mais à les assassiner collectivement avec un « raffinement » défiant toutes les lois de l’Humanité. Ce qu’ont vécu les habitants de Lidice en juin 1942, d’autres populations le vivront quelques semaines, mois et années plus tard dans les territoires occupés par l’Allemagne mais aussi par les soviétiques dans certaines Républiques annexées. Il arrive des moments dans l’Histoire où les actes de barbarie font plus d’émules que les actions de courage et de solidarité. Lidice n’est pas un village martyr comme les autres car l’occupant ne s’est pas contenté de le miner, de l’incendier et d’y massacrer sa population, il en a fait un miroir de sa théorie ségrégationniste.
La vengeance aux deux villages

Les premières victimes furent les 172 hommes de plus de 15 ans, abattus d’une balle dans la tête après avoir été rassemblés dans la cour de la ferme des Horvak. Les 195 femmes de tous âges ont été, quant à elles, transférées dans la bourgade voisine de Kladno, dotée d’un gymnase, où elles furent séparées de leurs enfants avant d’être déportées à Ravensbrück. Le 24 juin 1942, soit exactement vingt jours après le décès de Heydrich, le petit village de Lezaky, où une radio clandestine fut découverte par la Gestapo, connut le même sort. 34 hommes adultes furent fusillés sur le champ, les femmes dispersées dans des camps de concentration et les enfants transférés dans le camp polonais de Chelmno. C’est à cette époque qu’ont été utilisés les camions à gaz fabriqués par la société Magirus-Deutz pour accélérer l’extermination de la population juive. Singulièrement, cette entreprise, fondée en 1936, n’a pas disparu après la guerre, s’est alliée avec DAF, Volvo et Saviem, un quatuor qui a donné naissance au groupe IVECO. Lezaky n’a jamais été reconstruit et seul un musée-mémorial rappelle qu’il a, autrefois, existé. On l’aura compris, Lidice est beaucoup plus qu’un lieu de mémoire. Ce village recadre l’Histoire et prouve que toute guerre, à l’instar d’un virus, n’épargne personne, même pas un petit village de 503 âmes vivant dans 102 maisons. Un village aux quatorze fermes, un moulin, trois épiceries, trois auberges , deux boucheries et une église, à l’image de milliers d’autres. Un village banal, en quelque sorte, mais qui ne l’est plus lorsque la brutalité des hommes change la donne. On a le droit d’assimiler la lutte contre le Covid 19 à une guerre, mais il est des comparaisons dont il ne faut pas abuser car, quel que soit l’épilogue que va trouver la pandémie, quelles que soient les conséquences qu’elle aura sur la société, une chose est certaine, son bilan ne sera jamais aussi dramatique que l’a été celui des deux conflits du 20ième siècle.
Enfants gazés : la pire des ignominies
Ce message, il est plus que jamais nécessaire de le transmettre aux jeunes générations comme le font les Tchèques et les Slovaques depuis 1967. Que des enfants meurent sous les éclats d’une bombe est inévitable, qu’ils soient brutalisés, torturés, puis assassinés et gazés dans un camion, est insupportable. Pour tenter de mettre fin à cette stratégie de la terreur dans la terreur guidée par le cynisme, la perversité et la haine, tous ceux qui n’ont jamais voulu oublier Lidice ont eu l’idée géniale de donner la parole aux enfants et de les laisser librement s’exprimer sur le monde des adultes auquel ils sont soumis. Depuis 1967, année de la disparition de Barnett Stross, ils sont plusieurs centaines à jeter leur regard en peignant, dessinant, photographiant ou en fabriquant des objets. Ils ont entre quatre et seize ans, observent le monde à leur façon et leurs œuvres les plus émouvantes sont exposées chaque année dans le cadre de l’IKKA (Internationale KinderKunstAusstellung / Exposition Internationale des Œuvres d’Enfants). Grâce aux héritiers spirituels de Barnett Stross, l’IKKA s’est internationalisée à partir de 1973 et élargie à quelque soixante-dix pays. Cette initiative est unique au monde. Sa 40ième édition 2020, a mobilisé plus de 15.000 écoliers et collégiens des cinq continents. Tous les pays d’Europe Centrale et Orientale y participent. Plus du tiers des œuvres proviennent de la République Tchèque (29,4%) et de Slovaquie (8,3%), mais la majorité provient depuis plus d’une décennie de l’étranger. Ce sont naturellement les pays les plus pauvres ou situés dans des zones à risques ou à tensions, que le nombre de participants est le plus élevé. Il en est ainsi par exemple des pays d’Europe Orientale, ceux du Caucase (Arménie, Géorgie et Azerbaïdjan), de Biélorussie et d’Ukraine (*) qui envoyé 1.512 œuvres, soit près de 10%. Plus de 90% des créations sont des peintures ou dessins. La situation économique des pays participants étant souvent dans un tel état de dégénérescence que leurs enfants ne peuvent bénéficier ni d’un appareil photo, ni d’une caméra vidéo. Les organisateurs de l’IKKA n’ont réceptionné cette année que 826 photographies et 67 vidéos, soit 5,8% du total. Chaque œuvre est le fruit d’une vision collective, ce qui conduit la manifestation à toucher indirectement plusieurs millions de jeunes gens et autant de familles à travers le monde. Avec Lidice, les Tchèques ont voulu faire un lieu de mémoire à la fois vivant et intemporel, un lieu où on réfléchit sur les causes et les conséquences d’une tragédie, sur le rôle de l’éducation, de l’art, de la culture et de la pédagogie comme remèdes aux plus pires des fléaux, ceux qui frappent sans prévenir, mais aussi ceux qui auraient pu être évités. Le sentiment le plus troublant, le plus dérangeant que l’on ressent à la sortie d’un camp de concentration sont ces stèles dont la longueur ne s’arrête jamais et sur lesquelles sont gravés les noms de toutes ces petites filles et ces petits garçons qui ont disparu là mais auraient pu nous sauver de certains les périls, s’ils avaient eu le droit de vivre. Vjp

(*) C’est un jeune Ukrainien de neuf ans qui a réalisé le tableau que nous publions et qui a obtenu le 1er prix

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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