Les Tchèques, divisés, signent l’après-Babis

République Tchèque/Europe Centrale – Mis à part le fait qu’ils sont entrés le même jour, le 26 octobre 2013, au Parlement, rien n’autorise la comparaison entre Andrej Babis, bientôt ancien Président du gouvernement tchèque et son successeur, Petr Fiala, 57 ans, de dix ans son cadet. Ce que personne n’aurait imaginé, il y a quelques semaines à peine, s’est avéré et l’opposition droite centre-droit, réunissant trois formations, le parti civique démocrate (ODS), le TOP 09, libéral et proeuropéen, et l’union chrétienne- démocrate (KDU-CSL), est parvenue de justesse à avoir raison d’un homme qui aurait pu être brillamment réélu, s’il n’avait pas été impliqué dans de troubles affaires de corruption dévoilées par les Pandora-Papers. Les Tchèques avaient pardonné au milliardaire Babis, dont on dit qu’il est l’homme le plus riche et le plus puissant du pays, quelques dossiers sensibles impliquant son groupe agroalimentaire Agrofert ainsi que l’utilisation douteuse de subventions européennes lors de l’édification de son complexe hôtelier « Le Nid de Cigognes ».

Andrej Babis en compagnie de son épouse lors de la victoire de son parti ANO en 2017

Un milliardaire contesté

Mais qu’un homme se prétendant intègre et au-dessus de tout soupçon ait été pris la main dans le sac lors de transactions ressemblant étrangement à des détournements de fonds gérées par des sociétés implantées dans des paradis fiscaux, a suffi pour le discréditer. Toutefois, le trois vainqueurs partis dans la bataille sous une étiquette commune SPOLU (Ensemble), sont restés modestes, conscients qu’il s’en est fallu de peu, pour qu’ils échouassent. Seules 36.000 voix ont fait la différence, ce qui tend à prouver que le mouvement ANO, fondé par A.Babis, en 2012, a encore de beaux jours devant lui. L’ancien président du gouvernement qui avait promis de se retirer de la vie politique en cas de défaite, a immédiatement annoncé qu’il siégerait au Parlement et certaines rumeurs, qu’il se garde bien de démentir, évoquent son ambition de se présenter aux présidentielles en 2023 mais peut-être avant, étant donné que le Président actuel, Milos Zeman, 77 ans, est gravement malade. Présentement hospitalisé en soins intensifs, aucun communiqué officiel sur son état de santé n’est publié, ce qui laisse supposer que même en cas de rétablissement il soit contraint de renoncer à ses fonctions.

Un opposant farouche

A peine les résultats confirmés, Andrej Babis a annoncé que son groupe s’apprêtait à devenir une force d’opposition qui est déjà assimilée par les observateurs à un défi permanent pour la nouvelle et fragile majorité gouvernementale. La principale leçon qu’il faut tirer du scrutin est le fait que les électeurs n’ont pas censuré le parti ANO, fondé par Babis, lequel obtient un nombre de voix presque égal à celui de l’opposition (27,2 contre 27,7%) , mais la coalition avec les sociaux-démocrates et les communistes que l’ancien chef du gouvernement avait été forcé de constituer pour gouverner. Ce qu’il faut prioritairement retenir de ces élections est la disparition de l’idéologie communiste au sein du parlement, et tout s’est passé comme si les Tchèques, en plébiscitant un universitaire, avaient voulu rendre hommage à un écrivain-dramaturge, nommé Vaclav Havel, dont le 85ième anniversaire de la naissance a été dignement commémoré une semaine avant les élections. Petr Fiala, qui incarne désormais l’opposition, pourra-t-il être l’héritier naturel du héros de la Révolution de Velours ? Peu probable car à l’âge qu’il a aujourd’hui, 57 ans, Vaclav Havel avait déjà derrière lui trois années de présidence de l’ex-Tchécoslovaquie, dix années de présence au sommet de la République Tchèque mais aussi cinq ans de séquestration derrière des barreaux de prison. Ce n’est pas en se référant à ses quatorze passés, en 2012-2013, à la tête du ministère de l’éducation, que Petr Fiala pourra jamais atteindre la voilure de son illustre prédécesseur.

Grâce au soutien de trois formations minoritaires, Petr Fiala, 57 ans, professeur d’université, est parvenu à détrôner le milliardaire Babis

L’après Babis

De tous les pays européens, la République Tchèque est le seul à avoir connu en l’espace d’un siècle autant d’ «avant-et-après» . L’avant-et-l’après Benes, l’avant-et-après Dubcek, l’avant-et-après Havel, l’avant-et-après scission de la Tchécoslovaquie et désormais l’avant-et-après Babis. A chaque épisode de son histoire, la République Tchèque a vécu des périodes d’incertitudes au cours desquelles rien n’était acquis d’avance. Le moment qu’elle vit actuellement est toutefois à cause de la crise sanitaire inédit. Il a été reproché à Andrej Babis une gestion chaotique de la pandémie, or force est de constater que le chef de gouvernement tchèque n’a commis ni plus, ni moins d’erreurs que la plupart de ses homologues étrangers. Babis, à l’instar de tous les dirigeants de la planète et de l’Union Européenne a été pris au dépourvu par un virus dont personne ne savait comment l’éradiquer. Pour revenir aux résultats des élections, Babis contrairement à ce qu’insinue la presse occidentale n’a pas subi un revers mais un échec en demi-teinte. Même ses adversaires sont obligés de reconnaître que leur victoire risque d’être illusoire car elle est malsaine. En effet, plus de 20% des électeurs ne seront pas représentés au Parlement parce leur parti n’a pas atteint le seuil des 5% de suffrages exprimés. Le politologue Jacques Rupnik, un ancien conseiller de Vaclav Havel qui devrait être le premier à se réjouir d’un après-Babis, demeure prudent car d’une part les forces populistes et d’extrême-droite se sont éparpillées mais n’ont pas pour autant disparues et d’autre part parce qu’une République ne peut être démocratique qu’en la présence d’une opposition réelle, ce qui n’est pas le cas actuellement à cause de la disparition des communistes et de l’affaiblissement des sociaux-démocrates dans le paysage politique. ls & vjp (Nombre de mots : 909)

 

 

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