Réforme des retraites : un mensonge d’Etat universel

France/Autriche/UE – Il n’est de débat plus universel que celui des retraites mais il n’est aussi de pays où il est aussi mal appréhender que la France. Tout se passe ici, comme si le monde et les sociétés étaient figés à jamais. Aussi réformateurs que prétendent l’être Emmanuel Macron et Edouard Philippe, preuve est faite qu’ils ne sont guère plus doués que leurs prédécesseurs.Des vieux pour l’avenir des jeunes

Jean-Paul Delevoye, un retraité très actif

La réforme des retraites est née de la volonté d’une équipe gouvernementale et de son chef qui sont partis du principe que leur victoire insolite aux Présidentielles allait leur permettre de faire tout et souvent n’importe quoi. Quelle prétention que de vouloir tirer un trait sur plus de quarante régimes spéciaux de retraite qui font de la France le pays le plus difficile à réformer. La réforme a été coordonnée par un homme, Jean-Paul Delevoye né en 1947 c’est-à-dire avant 1951, ce qui signifie qu’il devrait être pensionné depuis plus de 12 ans. Cet homme est l’incarnation de la politique à la française qui veut qu’on démarre pas trop vieux et petit, à 33 ans, dans un conseil départemental pour peu à peu gravir tous les échelons (maire, député, sénateur)  et finir à l’avant-sommet de la hiérarchie. La France en compte des dizaines de milliers de ces arrivistes qui profitent d’une présence pseudo-démocratique au Parlement pour permettre à 95% de la société à ne pas pouvoir faire ce qu’ils s’autorisent. Tous sont actifs bien au-delà de leur âge légal d’accès à la retraite, ce qui ne les empêche pas d’imposer à ceux qui les ont élus un arrêt forcé de leurs activités. On entend toujours crier dans la rue ceux qui se sont tellement ennuyés pendant 117 trimestres qu’ils veulent partir le plus vite possible, mais on n’écoute jamais ceux qui ont toute leur vie aimé leur travail au point de ne jamais vouloir l’abandonner. Réformer rationnellement les retraites, c’est d’abord commencer par demander à tout un chacun, quand, comment et dans quelles conditions il a envisagé de gouverner sa vie. Qui ne connaît pas dans son entourage des personnes qui rêvent de retraite mais qui se retrouvent complètement démunis quelques mois après le jour J est arrivé. Des études scientifiques prouvent que certaines maladies dont celle d’Alzheimer s’accélèrent lorsque les personnes qui en sont victimes sont contraintes de quitter leur milieu professionnel. Dans tous les pays européens on déplore un taux de suicide croissant chez les plus de 70 ans.

Trop jeune pour ne rien faire

Qu’a d’autre que le travail une personne pour faire son deuil lorsqu’elle perd à 60, 62 ou 64 ans sa conjointe ou son conjoint ? Sa famille ? Il y a de gros risques qu’elle l’ait oubliée ou qu’elle soit éparpillée ? Ses amis et ses voisins ? Il y a encore plus de risques qu’ils soient dans la même situation qu’elle ? Que lui reste-t-elle ? Des croisières si elle est fortunée, des après-midis entiers à regarder des émissions et des feuilletons stupides rediffusés x-fois sur le petit écran, quelques parties de belotte ou de pétanque dans une amicale  ou des missions dans une association qui permet aux collectivités territoriales de sous-traiter la précarité, de se dédouaner de toutes responsabilités pour mieux gaspiller les deniers publics et le produit des impôts locaux dans des projets qui ne sont ni prioritaires, ni d’une quelconque utilité.  Naturellement, M.Delevoye à l’instar de tous ses amis de l’Assemblée Nationale et surtout du Sénat n’est pas confronté à cette solitude, n’a pas à se promener « du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit », comme le chantait si justement Jacques Brel. M.Delevoye, en cumulant ses retraites et ses emplois, en se déplaçant des ministères aux secrétariats d’Etats, des conseils d’administrations d’associations aux conseils de surveillance de fondations, est loin d’être un pensionné comme les autres et à ce titre n’était pas le mieux placé pour réformer les retraites, car plus il vieillit, plus il travaille.

Les mamies et papis commentent et analysent

Et regardez-les, tous ces commentateurs qui portent leur jugement sur une réforme qui ne les concernera jamais. Ils sont parfois tellement âgés que ce qu’ils analysent risque d’échapper à leurs propres enfants. Eux aussi, ils cumulent leurs fonctions, apparaissent sur les plateaux de chaînes privées et de chaînes publiques, peu importe l’argent n’a pas d’odeur. Arlette Chabot, 68 ans, Franz-Olivier Giesbert, 70 ans, Alain Duhamel, 79 ans, Anne Sinclair, 71 ans, Christine Ockrent, 75 ans, Jean-Pierre Elkabbach, 82 ans, Jean-Jacques Bourdin, 70 ans, Laurent Cabrol, 72 ans, Pierre Lescure, 74 ans, etc., etc.  Tous cumulent ou ont cumulé leurs cachets, ce qu’ils ne manquent pas de reprocher aux hommes politiques qu’ils interviewent, tous se croient irremplaçables, tous vivent de ce qu’ils contestent,  tous bénéficient d’exonérations fiscales et pourtant tous se permettent de donner des leçons. La retraite est un sujet beaucoup trop sérieux pour n’être confié qu’à ces gens-là. Du mouvement des « gilets jaunes », le gouvernement semble n’avoir tiré aucune leçon et n’a toujours pas compris qu’une réforme doit être engagée par ceux qui doivent en profiter ou en subir les conséquences et non par ceux qui ne la verront jamais s’appliquer. Le Président de la République et son 1er ministre sont impardonnables car ils ont la chance de gouverner un pays à une époque où la jeunesse est plus responsable que tous ces vieux sages du Sénat. Ce sont les jeunes qui alertent contre les dérèglements climatiques, les injustices sociales et  les excès de l’ultralibéralisme. Les luttes ont changé de slogans. On ne crie plus « CRS – SS » mais « Un toit pour tous », « Un air pur pour nos enfants », «Un revenu décent à chacun». Dans certains domaines, les jeunes générations font preuve d’une maturité responsable et salutaire et il est évident qu’en votant pour de jeunes dirigeants elles s’attendaient à tout sauf à ce que ces derniers se comportent comme des nostalgiques de l’après mai 68, de cette période où tout était permis parce le pays était encore riche. Or, ce gouvernement qui se veut progressiste ne cesse de diriger le pays en s’appuyant sur des corps intermédiaires qui ne sont plus représentatifs de la société. Ni les collectivités territoriales en charge des politiques sociales, ni les syndicats toujours attachés  à des conventions collectives désuètes ne répondent aux attentes de ceux qui sont nés avec un siècle qui n’a plus rien à voir avec le précédent.

Une réforme plus réparatrice que salvatrice

Le gros problème qu’a la France lorsqu’elle s’engage sur des réformes, peu importent lesquelles,  c’est toujours pour réparer les erreurs de passé sans jamais pour se prévenir des dangers du futur, y compris lorsque ces derniers sont non seulement prévisibles mais irrémédiables.  Pour bien réformer un pays, il faut commencer par aller voir ce qui se passe dans les territoires qui sont autant concernés que la France par les problèmes à résoudre, dont celui des retraites est le plus emblématique. Ces territoires ils sont à nos portes, en Allemagne et en Autriche par exemple, où le vieillissement de la population et par conséquent la croissance du nombre de retraités ont été traités en parallèle à la politique migratoire. C’est ainsi qu’entre 2008 et 2018, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans est passé en RFA  de 16,8 à 17,88%, en 17,4 à 18,8% alors que sur la même période il progressait de 16,52 à 20,06% en France (Source : Eurostat). La France expulse actuellement des centaines de jeunes citoyens d’Europe Orientale, alors que l’Allemagne et la Pologne les accueillent pour les former puis les faire travailler afin qu’ils puissent remplir les caisses destinées à financer les retraites. Ces statistiques, ni la presse et naturellement encore moins les syndicats n’en parlent, car en France l’immigration, encouragée en période de croissance, est considérée comme un fléau en période de crise. L’Allemagne et l’Autriche tentent de compenser la baisse de la population active en recourant à une main d’œuvre étrangère, en élevant l’âge légal d’accès à la retraite mais aussi en facilitant le cumul emploi-retraite, qui est en France tellement complexe qu’il dissuade les retraités à y avoir recours pour bénéficier d’un complément de revenus.

de g.à d. : Klaudia Bachinger, Marin Mlecher et Carina Roth, cofondateurs de Wisr

Encourager les retraites actives

Les dernières données statistiques du ministère fédéral du travail, révèlent qu’en 2018, plus de 8% des retraités allemands se sont remis au travail après avoir atteint leur âge légal à la retraite, soit deux fois plus que 10 ans auparavant. En Autriche, une des plateformes d’offres et de demandes d’emplois les plus visitées est Wisr (prononcer : weiser) ouverte aux plus de 50 ans. Klaudia Bachinger, cofondatrice avec Carina Roth et Martin Melcher, a eu l’idée de créer cette start-up après que sa grand-mère a été contrainte, à 60 ans, de cesser ses activités professionnelles. A l’instar de ses collègues, elles aussi passionnées par leur métier, elle a plongé dans une profonde dépression et la jeune Klaudia s’est rapidement aperçue que sa mamie n’était pas une exception. Le sentiment de devenir bientôt inutile dans la société peut prendre un tournant dramatique pendant les très longs mois qui précèdent ce passage forcé à la « liberté » qui s’auréole de menace et d’appréhension car le futur jeune retraité prend conscience que les choses ne seront plus jamais comme avant. A la perte inévitable de revenus s’ajoute l’éventualité d’une maladie et c’est au moment où on oblige les personnes à ne plus pouvoir travailler, qu’elles sont les plus vulnérables. On nous rebat les oreilles avec le burn-out provoqué par le travail mais on ne nous parle jamais du désarroi et de la solitude de ceux qui ont aimé leur travail et qui ne s’imaginent pas la vie sans retrouver, chaque matin,  des collègues devenus amis et confidents. Klaudia, Carina et Martin n’ont pas créé leur start up pour s’enrichir en dormant mais pour que le potentiel de ceux dont on ne veut plus soit valorisé. Ce trio atypique place  l’évolution démographique sur le même pied d’égalité que le réchauffement climatique car les deux sujets ont une dimension universelle et planétaire. Avant de se lancer dans cette aventure atypique qui va à l’encontre du tout-jeunisme à tout prix, Klaudia Bachinger est allée voir au Japon et en Corée, comment ces deux pays se préparent à ce qu’ils seront demain. « La Corée est un cas extrême, explique-t-elle, car les Coréens cessent leur travail en moyenne à l’âge de 53 ans, leur niveau d’études est un des plus élevés au monde et comme chacun sait que plus on a de diplômes moins on a d’enfants, il arrive un moment où il faut revoir de fond en comble le système. Au Japon le contexte est différent car le marché du travail a longtemps été fermé aux femmes et l’est toujours aux travailleurs étrangers mais ce n’est parce que les environnements sociaux en  Asie et en Europe sont différents qu’il faut les occulter. » Le trio de Wisr s’est inspiré du Silver Human Resources Center japonais, une plateforme d’emplois pour séniors qui recense en permanence plus de 700.000 personnes de plus de 60 ans et, en moyenne, âgées de 74 ans. Si beaucoup d’entre elles se satisfont d’un emploi de guide dans les stations de métro et les centres commerciaux, d’aide à domicile ou de gardiennage, un nombre croissant est sollicité pour occuper des postes à forte valeur ajoutée. C’est le cas notamment chez Wisr où on s’est aperçu que les retraités étaient mieux à même d’exploiter les algorithmes et leurs applications car leur expérience professionnelle leur permet d’éviter des pièges dans lesquels ils ne seraient pas tombés si la technologie dont ils disposent aujourd’hui avait existé. On ne pourra jamais réformer rationnellement les retraites si on continue à tirer un trait sur des milliards d’heures de travail qui sont autant utiles aux jeunes générations que le sont tous les diplômes réunis. Prétendre qu’on va pouvoir en 2020 garantir des revenus en 2050 à des personnes qui ont aujourd’hui 30 ou 40 ans est ni plus, ni moins qu’un mensonge d’Etat car aucun dirigeant ne sait ce qui risque de se produire dans les deux ou trois années qui viennent. On l’a vu lors la crise financière en 2008 où tout a failli s’écrouler du jour au lendemain, on le constate tous les jours à l’heure actuelle avec le réchauffement climatique et la gestion de la crise migratoire. On constate qu’il est question, de partout en Europe, du financement des retraites et surtout des futures retraites mais on constate aussi que chacun se replie dans son égoïsme national. Faut-il rappeler aux dirigeants européens que depuis l’élargissement de l’Union Européenne aux dix Républiques d’Europe Centrale, en 2005 et 2017, des centaines de milliers de jeunes Polonais, de jeunes Roumains, de jeunes Bulgares, etc., etc. sont partis tenter leur chance en Allemagne, au Royaume-Uni, en Autriche ou, dans une moindre mesure,  dans d’autres pays occidentaux ?  Tous ces territoires d’accueil ont des régimes de retraite différents et tout laisse penser que les migrations au sein même de l’Europe ne vont cesser de prendre de l’importance. Ce n’est pas à Paris qu’il faut défiler pour protéger ou réformer un système, c’est à Bruxelles qu’il faut se battre pour que le Bulgare qui a travaillé 55 ans puisse percevoir une retraite représentant au moins le tiers de celle d’un Français ayant bossé 40 ans.  Vital-Joseph Philibert (Nombre de mots : 2.560)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

error: Content is protected !!