Les Verts allemands contraints de se plier au « système »

AllemagneArrivés au pouvoir en 2021, le parti écologiste allemand Die Grünen est parvenu à s’arroger les ministères les plus cruciaux du gouvernement dont ceux de l’Economie et des Affaires Etrangères attribués respectivement à Robert Habeck et Annalena Baerbock. Mais les circonstances ont contribué à ce que cette formation change radicalement de stratégie et de discours. Le magazine hongrois Budapester Zeitung (BZ) s’est interrogé sur les conséquences qu’une telle métamorphose pourrait avoir sur l’avenir de l’Allemagne et de l’Europe. Pour ce faire, il a interviewé une des personnalités la plus emblématique du mouvement des Verts en l’occurrence Rolf Stolz.

Rolf Stolz, né en 1949, a étudié la psychologie à Cologne et à Tübingen. C’est à cette époque qu’il a commencé sa carrière politique en tant que militant dans le mouvement étudiant de 68 et il a même été membre du parti communiste marxiste-léniniste pendant un certain temps. En 1980, il a été l’un des fondateurs des Verts et  fait partie du comité directeur fédéral de ce parti en 1980 et 1981. De 1990 à 1998, il s’est engagé en tant que vice-président du « Comité paix 2000 » pour la démilitarisation, le retrait des troupes toujours stationnées en Allemagne, le non-alignement et l’autodétermination. De 2003 à 2013, Stolz a été chroniqueur régulier de l’hebdomadaire Junge Freiheit. Il travaille aujourd’hui comme publiciste, écrivain et photographe et est toujours membre des Verts. Ses nombreux ouvrages de fond traitent de sujets sociopolitiques et artistiques. Parallèlement, il a également publié une série d’œuvres littéraires. Avec Rolf Stolz, la rédactrice Zsuzsa Urbán, s’est entretenue de la transformation de ce parti, d’un parti anti-guerre critique envers les Etats-Unis en un parti qui marche désormais droit dans ses bottes, en accord avec les directives transatlantiques.

Olf Stolz : il est toujours membre du parti des Verts, ce qui ne l’empêche pas de jeter un regard pour le moins critique sur cette formation.

« Le parti écologiste, un parti complètement vidé de sa substance ».

Sur quels points la politique actuelle des Verts est-elle en contradiction absolue avec les convictions politiques du parti fondateur ?

La contradiction élémentaire apparaît clairement si l’on considère la question de la guerre et de la paix. Les Verts ont commencé comme un parti pour la paix, où deux tendances se sont toujours rencontrées dès le début. Une direction qui considérait comme incontournable une armée fédérale limitée et orientée vers la paix, et une direction qui défendait un pacifisme radical et la non-violence. Malgré tout, il existait entre les deux parties un lien unificateur dans l’effort pour la paix. Et en Europe, la paix avec la Russie était au premier plan pour les deux tendances. A l’époque, cela concernait encore l’Union soviétique, puis la Fédération de Russie.

La deuxième rupture fondamentale est celle de l’attitude des Verts vis-à-vis du système politique en général. Petra Kelly (*) a qualifié les Verts de « parti anti-parti« , partant du constat évident qu’un certain lobbying s’est développé autour des partis dans l’après-guerre et que, de ce fait, l’influence des grandes puissances économiques sur les partis n’a cessé de croître. Cette distance critique vis-à-vis du système de partis établi a été totalement abandonnée et les Verts se sont quasiment insérés dans le système politique allemand comme un FDP vert (note pg5i : le FDP est le parti libéral et membre de la coalition tripartite actuelle avec le SPD et les Verts)

La rupture décisive suivante concerne la conception de l’organisation des relations entre l’homme, la nature et les ressources naturelles au sens le plus large. Il s’agit de la disparition des espèces, mais aussi de la question de la production d’énergie, qui a un impact massif sur la nature. Et là, on fait de plus en plus de concessions, ce qui a entre-temps conduit à ce que les Verts soient complètement vidés de leur substance en tant que parti écologique. Il existe encore une enveloppe extérieure et, à la base, de nombreuses personnes très engagées qui s’investissent par exemple pour la protection des animaux. Mais cela ne change rien au cours suivi d’en haut, au niveau du gouvernement fédéral et de différents gouvernements régionaux, et qui ne représente plus qu’une politique climatique dictée de l’extérieur.

« Nous avons assisté au sein du parti à une évolution qui rappelle les congrès soviétiques, où tout était également déterminé à l’avance. »

La dernière rupture décisive est celle avec le principe de la démocratie de base. Les choses sont désormais imposées de haut en bas chez les Verts. Il n’y a plus de véritables discussions internes sur la politique à suivre. Il n’y a plus que des directives venant d’en haut, parfois même de véritables dogmes. En matière de politique climatique, il n’y a pas eu de débat ouvert. Il aurait absolument dû avoir lieu en ce qui concerne le livre « Unerwünschte Wahrheiten »  (Vérités indésirables) (**) de Fritz Vahrenholt. Mais ce débat n’a pas eu lieu, au lieu de cela, le résultat était déjà fixé dès le départ. Entre-temps, nous avons assisté au sein du parti à une évolution qui rappelle les congrès soviétiques, où tout était également déterminé à l’avance.

Quel a été le moment décisif à partir duquel les Verts ont évolué différemment ? Y a-t-il eu des influences extérieures ?

Le Joschka Fischer, révolutionnaire
Le Joschka Fischer devenu ministre

Il y a bien sûr toute une série de facteurs qui se sont combinés. On peut dire brièvement que les Verts ont été combattus à leurs débuts par les autres partis de la même manière que l’AfD (note pg5i : parti d’extrême-droite) est combattue aujourd’hui – comme un adversaire politique malveillant qui doit disparaître et, si nécessaire, être anéanti. Les choses ont changé en 1985, lorsque le premier gouvernement rouge-vert a été formé dans le land de Hesse sous Holger Börner. C’est alors que Joschka Fischer est devenu ministre de l’Environnement. Le Joschka Fischer des années 1980 n’était plus le combattant de rue qu’il avait été dans les années 1970. Mais on peut supposer qu’avec le matériel dont disposaient les différentes agences gouvernementales et les services secrets sur le Fischer des années 1970, on disposait d’une excellente base pour un chantage politique, qui s’est finalement terminé par le fait qu’il s’est assis sur les genoux de la secrétaire d’État américaine Madeleine Albright en tant que ministre des Affaires étrangères allemand.

Il y a eu une évolution des Verts dans les années 1980, qui a conduit à des déclarations politiques très intelligentes, mais qui, par nature, ne pouvaient pas être mises en œuvre immédiatement. Parmi ces revendications figuraient par exemple en 1986 : « L’Allemagne hors de l’OTAN » et « Retrait de toutes les troupes étrangères d’Allemagne« .

D’autre part, l’idée totalement irréaliste qu’un socialisme démocratique autonome verrait le jour en RDA après novembre 1989 prévalait encore à l’époque. Il y avait des forces qui voulaient perpétuer la division de l’Allemagne. Mais il y avait aussi toujours une minorité, dont je faisais partie, qui s’engageait pour un non-alignement et pour un traité de paix. Tout cela a été jeté par-dessus bord.

À la fin des années 1980, la direction a changé et les soi-disant fondamentalistes ont été remplacés par une direction dite de realpolitik. Il est évident que certaines puissances ne se sont pas contentées d’observer, mais sont intervenues par le biais de leurs intermédiaires. Il est caractéristique que les Verts aient été le dernier parti, même après le PDS (notre pg5i : parti issu des rangs de l’ancien parti socialiste unifié de RDA), à se rendre à l’évidence en avril 1990 et à accepter la réunification en grinçant des dents.

Quelle est aujourd’hui l’influence du World Economic Forum (WEF) sur la politique des Verts ? Après tout, les ministres Habeck et Baerbock font explicitement partie des « Young global leaders » de cette organisation ?

Cela joue un grand rôle, ce sont des cercles très différents, mais qui sont aussi étroitement liés, du Bilderberg (***) au WEF. Et il faut dire ceci : Petra Kelly, avec laquelle j’étais personnellement ami, était une employée de la bureaucratie européenne. Elle était dans une certaine dépendance vis-à-vis de cet employeur, qui assurait tout d’abord sa subsistance, mais elle s’était battue au fil des ans pour acquérir une grande indépendance intérieure et extérieure, et personne n’a alors osé remettre en question ce qu’elle faisait. Même là où cela touchait aux considérations de pouvoir de certains cercles.

« Nous serions proches d’une révolution, si les verts étaient restés ce qu’ils ont été ».

D’un autre côté, plusieurs personnes importantes chez les Verts n’ont pas besoin d’un contrat de travail auprès d’un de ces soi-disant acteurs mondiaux. Et il n’est même pas nécessaire de faire passer de l’argent par-dessus ou par-dessous la table, mais il y a une conscience très claire derrière tout cela : si nous allons à contre-courant, nous sommes politiquement anéantis et perdons notre place. D’un autre côté, si nous applaudissons, notre carrière est encouragée de toutes parts et on accède aux plus hautes fonctions de l’État. Habeck et Baerbock l’ont tout à fait prouvé, et c’est aussi le remaniement qui a eu lieu ici en Allemagne. Nous serions proches d’une révolution si les verts étaient restés ce qu’ils ont été.

Aujourd’hui, la politique allemande a à peu près le même caractère que dans certaines dictatures sud-américaines, où le pouvoir passe des rouges aux bleus et des bleus aux rouges, et où ce sont simplement des groupes différents qui exercent ce pouvoir et se servent ensuite naturellement de manière autocratique pour leurs propres intérêts, mais où l’orientation politique de base ne change pas beaucoup.

On le voit aujourd’hui avec la grande crise énergétique, qui est en passe de devenir une crise économique. On le voit aussi avec la guerre en Ukraine, où une stricte neutralité aurait été nécessaire. Du point de vue des principes verts, cela n’aurait pu signifier que de rester en contact avec les deux parties et d’essayer de continuer à faire du commerce avec l’Ukraine comme avec la Russie et de procéder également à des échanges culturels. Mais en aucun cas de livrer des armes ou de diffuser des déclarations unilatérales. Et surtout, ne pas mettre en place une politique de sanctions. De telles sanctions ont toujours un caractère dévastateur, et quand on voit comment, dans le cas de la Syrie, ces sanctions sont dirigées contre la majeure partie de la population, notamment contre les chrétiens d’Orient, on ne peut que considérer une telle politique comme un crime. Cela vaut également pour la guerre actuelle en Europe.

Voyez-vous la possibilité d’un changement d’orientation politique au sein du parti ou au moins d’un changement à la base ?

Toute la situation est extrêmement bloquée. Il s’est produit une sorte de pétrification par la peur, qui apparaît lorsque les gens sont menacés avec un pistolet ou une mitraillette. Ils n’attaqueront pas la personne qui les menace à ce moment-là, mais ils ne s’enfuiront pas non plus pour ne pas être abattus par derrière, ils resteront immobiles, pétrifiés. Et c’est la situation de ceux qui, dans le parti, ne sont pas d’accord avec le cours actuel.

Car celui qui s’oppose au cours actuel est immédiatement diffamé comme « agent de Poutine » et comme « partisan d’un militarisme russe » – précisément par des gens qui sont eux-mêmes clairement bellicistes. C’est un terme qui n’était guère utilisé auparavant, car ce type de personnes se cachait plutôt quelque part. Mais aujourd’hui, nous avons des bellicistes déclarés dans une mesure qui nous rappelle le début des années 40.

Il y a un fanatisme énorme derrière tout cela. Quand on pense que de telles déclarations ont été faites, que la Russie doit absolument perdre cette guerre, que le système Poutine doit être détruit, etc. Et là, bien sûr, on voit entre-temps comment les médias très asociaux sont utilisés pour abattre les gens. Cela peut aller jusqu’à la vie professionnelle de chacun, cela peut aller jusqu’à des agressions. Nous avons entre-temps en Allemagne une sorte de « néo-anti-système », qui s’appelle de manière insensée « Antifa » et qui est extrêmement orienté vers la violence. Tous ces facteurs expliquent pourquoi beaucoup de choses restent souterraines, pourquoi les gens n’osent pas descendre dans la rue et pourquoi les gens ne comprennent pas qu’il ne s’agit plus de savoir quel parti on préfère ou on élit. Il s’agit de droits humains fondamentaux, de paix et de liberté. Chacun est invité soit à s’y opposer et à annoncer la couleur, soit à s’engager en faveur des choses positives mentionnées en faisant une déclaration claire.

(*) Petra Kelly, née en 1947, a quitté en 1971 le parti social-démocrate (SPD) pour créer le parti des Verts. Très connue pour ses interventions souvent dérangeantes en faveur de la paix dans le monde, elle l’a été aussi pour ses inquiétudes à l’égard de la dégradation de l’environnement. Elle a été retrouvée morte dans sa chambre en octobre 1992 aux côtés de son compagnon Gert Bastian, un ancien officier également membre des Verts, qui se serait suicidé après l’avoir assassinée. Cette double disparition a fait l’objet de nombreuses spéculations sur les causes du meurtre perpétré par Bastian. Bien qu’elle ait disparu depuis plus de trente ans, Petra Kelly demeure toujours une référence sur le plan politique mais aussi et surtout social.

(**) Dans cet ouvrage les deux auteurs Fritz Vahrenholt, chimiste devenu chef d’entreprise et Sebastian Lüning, géologue,  rétablissent une certain nombre de vérités et de réalités sur le climat. Ils abordent cinquante thèmes et ont effectué des recherches sur toutes les catastrophes naturelles qui ont eu lieu au cours des 150 dernières années. Ils en ont tiré la conclusion que la présentation simpliste des médias ne rend pas compte des relations complexes et qu’elle conduit à la peur et à l’insécurité. Il s’agit d’un ouvrage courageux contre un débat sur le climat surchauffé et l’activisme en matière de politique climatique.

(***) Le groupe Bildeberg a été créé en 1954 par des personnalités de la diplomatie, des affaires, de la politique et des médias afin de contrer la propagande soviétique et lutter contre l’anti-américanisme qui se propageait dans les années 1950. Il s’agit d’un cercle très fermé qui a souvent été suspecté de fomenter des complots.

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