Pandémie : du casse-tête chinois aux casse-têtes européens

L’Institut Robert Koch, centre névralgique de lutte contre le coronavirus en Allemagne

UE/Europe Centrale/Europe Orientale – Les commissaires européens et les dirigeants de l’Union se congratulent mutuellement pour être parvenus à débloquer en quelques semaines 750 milliards d’euros pour relancer l’économie du Vieux Continent. On peut naturellement s’interroger à savoir comment ils ont pu mobiliser une telle somme alors que, quelques semaines avant la pandémie, ces mêmes personnes clamaient haut et fort qu’un déficit supérieur à 3% du PIB était impossible à gérer et rendait les prévisions budgétaires aléatoires. Une manne pour des besoins spécifiques
Si elles gèrent cette manne tombée du ciel comme elles ont administré le confinement et le déconfinement, le risque est grand que ce cadeau tombé du ciel soit empoisonné plutôt que comestible. Les membres de l’Union Européenne ont été désunis lorsqu’il s’est agi de coordonner les mesures de lutte contre le Covid 19. Certains, à l’instar de l’Allemagne, ont eu les moyens d’appréhender la crise car ils s’étaient constitués une trésor de guerre et n’avaient jamais considéré la santé comme un secteur « normal », c’est-à-dire soumis aux intransigeantes règles du libéralisme. Presque tous les autres membres historiques de l’Union Européenne dont la France et l’Italie ont été pris au dépourvu et vont devoir assumer les conséquences de trois décennies d’abandon du monde médical. Alors que les 750 milliards d’euros n’en sont à ce jour qu’au stade de la promesse, ils font déjà l’objet de tensions et de polémiques car tout laisse à penser qu’ils vont être alloués à des économies qui étaient déjà avant la pandémie dans une situation précaire. A quoi cela sert-il de vouloir sauver des canards boiteux comme Air France et la Lufthansa alors que chacun sait que, depuis des années, ces deux compagnies sont dans le rouge et que sept, huit, neuf ou dix milliards ne suffiront pas pour qu’elles se développent sur le long terme ? Coincés entre la révolte latente et prévisible du monde syndical et leurs promesses utopiques de lutte contre le réchauffement climatique les dirigeants cherchent à fusionner ces deux défis et nous faire croire que grâce à des véhicules et des avions moins polluants, ils pourront résoudre la crise et permettre aux sociétés civiles de revenir à peu près à la normale. Il est toujours délicat de faire parler les morts surtout lorsqu’il s’agit des figures de proue de la construction européenne mais il est évident que si le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer étaient encore parmi nous, ils tenteraient de résoudre la crise sanitaire de manière beaucoup plus rationnelle que ne le font les dirigeants actuels ? Les deux chefs d’Etat s’interrogeraient à savoir s’il est encore utile que deux compagnies aériennes surendettées continuent d’assurer des liaisons quotidiennes entre les métropoles européennes et s’il ne serait pas préférable de fusionner les deux marques pour mieux tenir tête à leurs rivales chinoise et américaine. Grâce à Airbus, les Européens fabriquent des avions en commun. Pourquoi ne parviennent-ils pas à en faire de même pour les faire voler ? Ils ne sont jamais parvenus à se partager l’espace aérien et grâce à la crise sanitaire, on déplore qu’ils n’ont jamais su non plus gérer l’espace terrestre et ce, dans le secteur le plus sensible, celui de la santé.

La santé : un espace sensible
Car tout de même que constate-t-on à l’issue de quatre mois de confinement, semi-confinement et déconfinement ? Premièrement, que chacun suit, à chaque étape, son bonhomme de chemin comme si les frontières existaient toujours, deuxièmement que les statistiques et leurs modes de calcul divergent d’un pays à l’autre et qu’elles ne sont plus très fiables lorsqu’elles émanent de pays limitrophes à l’instar de la Biélorussie, de l’Ukraine, des territoires du Caucase voire de la Russie, troisièmement que la proximité géographique, essentielle dans les échanges commerciaux et la cohésion des peuples, n’a plus de sens, ni sur la péninsule ibérique, ni en Scandinavie. Quelle tristesse que de voir des Suédois interdits de séjour chez leurs voisins danois. Les premiers devraient percevoir 4,7 milliards d’aides contre 2,2 milliards pour les seconds, soit comparativement aux nombres d’habitants 21% de plus. Pour la première fois depuis le Traité du Trianon signé il y a exactement cent ans, qui avait mis à terre des vaincus qui n’avait jamais provoqué de guerre, à l’instar des Hongrois, l’Europe récompense les perdants c’est-à-dire ceux qui ont considéré la santé comme une charge alors qu’elle est le premier facteur de prospérité. Les dirigeants qui se félicitent d’avoir su agir dans l’urgence vont très rapidement se rendre compte que leur fonds ne suffira même pas à éradiquer les inégalités perceptibles au sein même de l’Union. Depuis leur entrée dans l’Union Européenne, les Républiques d’Europe Centrale voient leurs personnels soignants qualifiés (médecins hospitaliers et généralistes, chirurgiens et dentistes) fuir en occident et ceux qui restent au pays sont contraints de composer avec l’obscurantisme qui y sévit. C’est le cas notamment de la Roumanie où, parallèlement au combat engagé contre le coronavirus, il faut mener celui contre d’autres maladies infectieuses qui se propagent parce que les campagnes de vaccination font défaut ou parce que les populations ne sont pas informées.

Une pandémie pour la reconnaissance des femmes
Le président de la République roumaine, Klaus Johannis (notre photo), a pris récemment son bâton de pèlerin pour rendre obligatoire l’éducation sexuelle dans les écoles. Un sujet tellement tabou qu’il se heurte à deux des principales composantes du pays, en l’occurrence le parti social-démocrate (PSD) et l’Eglise Orthodoxe. A peine proposé, le texte de loi a changé d’appellation et s’est transformé en « éducation à l’hygiène », terme générique qui englobe tout sauf l’essentiel c’est-à-dire la situation désespérée dans laquelle se trouvent chaque année des milliers de jeunes filles mineures qui donnent la vie avant même d’avoir fêté leur 15ième anniversaire. Les féministes occidentales n’ont pas tort de lutter contre le harcèlement mais elles devraient se battre encore davantage pour défendre les femmes de certains pays européens encore engluées dans un océan d’injustices, de pressions morales et religieuses et, pire, de discours qui assimilent les victimes à des coupables. Quelque mille nouveau-nés sont toujours abandonnés chaque année dans les maternités roumaines parce qu’ils sont le fruit d’un viol ou de l’ignorance de leur génitrice. En 2018, soit 11 ans après son intégration dans l’Union Européenne, sur les 18.000 adolescentes qui ont accouché, la plupart issues de milieux défavorisés, 800 avaient moins de 15 ans, 4.150 donnaient naissance à leur deuxième enfant, dont 650 à leur troisième. A quoi cela sert-il d’enseigner et d’imposer les valeurs européennes comme condition à l’adhésion, si une décennie plus tard les jeunes écolières Roumaines s’imaginent que les bébés nous arrivent sous l’aile des cigognes ? C’est cette image qu’a utilisée Adriana Radu pour lancer son association « Sexul versus Barza » (Sexe versus cigogne) destinée à éduquer non pas seulement les femmes concernées mais aussi l’ensemble de la population. Adriana Radu est l’exemple par excellence de ces femmes qui devraient jouer un rôle de premier plan à l’échelon national et européen pour améliorer les systèmes de santé et de prévention car il ne sert à rien de se prévenir du covid 19 si on continue à ignorer les ravages causés par des maladies infectieuses qu’il est possible de traiter ou d’éradiquer à l’instar du VIH ou de la syphilis. Adrian Radu connaît la France pour y avoir étudié à l’Université Lumière de Lyon, la langue et la littérature… allemandes, ce qui lui a permis de franchir le Rhin pour s’inscrire à l’Université de Médecine rattachée au Centre Hospitalier de la Charité à Berlin, centre névralgique de lutte contre le coronavirus. Elle mène depuis des années des actions de sensibilisation sur le rôle des femmes dans la société et ce qu’elle craint avec la pandémie ce n’est pas tant le nombre de décès qu’elle va provoquer mais le nombre de naissances qu’elle risque de générer car si le taux de natalité augmente en 2020 par rapport aux années précédentes, ce sera alors le résultat d’actes non consentis voire de viols impunis car légalisés. Toute crise apporte son lot de conséquences dramatiques mais toute crise est aussi le meilleur moyen de repenser les modèles de sociétés et de corriger les dérives et les manquements. Etant donné que ces dernières et derniers varient d’un pays à l’autre, le rôle de la Commission Européenne ne doit pas consister à arroser les territoires d’aides et de subventions mais d’imposer aux pays qui en sont bénéficiaires de les dédier aux correctifs qui s’imposent. De tous les avantages nés de la pandémie, et il y en a beaucoup plus qu’on ne le dit, le plus important est celui qui a permis de détecter les failles, quel que soit le pays concerné. Et là encore aucun pays n’en sort indemne, y compris l’Allemagne qui, bien que considérée comme la meilleure élève de l’Union s’est aperçue qu’elle était, elle aussi, dépendante de fournisseurs étrangers et qu’elle accusait un retard dans le domaine de la numérisation de ses systèmes de santé. De l’Albanie à l’Ukraine, il suffit de prendre un à un les pays d’Europe Occidentale, Centrale et Orientale pour détecter, grâce à la pandémie, les problèmes spécifiques et récurrents auxquels ils sont confrontés et résoudre en urgence celui qui est commun à tous, en l’occurrence les inégalités dont sont victimes les femmes dans la société contemporaine. Qu’elles soient roumaines, portugaises, françaises ou italiennes, les infirmières et aides-soignantes sont toujours sous-payées par rapport aux responsabilités qu’elles endossent ou aux horaires qui leur sont imposés. Il est certes louable de vouloir protéger des emplois mais il faut aussi savoir en créer là où on a réellement besoin. A ce niveau de réflexion, la pandémie n’est plus un fléau mais une chance inespérée pour rétablir un équilibre qui aurait dû être du ressort de la Commission Européenne mais qui ne l’a jamais été. L’instance bruxelloise a toujours laissé libres les Etats membres de gérer leurs propres systèmes de santé ce qui ne l’a pas empêché pour autant de les réprimander lorsqu’ils engageaient trop de moyens dans ce secteur

Des milliers de médecins manquant à l’appel
Beaucoup d’observateurs et encore plus de commentateurs, « experts » éphémères en infectiologie, se sont interrogés, à savoir pourquoi l’Allemagne a été la meilleure élève dans la gestion de cette crise sanitaire ? La réponse est dans la réalité des chiffres qui révèlent par exemple que la France à l’instar de l’Allemagne consacre 11% de son PIB à la santé mais qu’elle ne compte que 3.151 médecins par million d’habitants alors que son voisin en dénombre 4.223, soit 34% de plus. Qui dit plus de médecins, dit plus de personnels soignants et plus de structures adaptées à l’accueil des patients. Et, si la France a manqué de lits de réanimation, ce n’est pas par manque de moyens mais parce les fonds qui auraient dus être alloués aux soins l’ont été à un personnel administratif, inopérant et improductif, en période de crise. Entre 2015 et 2018, le nombre de médecins a augmenté en France de 2,5% à 211.162, alors qu’en RFA il grimpait de 3,86% à 351.195. Si on tient compte du fait que l’Espagne, la France et l’Italie sont les pays où on vit le plus longtemps en Europe (80 ans chez les hommes et plus de 85 chez les femmes), il est par conséquent tout à fait logique que le nombre de décès ait été plus élevé dans ces trois territoires qu’ailleurs. Pour que les quatre pays, l’Italie, l’Espagne, la France et le Royaume-Uni enregistrant le plus grand nombre de décès atteignent le niveau de l’Allemagne quant au nombre de médecins par habitants, ils devraient alors recruter respectivement 12.839, 18.839, 72.623 et 97.671 médecins, soit 201.963 au total *. Le seul pays à faire mieux que la RFA est l’Autriche qui ne compte pas moins de 5.117 médecins par million d’habitants, soit 62,4% de plus qu’en France. Les touristes qui souhaitent profiter du déconfinement pour aller s’échapper à l’étranger ont intérêt à préférer les alpes autrichiennes à la Côte d’Azur car ils ont la garantie en cas de contamination d’être mieux soignés et encadrés à Linz ou à Innsbruck qu’à Nice ou à Marseille. Quant au 750 milliards prévus, ils seraient très vite et rationnellement absorbés s’il venait tout simplement aux dirigeants européens la lumineuse idée de rattraper leur retard par rapport à l’Allemagne. vjp
(*) Source : Eurostat

 

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