Ukraine : un théoricien de renom revoit sa copie

Allemagne/Russie/Ukraine – Le quotidien allemand Die Welt a publié cette semaine une tribune de Martin van Creveld, professeur émérite à l’Université Hébraïque de Jérusalem et théoricien des conflits militaires, qui apporte un nouvel éclairage sur le conflit russo-ukrainien ; lequel a de grandes chances de trouver un épilogue au profit de Moscou.

Lorsque la Russie a pris de court tous les dirigeants et observateurs en annexant, le 22 février dernier, son voisin ukrainien, Martin van Creveld était convaincu que les Russes échoueraient dans leurs objectifs. Faisant référence à la plupart des conflits qui se sont déroulés depuis 1945, Martin van Creveld (notre photo) partait du principe que d’une manière générale les pays ou les régions annexés ont toujours raison à la longue de leurs agresseurs. Dans sa tribune, il cite la Malaisie face au Royaume-Uni, l’Algérie face à la France, le Vietnam face aux Etats-Unis et, naturellement, ce qui est davantage d’actualité de la Russie face à l’Afghanistan et la Tchétchénie. L’historien était d’autant plus sûr de son fait que l’Ukraine, en plus de sa capacité à réagir, recueillait l’empathie des Nations occidentales mais aussi et surtout des Républiques d’Europe Centrale, les premières à l’instar de la Pologne, de la République Tchèque, de la Slovaquie et de la Roumanie à manifester leur solidarité en ouvrant leurs frontières aux réfugié(e)s, dont une majorité de femmes accompagnées de leurs enfants. Mais il faut se rendre à l’évidence, la solidarité qu’elle soit matérielle par l’approvisionnement en armes et munitions ou médiatique par le diffusion sur tous les canaux (chaînes TV et réseaux sociaux) d’images-choc sur les sites bombardés , est une chose, la réalité en est une autre. Ou plus exactement les réalités comme les appréhende Martin van Creveld contraint de corriger sa copie.

La guerre  et les sanctions : une aubaine pour la Chine

Selon lui, ce qui distingue la guerre actuelle en Ukraine des conflits qui ont eu lieu au cours des 50 dernières années, provient du fait qu’elle n’est pas une guerre de guérilla mais « une guerre conventionnelle avec tank contre tank, canon conte canon, avion de combat contre avion de combat et sachant que pour une salve ukrainienne, il y en a dix russes, une telle stratégie ne peut en fait être que la recette de la défaite. » Van Creveld constate par ailleurs que la Russie, après avoir été défaite lors de sa tentative de prise de pouvoir à Kiev, a su habilement changé de tactique « en recourant à son arme traditionnellement la plus puissante, en l’occurrence l’artillerie. » Cette recette héritée de Staline l’a conduite à concentrer ses forces sur l’est ukrainien où elle a eu raison des poches de résistance.

Le troisième point qu’évoque le théoricien dans sa tribune concerne le ravitaillement en armes proposé par les occidentaux à l’Ukraine qui « tardent à arriver là où elles sont nécessaires. » Par ailleurs, dans le conflit actuel, la Russie a un avantage de taille car « elle se bat à ses portes sur un terrain qui lui est familier. Ce dernier est plat, faiblement peuplé et il se prête à l’engagement de l’armée de l’air et donc à ce type d’armement dans lequel elle détient une supériorité évidente.»

C’est quoi au juste une oligarque ?

Mais dans sa tribune, Martin van Creveld s’interroge longuement sur les conséquences des sanctions exercées à l’encontre de la Russie par les occidentaux qui n’auront probablement pas les effets escomptés car « un bref coup d’oeil macroéconomique montre que le Russie semble être bien plus résistante que ce que l’Occident attendait. Les réserves d’or grimpent en flèche, ce qui a permis à Poutine de lier sa monnaie à l’or. Le rouble, qui était au bord de l’effondrement après le début de la guerre , a atteint son plus haut niveau depuis sept ans par rapport au dollar et la tendance est à la hausse. Grâce à la baisse des importations et à l’énorme augmentation des prix de l’énergie, des denrées alimentaires et des matières premières à des pays comme la Chine et l’Inde, les caisses russes se remplissent et la Chine n’attend que d’en avoir fini avec le Covid pour acheter à son voisin russe les biens industriels dont elle a besoin et ce pour longtemps » synthétise Martin van Creveld qui jette un regard critique sur les deux côtés de l’Atlantique où « l’inflation n’a jamais été aussi élevée depuis 1980 et où le mécontentement des populations n’a jamais autant augmenté. » Si le conflit s’enlise et perdure « celles-ci exigeront une réduction de l’engagement de leur pays, voire sa fin, même si cela implique d’abandonner l’Ukraine et laisser Vladimir Poutine faire ce qu’il veut. » Martin van Creveld conclut sa tribune en éperonnant l’Europe qui « se targue depuis le siècle des Lumières, d’être une forteresse de liberté, d’Etat de droit et de justice », ce qu’elle  semble ne plus être. «Aujourd’hui, écrit-il, la confiscation publique et répétée des biens de soi-disant oligarques en fait réfléchir plus d’un. Tout d’abord, personne ne sait ce qu’est un oligarque. Ensuite, le fait que certains « oligarques » aient été plus ou moins en contact avec Poutine au fil des ans ne fait pas systématiquement d’eux des criminels . Enfin, à supposer qu’il s’agisse de criminels, on ne voit pas bien pourquoi on les a laissés tranquilles si longtemps et pourquoi on ne les a pris pour cible qu’après le déclenchement de la guerre. Se pourrait-il que l’Occident sape ici sa juste cause ? » (Source : Die Welt / Adaptation en français et intertitres : pg5i)

 

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