Lettre ouverte à un Président de Région

Cher Monsieur l’ancien-maire du Puy en Velay, ancien député de le 1ère circonscription de la Haute-Loire, ancien secrétaire d’Etat auprès de 1er ministre François Fillon, ancien Ministre de l’Enseignement Supérieur et à la Recherche, ancien secrétaire général de l’UMP, ancien premier vice-président de la même UMP de plus en plus désunie, ancien président des Républicains et enfin, cher Monsieur Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes,

Si l’envie me vient de citer tous les postes que vous avez occupés au cours de votre trop longue carrière politique compte tenu de votre âge, c’est parce que la lettre que vous m’avez adressée le 13 novembre dernier et qui a atterri le 10 décembre dernier, soit presqu’un mois plus tard, dans les boîtes à lettres des Stéphanois, trahit votre méconnaissance totale de l’environnement social de la Préfecture de la Loire. Vous le méconnaissiez il y a exactement deux ans lorsque vous avez dénoncé des dérives communitaires dans les villes de Saint-Etienne et Firminy et vous ne le comprendrez jamais parce que vous ne portez pas en vous le même ADN que les Stéphanois et les Ligériens. Vous êtes l’héritier d’une riche famille d’industriels parachuté dans la France profonde, celle de la fourme d’Ambert ou d’Yssingeaux et des chipolatas qu’on appelle « godiveaux ». Les Stéphanois sont toujours très attachés à leur langage « gaga » mais ce n’est pas une raison suffisante pour les assimiler à des gâteux, comme vous le faites avec votre lettre à vos « Chères Stéphanoises, chers Stéphanois », pompeusement sur-titrée « Le Président », une fonction que vous rêvez d’exercer au sommet de l’Etat.
Personnellement, je suis un Stéphanois d’adoption. J’habite dans la Préfecture de la Loire depuis plus de 15 ans, j’ai dû quitter Berlin par nécessité familiale et pour venir en aide à mes parents et plus exactement à ma mère qui ne pouvait plus gérer, seule, la maladie d’Alzheimer dont son époux était victime. Et si j’ai dû revenir pour ne plus voir mon père attaché 24 heures sur 24 dans le lit d’un Hôpital Psychiatrique, c’est parce que les élus de votre belle région n’avaient pas prévu les effets dévastateurs que cette pathologie allait provoquer. A Berlin, je vivais heureux en partageant un appartement avec un ami journaliste, nous avions les mêmes clients, faisions des économies, partions chacun de notre côté pour effectuer des reportages dans les pays d’Europe Centrale et Orientale. Nous vivions bien, payions beaucoup d’impôts mais, vivant dans un pays socialement démocratique, j’étais autorisé à déduire de mes revenus une partie des milliers d’euros dont j’avais besoin pour pouvoir accompagner ma mère dans un hôpital sordide où mon père séjournait en compagnie de fous furieux, d’alcooliques et de drogués en cours de sevrage. Entre 2000 et 2004, j’ai dépensé des sommes qu’il ne me venait à l’idée de compter,  pour que ma mère, orpheline de mère à six ans, de père à treize ans, puisse encore croire en Dieu.
De sa maison à l’asile, nous traversions dans une voiture louée au prix fort à l’aéroport de Saint-Exupéry, une dizaine de villages et à chaque séjour, je découvrais un nouveau rond-point. Jamais, je n’ai autant maudit, détesté et haï les élus locaux qu’en ce début des années 2000, où je voyais des centaines de milliers d’euros investies dans des équipements généralement inutiles, alors qu’en même temps on laissait autant de familles dans le désarroi le plus absolu.
Pour revenir à votre lettre, Monsieur le Président de je ne sais plus quoi, si j’éprouve le besoin d’y répondre, c’est parce que son contenu s’inscrit dans la même logique cynique qui pousse les élus locaux à se vanter de ce qui se voit pour faire oublier ce qu’ils auraient dû faire. Saint-Etienne est à ce titre un extraordinaire terrain d’observation comme le prouve le contenu de votre prose dont les six paragraphes semblent avoir été inspirés par les deux nègres que sont le maire de la ville et son 1er adjoint,  respectivement président de Saint-Etienne Métropole et du Conseil Départemental de la Loire. Passons sur la langue de bois qui rappelle que « la Région n’est pas une collectivité éloignée des préoccupations du quotidien » pour s’enfoncer dans la réalité et profitons de l’occasion que vous me donnez pour vous faire tomber dans votre propre piège.
1er paragraphe : la rénovation du parc des expositions « afin de doter la ville d’un équipement à la hauteur de ce qu’elle mérite ». Pensez-vous réellement qu’une ville qui a perdu son patrimoine industriel et plus de 20% de sa population en trois décennies puisse trouver sa place face à la ville de Lyon qui prend, elle, toutes les mesures pour devenir une véritable capitale européenne ?
2ième et 3ième paragraphes : les opérations de rénovation urbaine. Vous citez six quartiers de la ville dont trois que je connais très bien pour y avoir vécu ou travaillé. Pour les lecteurs qui n’ont jamais mis les pieds à Saint-Etienne, Couriot et Tarentaise-Beaubrun sont des mini-Marrakech, mini-Alger ou mini-Tunis ou plus exactement les trois à la fois. Pendant plus d’un siècle, ils ont été habités par des mineurs étrangers et il est évident qu’à la fermeture des houillères, ils auraient dû s’inscrire parmi les priorités des édiles. Vous n’êtes pas sans savoir, M.le Président, qu’au cours des 30 dernières années, quatre maires se sont succédé à la tête de la municipalité dont trois, François Dubanchet, Michel Thiollière et Maurice Vincent ont passé plus de temps à la buvette du Sénat qu’à la cafétéria de leur mairie. Le premier cité, mort récemment à l’âge de 95 ans, a été suffisamment intelligent pour démissionner avant l’heure et laisser derrière lui une ville désindustrialisée, surendettée et en voie de dépeuplement. Le quartier Saint-Roch, le mini-Istanbul, a connu le même sort. Son artère principale porte le nom de la figure la plus emblématique de la ville en l’occurrence Antoine Durafour mais elle est devenue, dès le début des années 80, le symbole de la ghettoïsation de la ville. De l’ancien hôpital de la Charité au centre commercial de Centre Deux on dénombre quelque 150 pas de portes dont plus des deux tiers sont inoccupés depuis plus de 15 ans. Contrairement à ce que vous déclariez sur France Bleue, il y a deux ans, ces trois quartiers ne survivent que grâce à la présence des populations immigrées car tout a été fait pour qu’il en soit ainsi et si la ville est aussi fière d’être une capitale du football, c’est parce que ce sport est devenu le seul ciment de la société stéphanoise.
4ième paragraphe : vous faites là, Monsieur le Président, preuve d’un cynisme que les commerçants du centre-ville auront du mal à avaler. Saint-Etienne compte parmi les villes où le mouvement des « gilets jaunes » a été le plus suivi car, de ronds-points l’agglomération stéphanoise, ne manque pas. Les commerçants ont vécu 52 samedis couleur charbon dont une bonne dizaine très noirs. Votre région compte neuf villes de plus de 50.000 habitants et la seule ville de Saint-Etienne, en son cœur, plus de 5.000 commerces. Même si votre enveloppe régionale « exceptionnelle » de cinq millions leur était réservée, elle serait dérisoire car elle représenterait en moyenne à peine 20 euros par samedi et par commerce.
5ième paragraphe : alors là c’est le grand délire car assimiler votre action dans la gestion des établissements scolaires à un « plan Marshall », ce ne sont plus vos seules chevilles qui gonflent mais votre corps tout entier abstraction faite de votre cerveau. Pour avoir eu la chance de vivre plus de trente ans en Allemagne, je me sens mieux habilité que vous pour en parler. Le Plan Marshall, le vrai, est né de la volonté d’un vainqueur qui n’avait d’autre choix que de venir en aide à un vaincu et ses futurs consommateurs sans lesquels il n’aurait pu s’enrichir de nouveau et pour cette raison il s’adressait à toute la population. Le vôtre, en modèle très réduit, est, de fait, réducteur. Vous citez cinq lycées alors que la ville en dénombre quatorze et vous avez oublié que ce sont les écoles primaires et les collèges qui ont un besoin urgent de financement. Le rôle de la région n’est pas d’améliorer les équipements de cinq lycées situés dans des quartiers cossus, mais d’épauler des enseignants et des élèves qui sont confrontés à la mixité sociale.
Quant au 6ième paragraphe, il est un « fourre-z-y-tout ». Il démarre sur les chapeaux de roue avec « un soutien fort à l’Université Jean Monnet » (?) se poursuit par une nouvelle évocation du Parc des Expositions et du quartier Beaubrun (décidément deux obsessions !).
Singulièrement, vous avez occulté tous les sujets qui dérangent, le doublement de l’autoroute Lyon-Saint-Etienne pour lequel vous vous êtes battu et qui ne verra jamais le jour. Nous n’avez pas jugé nécessaire de mentionner une seule fois la Cité et la Biennale du Design, ces deux projets qui coûtent des dizaines de millions d’euros aux contribuables mais dont personne ne sait quel retour sur investissements ils garantissent.
C’est en « tant qu’habitant de Haute-Loire » que vous prétendez avoir « toujours entretenu des liens particuliers avec Saint-Etienne » et que vous estimez que cette ville « mérite toute mon attention ».
Je tiens à vous préciser Monsieur le Président que je n’ai pas attendu de recevoir votre lettre pour être attentionné à l’égard de tous ceux que vos amis du département ont oubliés.
Plutôt que de perdre votre temps à faire rédiger des lettres truffées d’omissions et de saupoudrer votre région de subventions, vous feriez mieux de contrôler les agissements de certains de vos amis qui n’hésitent à faire  appliquer leurs propres lois avant que les tribunaux aient rendu leurs jugements.
Savez-vous Monsieur le Président que l’exécutif du département de la Loire n’a aucun scrupule à laisser un bénéficiaire du RSA, gravement malade, pendant 14 mois sans un seul centime de revenus ou à saisir pendant cinq mois l’intégralité de l’Allocation de Solidarité aux Personnes Agées à un retraité ?

Je croise les doigts pour que vous renonciez à vos ambitions nationales.

Bien à vous

Vital-Joseph Philibert
Rédacteur en chef de www.pg5i.eu
Vice-président et fondateur de l’ association ADEOCSE

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