Non coupables mais tous coresponsables

France/Allemagne/Monde – Nous avons regardé, ce samedi 19 avril, avec la plus grande attention l’émission « C’est dans l’air », diffusée sur France 5 et consacrée, bien entendu, au coronavirus. Il faut reconnaître que le thème, se résumant en une question, était alléchant : « Allemagne : pourquoi sont-ils meilleurs ? ». Sur le plateau se trouvaient le correspondant à Paris du quotidien « Süddeutsche Zeitung », Leo Klumm, une historienne, Héléne Miard-Delacroix et en duplex un économiste, Nicolas Bouzou ainsi que la correspondante d’Europe 1 à Berlin. Aussi intéressante qu’elle fut, cette émission mériterait un deuxième volet et une seconde question : « France : pourquoi sont-ils aussi mauvais ? ». La réponse est courte mais plus longue à expliquer : parce que depuis près de quatre décennies, la santé passe au second plan.

Pierre Mauroy, 1er chef de gouvernement de François Mitterrand et premier à débaptiser le ministère de la Santé

23 ministres des Affaires Sociales etc,etc,etc.
Ce qui n’a pas été, hélas, dit samedi dernier sur le petit écran, est cette réalité typiquement française qui a voulu qu’en trente neuf ans, vingt-trois ministres de la santé se soient succédé à la tête d’un ministère de la santé qui ne pouvait plus être efficace, car il a perdu son nom, La dernière ministre de la Santé, au sens gaullien du terme, a été Simone Veil qui a occupé ce poste pendant cinq ans, de 1974 à 1979 , une durée que seule Marisol Touraine est parvenue à égaler 33 ans plus tard, sous la présidence inactive de François Hollande. Entre celle qui a été « panthéonisée » récemment et celle qui a au moins la décence de ne plus apparaître sur les plateaux de télévision huit femmes, Nicole Questiaux, Elisabeth Hubert, Nicole Codaccioni, Martine Aubry, Elisabeth Guiguou, Marie-Josée Roig, Roselyne Bachelot et Agnès Buzin et dix-huit hommes Edmond Hervé, Jack Ralite, Pierre Bérégovoy, Philippe Séguin, Michel Delabarre, Claude Evin, Jean-Louis Bianco, René Teulade, Bernard Kouchner, Jacques Barrot, François Fillon, Jean-François Mattei, Jean-Louis Borloo, Philippe Douste-Blazy, Xavier Bertrand, Xavier Darcos, Eric Woerth et Olivier Véran ont eu la difficile et délicate mission de protéger la santé des Françaises et des Français, de tous âges et de toutes origines auxquels sont venues se greffer les populations étrangères. On constate d’emblée que la parité n’a jamais été respectée si ce n’est sous Nicolas Sarkozy dont le 1er ministre François Fillon est parvenu, au gré de multiples remaniements à faire jouer au ping-pong Roselyne Bachelot et Xavier Bertrand, qui ont respectivement occupé cette fonction sept et cinq fois à tour de rôle en cinq ans ! Rappelons que sur les huit femmes, deux « juppettes », Nicole Codaccioni et Elisabeth Hubert, ont fait un passage éclair à la rue Duquesne, moins connue du grand public que la rue de Valois ou le Quai d’Orsay. La première a eu la lucidité de se faire oublier et de se retirer de la vie publique, la seconde préférant, quinze ans après son départ du gouvernement Juppé 1, se rappeler au bon souvenir de Nicolas Sarkosy qui lui a confié, en 2010, « une concertation sur la médecine de proximité », une Xième étude dont les Français ont le secret.

50 Secrétaires d’Etat
Ces quelques exemples qui ne sont que le tout petit sommet d’un gigantesque iceberg prouvent à eux seuls à quel point le ministère de la santé est devenu une sorte d’APEL, agence pour l’emploi de luxe, pourvoyeuse de postes confiés à de personnalités courant d’air mais suffisamment influentes pour placer à vie pléthore d’agents de la fonction publique qui ne savent plus à quel saint se vouer, à quel ordre répondre et à quelle mission s’atteler. Le coup de semonce a été donné en 1983 lorsque le ministère de la santé, occupé par le communiste Jack Ralite , a disparu pour devenir un simple département du ministère de la Solidarité Nationale promis par le Programme Commun de la gauche. C’est à partir de cette année là qu’il est devenu un ministère fourre-tout avec des secrétariats d’Etat créés non pas forcément par nécessité mais pour répondre à une actualité et surtout placer des amis de longue date. A lire toutes les appellations du ministère de la Solidarité Nationale, devenu le ministère des Affaires Sociales et de la Solidarité Nationale, puis le ministère des Affaires Sociales et de l’Emploi, puis ministère de la Solidarité, de la Santé et de la Protection Sociale, puis ministère des affaires sociales et de la solidarité, puis ministère des affaires sociales et de l’intégration, puis ministère de la santé et l’action humanitaire, puis ministère de la santé, des affaires sociales et de la ville, puis ministère de la santé publique et de l’assurance maladie, puis ministère des affaires sociales et du travail, puis ministère de l’emploi et de la solidarité, puis ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées, puis ministère du travail, de l’emploi et la cohésion sociale, puis ministère de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, puis ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, puis ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, puis ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, puis ministère du travail, de la solidarité et de la fonction publique, oui en se rappelant toutes ces appellations on n’attrape pas seulement le tournis, mais on a envie de vomir. Car il ne faut pas oublier que derrière tous ces termes rébarbatifs, répétitifs et démagogiques se cachent des politiques contradictoires inspirées souvent par des lobbies qui se moquent de la santé pour tous comme de leur première chemise. En près de 30 ans, ont été nommés cinquante secrétaires d’Etat dont beaucoup sont tombés dans l’oubli. Certains, en revanche, ont vécu une ascension vertigineuse parfois multicolore, à l’instar de Bernard Kouchner, Ségolène Royal, Jean Arthuis, François Fillon, etc. sans oublier Gérard Larcher, symbole de l’opportunisme en politique. Soutien d’Edouard Balladur aux présidentielles de 1995, Jacques Chirac oublie cette incartade et accepte que son 1er ministre Jean-Pierre Raffarin le nomme en 2004, ministre délégué aux Relations du Travail ( !). Cette fonction, il l’exercera dans le gouvernement de Dominique de Villepin en tant que ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion des jeunes. Il est alors à deux ans de l’âge légal d’accès à la retraite. En 2008, en tant qu’ancien président de la Fédération Hospitalière de France, l’actuel président du Sénat préconise à Nicolas Sarkozy un regroupement drastique des hôpitaux publics afin de réduire leurs déficits chroniques. Ces derniers étaient alors évalués à 800 millions par an, soit à peine douze euros par habitant. Cette politique d’austérité proposée par celui qui préside aujourd’hui le Sénat, a été suggérée en parallèle à la crise financière qui a été en partie résolue en rognant sur le budget voué à la santé. Entre 2009 et 2010, celui-ci n’a augmenté que de 0,8% en France, soit 3,4 fois moins qu’en Allemagne (+ 2,7%). En 2017, la consommation de soins et de biens médicaux en France s’est élevée, selon l’INSEE, à 199 milliards d’euros alors qu’elle dépassait les 368 milliards en Allemagne, ce qui représente une différence de 30% par habitant.

Le France à l’heure zéro
Le lendemain de l’émission diffusée sur France 5, le chef de gouvernement, Edouard Philippe, et le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, ont tenu à dresser un premier bilan en direct à la télévision sur l’immense et extraordinaire travail qu’ils ont pu réaliser grâce à la conscience professionnelle des personnels soignants et aux structures de l’Etat mais ne semblent pas s’être rendus compte que l’inventaire des mesures qu’ils ont été amenés à prendre en urgence n’est ni plus, ni moins qu’une liste des manquements de leurs prédécesseurs. Que la seconde puissance économique européenne soit dans l’incapacité de fournir des masques, des gels, des blouses aux soignants et des respirateurs aux patients, qu’elle soit obligée de transférer des malades en Belgique, Suisse, Allemagne et Autriche pour diminuer le nombre de décès, en dit long sur le système de santé français, que les gouvernants s’évertuent à présenter comme l’un des meilleurs au monde. Quelle audace et quelle indécence que de proclamer de telles inepties alors que tout le monde va bientôt se rendre compte que la France, pour lutter efficacement contre le virus, va devoir commencer par se réformer en profondeur. La pandémie prouve une fois encore que le système centralisateur à la française ne fonctionne plus parce qu’il n’a pas su s’adapter à l’évolution de la société. Lorsque l’Allemagne a connu, en 1945, « l’heure zéro » (Nullstunde) qui l’a obligée à tirer un trait sur le passé, elle a eu tendance à imiter son voisin français dans le domaine culturel, stratégique pour redorer son image à l’étranger. Elle a créé la FilmForderungsAnstalt puis la Deutsche Export Union sur le modèle du CNC et d’Unifrance. Des milliers de villes allemandes de toutes tailles se sont jumelées avec des villes de l’Hexagone et en1969, le ministère de la Santé allemand est devenu le ministère de la Jeunesse, de la Famille et de la Santé. Mais très vite les autorités se sont aperçues que ce mélange des genres ne fonctionnait pas. Il y a en effet jeunesse et jeunesse, famille et famille en fonction des lieux où on naît, grandit, étudie et travaille. On ne peut gérer ces secteurs de la même façon à Hambourg qu’à Munich ou Stuttgart encore moins à Düsseldorf et Francfort, symboles du capitalisme à l’américaine, qu’à Berlin, sous la menace soviétique. En 1991, le ministère de la Jeunesse, de la Famille et de la Santé a retrouvé ses origines et celle ou celui qui en a la responsabilité n’est pas rémunéré pour « ségrégationer » la société en personnes handicapées, âgées, rapatriées, immigrées, travailleuses, chômeuses, etc. mais pour gérer un budget qui s’adresse à toutes. Ces spécificités sociales sont du ressort des lands car toutes sont conditionnées par un contexte de proximité. Si les Allemands sont meilleurs en temps de crise, c’est parce que les régions disposent de leurs propres ministères qui n’ont pas besoin de l’aval de Berlin pour agir.

Gestion de l’après-crise : éviter à tout prix les CAF
Une chose est déjà certaine : les Allemands gèreront mieux le déconfinement et l’après-crise que les Français, d’une part parce que tous les lands, y compris ceux de l’ex-RDA disposent d’un tissu industriel, d’autre part parce que ces mêmes lands ont suffisamment d’autonomie financière pour concrétiser leurs propres initiatives. Dimanche, Edouard Philippe a déclaré vouloir miser sur le couple préfets/maires alors que c’est le couple préfets/présidents de Conseils Départementaux qui va être à la manœuvre. En effet, ce ne sont pas les maires qui gèrent les minima sociaux, auxquels une part grandissante de la population va devoir recourir, mais les Caisses d’Allocations Familiales. Les pouvoirs publics vont devoir redoubler de vigilance en fonction de l’évolution du virus. S’il est éradiqué par un vaccin, les conséquences de la pandémie seront alors comparables à celles de toutes les autres maladies contagieuses, à l’instar de la rougeole, de la tuberculose, de la variole, de la poliomyélite ou d’Ebola. Mais s’il évolue à la manière du VIH, il va alors nécessiter un suivi médical à vie comme c’est le cas à l’heure actuelle et depuis plus de 20 ans chez les personnes victimes du sida. Tous les trois ou six mois, leur système immunitaire doit être contrôlé par des analyses sanguines et surveillé des médecins spécialisés dans les maladies infectieuses. Etant donné que le coronavirus risque de contaminer X-fois plus de personnes que le VIH (aucun scientifique n’ose s’avancer sur ce sujet), les structures existantes, au premier rang desquelles les CAF, ne seront pas en mesure de gérer cette situation. En auraient-elles la responsabilité, le risque serait alors grand que se renouvèlent les mêmes erreurs et les mêmes abus constatés avec les porteurs du VIH, qui sont considérés comme des bénéficiaires « normaux » de minima sociaux, ce qu’ils ne sont pas et ne seront jamais parce que les trithérapies maintiennent en vie sans pour autant permettre aux patients de vivre normalement. Beaucoup de porteurs du VIH sont tributaires des minima sociaux parce qu’ils n’ont pas d’autre choix. Ils ont souvent perdu leur travail, subi le rejet de leurs entourages professionnel et familial et souvent ils n’ont plus de domicile. Des centaines de personnes sous trithérapies vivent un enfer lorsqu’elles sortent de leur hospitalisation. Dans certains départements, à l’instar de celui de la Loire, aucun établissement n’existe pour les accueillir. En effet, bien que guéris en apparence, ils ont généralement besoin d’une longue période de convalescence ne serait-ce que pour s’habituer aux effets secondaires des trithérapies. Or, les CAF ne tiennent pas compte de ce contexte. Il arrive même qu’elles profitent de cette situation pour diligenter des contrôles plusieurs mois après les hospitalisations qu’elles occultent pour réclamer des trop perçus d’allocations. La CAF de la Loire de Saint-Etienne, ville-siège de l’Ecole Nationale Supérieure de la Sécurité Sociale, est connue pour ce genre de méthodes. En 2016, elle a réclamé plus de 22.000 euros de prestations sociales à deux personnes séropositives gravement malades en invoquant une communauté d’intérêts. Devant vivre par nécessité sous un même toit, une situation maritale leur a été arbitrairement attribuée. Le RSA de l’une d’entre elles a été saisi sans préavis pendant quatorze mois et il en a été de même pendant cinq mois de l’Allocation de Solidarité aux Personnes Agées perçue par la seconde. Tous les agents de la CAF et du Département ont cautionné ces méthodes mais aussi l’ancien chef de l’exécutif, un médecin devenu membre du Sénat, où il siège à la commission des Affaires Sociales ! Mais la CAF de la Loire n’est hélas pas une exception dans cette course effrénée et sans discernement aux indus qui consistent à assimiler des bénéficiaires de minima sociaux à des « fraudeurs » et c’est avec cette épée de Damoclès sur la tête que devront survivre des milliers de victimes du coronavirus s’il venait à se développer comme le VIH. Plus que jamais, la prudence s’impose dans la gestion de l’après-crise car on peut, au final, s’interroger, à savoir pourquoi on parle encore autant des EPADs alors qu’il y a dix-sept ans, ils étaient déjà au cœur de l’actualité à cause de la canicule. Entre 2003 et 2020, douze Secrétaires d’Etat ont occupé un poste auprès de sept 1er Ministres. Dans un pays bien dirigé, c’est dans les EPADs qu’on devrait enregistrer les plus bas taux de mortalité, or c’est tout l’inverse qui se produit. Vital-Joseph Philibert

error: Content is protected !!