Russes et Biélorusses, amis pour toujours

Biélorussie/Russie/Europe Orientale/UE – Depuis le début des mouvements de rébellion en Biélorussie la plupart des médias occidentaux les assimile au prélude à une possible intervention de la Russie, comme si Minsk, aujourd’hui, était comparable à Budapest en 1956 ou à Prague en 1968. Certains médias sont par ailleurs tentés de faire le rapprochement avec l’Ukraine et l’annexion de la Crimée. Tous se trompent et devraient plutôt écouter celle qui est assurément la mieux placée pour porter un jugement objectif sur cette Révolution qui germe dans un pays qui n’a strictement rien à voir avec la Hongrie des années 50 et l’ex-Tchécoslovaquie des années  60.

Swetlana Tichanowskaja

Le fait que Swetlana Tichanowskaja, candidate malheureuse aux dernières élections présidentielles, émigrée en Lituanie au lendemain de sa défaite, programmée par la force par le président sortant Alexander Lukaschenko, ait accordé sa première interview au magazine russe RBC, n’est pas anodin. Dans ce long entretien, elle rappelle d’emblée qu’à l’instar des centaines de milliers de personnes qui l’ont suivie, elle n’est ni pro-russe, ni pro-occidentale. Elle n’est pas le symbole d’une nouvelle Guerre Froide mais la porte-parole d’une population qui n’aspire qu’à un seul et unique droit, celui de pouvoir élire librement une femme ou un homme qui ne reste plus au pouvoir en divisant la société. Elle insiste sur le sens de son engagement qui n’a jamais consisté à devenir une cheffe de l’opposition, une dissidente médiatisée encore moins la première Présidente d’un pays historiquement machiste dirigé depuis bientôt  trente ans par un même clan dont les membres agissent comme si la Perestroïka n’avait jamais existé.

A nos lecteurs

Si cet article vous plaît, nous nous en réjouissons, mais si vous pouvez le lire, c’est grâce à nos éditeurs partenaires qui nous cèdent gratuitement depuis bientôt cinq ans l’ensemble de leurs contenus afin qu’ensemble nous puissions construire une Europe plus juste et plus égalitaire dotée d’une presse indépendante éloignée des lobbies privés et des institutions publiques.

www.pg5i.eu est devenu la propriété de l’association ADEOCSE (Association pour un Dialogue Est-Ouest Culturel, Social et Economique / Prononcer : adéoxe) ; laquelle s’apprête à constituer un fonds de soutien à la presse indépendante d’Europe Centrale et Orientale dont 60% seront répartis entre nos éditeurs-partenaires, les 40% restants étant destinés à des événements que nous souhaitons organiser en collaboration étroite avec nos lecteurs.

Soutenir ADEOCSE, c’est avoir accès à près de 1.000 articles publiés depuis 2015, c’est découvrir l’Europe telle qu’elle est,   mais c’est aussi et surtout permettre à des journalistes de travailler librement avec moins de pression et quelques euros en plus pour vivre plus dignement.

Mais soutenir ADEOCSE et lire www.pg5i.eu, c’est aussi agir activement à l’édification d’une Europe plus grande, plus juste, sans préjugés et sans clichés.  

  Pour vos dons, cliquez ici

 

Vladimir Poutine : un homme « intelligent »

A la lecture de cet entretien, on constate par ailleurs que l’interviewée, occulte le  « je » au profit du « nous », comme si elle avait été mandatée pour s’exprimer au nom de toutes les composantes du peuple biélorusse. Derrière ce « nous », se cache un conseil de coordination qui regroupe à son image des personnes qui écartent toute forme de bellicisme pour privilégier le dialogue, un mot qui ponctue la quasi totalité de ses réponses et points de vue. « Naturellement, déclare-t-elle, nous aurions préféré que Vladimir Poutine, nous soutiennent plutôt que de soutenir Lukaschenko mais nous restons ouverts pour un dialogue avec les dirigeants de le Fédération de Russie. » A plusieurs reprises, elle évoque « l’intelligence » du président russe qui est le premier à reconnaître les « fantaisies » d’un homme isolé, en l’occurrence  Lukaschenko, lequel a, dans un premier temps, tenu responsable le Kremlin des mouvements de contestation pour en faire de même quelques semaines plus tard avec l’Union Européenne pour obtenir des fonds en provenance de Russie. Selon Swetlana Tichanowskaja, Vladimir Poutine n’est pas dupe de cet opportunisme et  de ces retournements de veste dont le président biélorusse est coutumier. « Quoiqu’il arrive, nous ne tournerons jamais le dos à la Russie parce que nous sommes des peuples amis et nous voulons le rester. » Les dirigeants de l’Union Européenne qu’elle a pu rencontrer au lendemain de sa défaite, sont des partenaires potentiels au même titre que tous ceux qui ont manifesté leur solidarité à l’égard des opposants au régime en place à Minsk. Parmi les propositions qui la séduisent , Swetlana Tichanowskaja cite le « plan Marschall pour la Biélorussie » suggéré par le premier-ministre polonais, à condition qu’il soit mis en place par des experts au fait des difficultés auxquelles le pays est confronté. Elle a par ailleurs profité de cette interview pour démentir une rumeur qui circule depuis plusieurs semaines et qui consiste à prétendre que le conseil de coordination serait partisan d’un retrait de la Biélorussie  de diverses organisations dont l’alliance militaire OVKS ou le groupe Eurasie (*).

Un président « illégitime »

Quant au crédit à hauteur de 1,5 milliard de dollars consenti par la Russie, ce sera au peuple de décider, après de nouvelles élections organisées démocratiquement, de décider s’il doit ou non être remboursé. « Le nouveau président aura été élu, légalement, pour pouvoir dialoguer et négocier avec tous les pays et non pas seulement avec la Russie, l’Ukraine ou n’importe quel autre territoire mais quoiqu’il en soit nous n’avons absolument rien contre la Russie. » Non sans une once d’humour noir,  Swetlana Tichanowskaja s’interroge en évoquant Lukaschenko : «  Que va-t-il faire de tout cet argent ? Acheter des gilets pare-balles ? Cela ne servira à rien, car nous manifestons pacifiquement et sans armes ! ».  On arrive là sur le point crucial qui différencie la Révolution biélorusse de toutes les autres rébellions vécues en Europe Centrale et Orientale depuis la fin de la seconde guerre mondiale, elle est la première à avoir été initiée par des femmes et on voit mal comment on pourrait recourir à des tanks pour abattre des mères de familles laissant derrière elles des milliers d’orphelins. Une telle initiative provoquerait un  tollé à l’échelon mondial et mis à part quelques pays dictatoriaux, on voit mal qui pourrait la cautionner. Vladimir Poutine est sans doute le premier à en avoir conscience. « En tant que dirigeant avisé, déclare Swetlana Tichanowskaja, Monsieur Poutine sait qu’il a en face de lui un homme qui n’est plus légitime et n’a plus la situation en main ». A la question de savoir, si Lukaschenko, une fois déchu, devra ou non bénéficier de l’immunité, elle demeure prudente. Elle se met naturellement à la place des personnes qui ont été victimes des répressions et demandent à juste titre que leurs auteurs soient jugés et condamnés mais elle demeure toutefois prudente à l’égard de cet esprit légitime de revanche qui divise de nouveau un pays plutôt que de le réunifier. « Si, à partir d’aujourd’hui, il n’y a plus aucune victime et si plus aucune goutte de sang ne coule, il sera encore possible de dialoguer » conclut-elle. Si cette interview est passée inaperçue en occident, en revanche dans les Républiques de la Fédération de Russie, elle a suscité de nombreuses réactions. Considérée par de nombreux médias comme « le fait diplomatique du jour », elle a hissé une femme totalement inconnue, il y a quelques mois à peine, parmi les personnalités les plus réalistes d’Europe Orientale mais peut-être de l’Europe toute entière. ei & tk  (Nombre de mots : 1.070)

(*) OVKS : Arménie, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizistan, Russie, Tadjikistan,

Eurasie : Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Kazakhstan, Russie et Turquie,   

 

error: Content is protected !!