Un Hongrois à l’origine d’un gin haut de gamme

Hongrie – Lorsqu’en 2018, le Hongrois Balint Damosy a eu l’idée de lancer  pour la première fois dans son pays une marque de gin, il ne s’imaginait pas qu’il pût deux ans plus tard obtenir la médaille d’or des Gin Masters, décernée chaque année par le revue britannique spécialisée The Spirits Business. C’est la première fois qu’une distillerie d’Europe Centrale et Orientale est récompensée pour un produit dont on croit à tort qu’il est typiquement anglo-saxon. Une raison suffisante pour que l’hebdomadaire Budapester Zeitung lui consacre un long article sur de nombreux points passionnant, ce qui nous a incité à l’adapter en français. A une époque où l’ambiance est à la déprime, s’enivrer avec un peu de lecture à consommer sans modération  ne peut faire de mal.

Ce n’est pas parce que la reine d’Angleterre impute sa longévité et sa lucidité à son petit verre de gin qu’elle avoue consommer tous les jours, que le gin est à l’origine anglais. C’est en devenant roi d’Angleterre en 1689, que le prince hollandais Guillaume d’Orange-Nassau, importa cet alcool à base de genièvre (genever) dont on prétendait qu’il était le meilleur moyen de lutter contre la malaria d’où son succès dans les armées coloniales avant qu’il ne se popularise dans toutes les couches de la société civile. Dès le début du 18ième siècle se multiplièrent des distilleries plus ou moins clandestines auxquelles il fallut mettre un terme pour éviter l’ivresse de tous les sujets du royaume, hommes et femmes confondus. Les gouvernants de l’époque entreprirent alors ce qui se pratique toujours c’est-à-dire imposèrent des restrictions et des contrôles de fabrication. Car le gin, à l’instar des liqueurs monastiques, n’est pas un alcool comme les autres, le genièvre est certes son composant de base mais il serait imbuvable s’il n’était fabriqué qu’avec cette baie dont les vertus digestives sont reconnues depuis des siècles. De tous les alcools dits forts, le gin est l’un de ceux qui associent le plus grand nombre de plantes aromatiques.  Il n’y a pas une mais des dizaines voire des centaines de façons du fabriquer du gin en fonction du dosage des divers éléments le constituant.

Un gin avec pavot et lavande

S’il est aisé de parler d’une eau-de-vie de poires, de prunes ou de mirabelles, en revanche il est plus difficile d’en faire de même avec le genièvre qui n’apparaît même pas en effigie sur la plupart des étiquettes. Mais contrairement aux boissons et liqueurs fabriqués par les moines qui, toutes, sont élaborées à partir de méthodes ancestrales qu’ils gardent secrètes, les fabricants de gin sont autorisés à toutes les libertés et c’est la raison pour laquelle il en existe mille et une variétés, plus de 4.000 selon l’évaluation de Balint Damosy. A la question de savoir pourquoi il a pris le risque de se lancer dans une telle aventure, le fondateur d’Opera Gin, amateur de vins devant l’éternel apporte une réponse pour le moins surprenante. Ayant assisté à plusieurs formations organisées en Hongrie, Autriche et Italie à l’attention de sommeliers et d’œnologues par le Wine and Spirit Education Trust, une école fondée en 1969 à Londres, Balint Damosy s’est aperçu qu’une fois  les cours, séminaires et conférences terminés, les participants se retrouvaient  non pas devant un verre de vin mais généralement devant un gin tonic, le cocktail qui s’est popularisé au début des années 1990 à tel point qu’il est très vite devenu une tradition dans la plupart des lieux de rencontres, discothèques et bars de nuit notamment. Le gin ne se boit que rarement pur et ses plus grands amateurs ne l’apprécient qu’assorti d’une boisson gazeuse lui permettant de libérer ses arômes. Balint Damosy s’est alors pris de passion pour le gin, en a étudié l’histoire de ses origines à nos jours et s’est interrogé à savoir pourquoi il n’était jamais venu à l’idée des Hongrois d’en fabriquer alors que leurs forêts regorgent de genévriers. Budapest s’est imposée d’emblée comme le lieu le mieux approprié car la capitale est située non loin du parc national Kiskunsag (nos photos) où s’épanouit l’arbre utilisé depuis l’Antiquité pour fabriquer l’huile de cade. Mais comme la matière première ne suffit pas à garantir la qualité et surtout l’originalité du spiritueux, Balin Damosy a dû s’atteler à la conception de la recette en tenant compte des goûts appréciés par ses compatriotes, une condition essentielle étant donné qu’il savait d’emblée que sa production allait se limiter à une clientèle de proximité. Un des condiments les plus répandus dans les habitudes de consommation des Hongrois, est le pavot qu’il estimait indispensable d’intégrer à sa recette.

Une touche culturelle

L’Opera Gin serait, selon son inventeur, le seul a en contenir comme il est aussi le seul à avoir intégré une touche de lavande, une plante qui prolifère également dans le parc national, lui donnant un air provençal auquel on ne s’attend pas. Damosy est son équipe ont mis plusieurs mois pour trouver les dosages, à la goutte près, d’une douzaine d’ingrédients, plantes aromatiques, baies et racines confondues,  qui font de l’Opera Gin un produit haut de gamme. Mais c’est toutefois grâce à une nouvelle directive de l’Union Européenne, autorisant la distillation à de petits producteurs que Balin Damosy a pu mener à bien son projet. S’il avait été obligé de déposer quarante millions de forints (115.000 euros) de caution au fisc au lieu de deux à l’heure actuelle (5.720 euros), il aurait réfléchi à deux fois avant de tenter sa chance sur un marché très concurrentiel et de surplus soumis à de rigoureuses réglementations. La fabrication du gin n’est pas liée comme l’est celle de la bière, à une loi garantissant sa pureté (Reinheitsgebot) , mais elle doit respecter la législation européenne qui  classe le gin  dans la catégorie des alcools dépassant les 37,5° d’alcool. Pour la distillation, le fondateur a eu recours au savoir-faire de Hagyo Spirit, une société hongroise très réputée dans la conception d’appareils à distiller des eau-de-vie, qui est parvenue à fabriquer un modèle hybride adapté aux contraintes de production qui ne doivent pas dénaturer les différents composants, dont l’anis, la mélisse, les écorces de pamplemousse et le pavot. Plus problématique s’est avéré l’apport de lavande dont « les émanations lors des premiers essais se sont répandues jusqu’à la station de métro » se souvient avec humour Balint Damosy qui a tenu à apporter une touche de culture au design des bouteilles de 70 et 50 centilitres et aux mignonnettes de 5 cl, qui sont bien parties pour devenir des objets de collection. Ayant vécu toute son enfance et son adolescence à proximité de l’Opéra de Budapest, il a utilisé le sphinx sculpté par Alajos Ströbl (notre photo) qui trône à l’entrée de l’édifice pour orner l’étiquette de couleur bleue, symbole d’évasion, d’infini et d’immortalité. Dans la distillerie, l’ouverture d’un bar privé sur réservation a été autorisée et c’est dans ce lieu intime qu’on peut savourer l’Opera Gin mais aussi d’autres marques car le fondateur part du principe qu’on ne peut pas se prétendre le meilleur si on ne supporte pas la comparaison avec ses concurrents. L’Opera Gin Hongrois s’adresse aux vrais amateurs de gin qui boivent peu mais boivent bien  et qui,  par conséquent,  n’hésitent pas à payer 12.900 forints, soit plus de 37 euros, pour une bouteille de 0,7 litre. A ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir un tel luxe, Balint Damosy leur donne un conseil. Lors d’une dégustation à l’aveugle, le gin qui se rapprocherait le plus du sien est celui commercialisé par Lidl ! (Source : Budapester Zeitung/ Katrin Holtz – Version française : pg5i/vjp)

 

 

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