Un musée créé par et pour ses visiteurs

Roumanie/Europe Centrale/Histoire – Alina Beteringhe et Ioana Bejan-Roata font partie de la génération « decretel » c’est-à-dire qu’elles sont nées après 1966, année au cours de laquelle Nicolae Ceaucescu avait fait adopter le décret 770 interdisant les avortements. Cette mesure destinée à lutter contre une baisse inquiétante de la natalité a eu l’effet inverse car il a augmenté de manière exponentielle le nombre d’interruptions de grossesse illégales. Le nombre de femmes décédées entre 1966 et 1972 lors d’interventions clandestines avait été estimé à l’issue de cette période à 10.000 mais chacun sait aujourd’hui qu’il était de cinq voire dix fois plus élevé. Bien que cet épisode de l’ère Ceaucescu fasse partie des moments les plus noirs qu’a vécus la population roumaine, les jeunes générations ont tendance à l’ignorer, comme ils oublient ce que leurs parents et grands-parents ont subi.

Situé en plein coeur de Brasov, l’hôtel 3 étoiles « Le Capitol » héberge le musée des objets oubliés de l’ère soviétique

Un « carrousel émotionnel »

Pourquoi y avait-il des bombes aérosols vides sur les tables de chevet de la plupart des chambres à coucher roumaines ? Pourquoi tout le monde avait-il une couverture au crochet sur son canapé ou un poisson en verre sur son téléviseur? A quoi pensent aujourd’hui les personnes âgées lorsqu’il leur arrive de patienter dans une longue file d’attente ? A toutes ces questions, Alina et Joana ont souhaité que leur progéniture puisse y répondre et c’est la raison pour laquelle, elles ont fait le pari de fonder un musée des souvenirs du communisme qui a été inauguré récemment dans la ville de Brasov, située en plein cœur de la Transylvanie, une des régions les plus touristiques du pays. Brasov, 7ième ville du pays en terme démographique, est réputée pour sa diversité ethnique incluant à côté des Roumains majoritaires, des communautés serbe, hongroise, allemande, juive et Rom, elles-mêmes pratiquant sept religions différentes (orthodoxe, catholique, luthérienne, réformée, juive, gréco-catholique et unitarienne), est de fait une des rares villes européennes à avoir pu conserver ses traditions dont les objets du quotidien demeurent les témoins. « Des millions de touristes viennent en Roumanie, se réjouissent les deux fondatrices du musée, mais beaucoup s’intéressent à d’autres aspects que Dracula ». A l’appellation pompeuse de «musée» qu’elles ne réfutent pas , elles préfèrent le terme de « carrousel émotionnel » c’est- à-dire un lieu où les visiteurs peuvent venir s’informer sur une période historique par le truchement de ceux qui l’ont vécue. Les deux femmes, cheffes d’entreprise à Brasov, sont parvenues à mobiliser quelque 200.000 euros pour faire aboutir leur projet. Pour être plus proche de leur public potentiel, elles ont eu l’intelligence d’installer leur musée au premier étage d’un hôtel, « Le Capitol » , peu avenant architecturalement parlant, mais idéalement situé et par conséquent très fréquenté en toute saison de l’année. Elles y occupent déjà un espace de plus de 250 mètres carrés dans lequel elles ont rassemblé les objets les plus emblématiques de l’ère soviétique. De l’objet le plus anodin à celui devenu rare parce que, plus fabriqué, il a été oublié, tout peut être exposé dans cet endroit insolite à condition que le donateur en explique l’histoire. C’est ainsi qu’en visitant le musée des souvenirs du communisme, on ne découvre ou ne redécouvre pas seulement des produits ou des marques qu’on croyait disparus à jamais, on se plonge dans l’atmosphère de ce passé constitué de privations et de frustrations.

Szenner Zoltan en entretien avec les deux fondatrices du musée. Tous trois font partie de la génération « decretel ».

Le rationnement de l’essence est évoqué par des plaques d’immatriculation avec un nombre pair ou impair qui permettaient aux voitures de rouler un dimanche sur deux. Chaque objet exposé a sa propre histoire car, à quelques exceptions près, il a été acheté dans des conditions particulières en fonction de l’environnement social de son acquéreur et de leurs modestes moyens de subsistance. Lorsque les habitants de Brasov et de sa région ont eu vent de l’initiative d’Alina et de Ioana, beaucoup leur ont envoyé vieux téléphones, vêtements, photographies, cassette audio, jouets, transistors, sèche-cheveux, sèche-mains, tambours ou couvercles de machines à laver Albalux ou Cugir, les seules marques d’électro-ménagers alors présentes sur le marché. La plupart de ces personnes ; n’avaient pas souhaité s’en séparer au cas où ? «Nous voulons que le musée soit une expérience différente, nouvelle » insiste Alina qui aspire à créer une « excitation de cette époque. » avant de poursuivre « nous ne voulons en aucun cas que les nouvelles générations vivent les expériences du communisme mais qu’elles les comprennent. Nous voulons montrer un autre côté de l’histoire, un côté humain, qui n’est, hélas, pas suffisamment évoqué dans les écoles.» Mais si les deux « conservatrices » de ce musée insolite sont parvenues à leur fin, c’est parce qu’elles ont eu l’oreille attentive du vice-président du conseil départemental de Brasov, Szenner Zoltan, lui aussi un élu de cette génération « decretel » qui a encore beaucoup de souvenirs de la période communiste. « Ces choses du passé de notre pays, déclare-t-il, ce sont surtout des histoires de famille qui doivent être connues afin qu’elles ne soient plus autorisées. De temps en temps, ceux qui ont vécu à cette époque devraient se souvenir et il serait bon que les enfants d’aujourd’hui sachent comment nous et nos parents avons vécu.» (Source : adz/Elise Wilk – Adaptation en français : pg5i/vjp)

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