Les Roms, premières victimes collatérales du conflit ukrainien

Ukraine/République Tchèque – Les médias tchèques ont signalé l’arrivée de plusieurs centaines de membres de la communauté Rom qui, après avoir temporairement trouvé refuge dans la gare centrale de Prague , ont été déplacés dans un espace spécialement aménagé situé en périphérie de la capitale.. A l’instar de tous les réfugiés quittant le territoire en guerre, il s’agit majoritairement de femmes et d’enfants qui ont été pris en charge à leur arrivé par l’Organisation d’aides aux Réfugiés, OPU, qui les aide à légaliser leur situation.

Des  réfugiés indésirables

Il leur faut plusieurs jours pour obtenir un visa temporaire mais lorsqu’il leur arrive d’en posséder un, cela ne change guère leur situation car il leur est impossible de trouver un logement, encore moins un travail. Compte tenu de l’urgence de la situation, la société de chemins de fer tchèque avait mis un train à leur disposition dans lequel 200 personnes pouvaient être hébergées. Jakub Chromy, qui a été chargé par l’OPU, de l’encadrement de cette communauté, s’inquiétait de voir affluer de plus en plus de Roms, dont la plupart d’entre eux étaient obligés d’errer et de mendier dans les rues de la capitale pour survivre. L’OPU n’ayant pas les moyens financiers suffisants pour les accueillir avec un minimum de dignité, le gouvernement a été contraint de prendre cette affaire au sérieux car l’association humanitaire était dans l’incapacité de préparer des plats chauds et seuls des sandwichs, des biscuits et des aliments pour bébés étaient disponibles. « Cette situation décourage les volontaires qui ne sont qu’une vingtaine à travailler le jour et seulement quatre la nuit » a confié Chromy à Radio Prague. La situation de cette communauté déjà difficile en temps de paix, devient très vite insoluble en temps de guerre, car d’une part ses membres ont dans la plupart des cas la double nationalité, généralement ukrainienne et hongroise et d’autre part parce qu’ils sont toujours victimes de préjugés et de clichés.

Il ne peut y avoir d’avenir sans enfants !

Historiquement exclus de la société

Le conflit qui oppose l’Ukraine à la Russie risque d’exacerber les problèmes auxquels elle est historiquement confrontée, car c’est dans les Carpates ukrainiennes qu’elle est la mieux représentée à défaut d’être la mieux organisée ou la mieux protégée. En Ukraine, comme ailleurs, les Roms vivent en vase clos et personne ne sait avec exactitude quel est leur nombre. Les dernières données à peu près fiables remontent à 2001, année au cours de laquelle 47.587 Roms avaient été recensés, un nombre beaucoup trop précis pour refléter la réalité. A ce jour on l’estime entre 120.000 et 400.000, une fourchette qui en dit long sur l’opacité qui caractérise cette communauté. Ce qui différencie les Roms d’Ukraine de ceux présents sur d’autre territoires provient du fait qu’ils ont pu et su mieux qu’ailleurs s’y sédentariser. Bien qu’ils aient payé un lourd tribut lors de la seconde guerre mondiale à la suite de déportations massives dans les camps de concentration, les survivants et ceux ayant échappé aux rafles et persécutions, ont été suffisamment habiles pour s’imposer et se regrouper tout en continuant à vivre en marge de la société. C’est en Ukraine que leur langue commune, le Romani, a pu le mieux s’imposer, bravant ainsi la diversité linguistique toujours de mise dans certaines régions frontalières. Il n’est pas rare que dans certaines villes ukrainiennes y soient pratiquées de trois à sept langues, l’ukrainien, le russe, le hongrois, le slovaque, le tchèque, le roumain, le polonais et dans une moindre mesure l’allemand. Mais où qu’ils soient implantés, les Roms d’Ukraine sont toujours ou souvent victimes de préjugés et stéréotypes. Selon Jewhenija Saposchnykowa, rédactrice sur la plate-forme ukrainer.net, « après avoir idéalisé leur vie de bohème, ces nomades qui chantent et dansent autour d’un feu de camp on ttoujours été considérées comme des personnes indésirables dont il faut se méfier.» Il suffit qu’une communauté de Roms s’installe sur un territoire pour que tous les délits qui s’y déroulent soient mis à leur compte, alors que souvent, ce sont les autochtones qui profitent de leur présence pour les commettre.

Le très émouvant mémorial an hommage à la communauté Rom

Partout maudits !

Lorsqu’on se penche sur l’histoire des Roms en Europe continentale, on s’aperçoit très vite que l’Ukraine a toujours été un des pays où ils se sentent le mieux car il est, de fait, une terre de minorités dans laquelle ils peuvent se fondre. Dans un nombre très importants de villes, généralement de taille moyenne, ils ont pu créer leurs propres quartiers, sans eau potable, sans électricité et sans égout mais peu importe le confort puisqu’ils se contentent de la vie que leur a offert Dieu. Les Roms vivent au jour le jour et ne pensent à l’avenir qu’en donnant naissance à des enfants, ce qui rend encore plus difficile leur recensement. Comme ils sont toujours rejetés par la majorité des populations auxquelles ils imposent leur présence, ils n’ont jamais été considérés comme des martyrs à part entière. La culture Rom existe mais elle n’est jamais reconnue comme elle mériterait de l’être. Quant à leur histoire, elle est toujours sujette à des interrogations. D’où viennent-ils ? Qui sont-ils réellement ? Quelles religions pratiquent-ils ? Comment sont nées exactement leurs traditions ? Que font-ils de si mal pour être autant rejetés ? Pourquoi ne sont-ils jamais reconnus comme d’authentiques victimes des régimes les plus autoritaires? En Biélorussie et en Russie, les rescapés de la seconde guerre mondiale ont été contraints de force à l’assimilation (*) et en Ukraine, il a fallu attendre 2004 pour que la Werchowna Rada, le parlement ukrainien, adopte une loi fixant un jour de commémoration, le 2 août, dédié aux victimes de la communauté Rom. Pour que celle-ci soit réellement respectée, un jour voué au souvenir, ne suffira pas, surtout en Ukraine où ses membres ont payé un lourd tribut souvent comparable voire supérieur, en nombre de victimes, à celui des Juifs. Il a fallu attendre 1995, pour que le génocide de la communauté Rom soit reconnu en Ukraine et pour qu’un premier mémorial soit érigé. Cette initiative fut prise à force de ténacité par l’architecte et sculpteur Anatoliy Ihnaschtschenko et l’association Romanipe. Mais la sculpture monumentale représentant une caravane fut rapidement déplacée et installée dans un quartier périphérique de Kiev et ce n’est qu’en 2016, à l’occasion du 75ième anniversaire du massacre perpétré à Babyn Jar qu’elle put rejoindre, après intervention du ministère de la Culture son emplacement initial. Le problème qui se pose avec la communauté Rom, et cela vaut pour tous les pays, y compris en occident, provient du fait que les lois adoptées par la pouvoir central, sont souvent entravées par les collectivités territoriales qui se croient autorisées à appliquer leur propre législation et beaucoup rechignent à l’idée d’ériger des mémoriaux en hommage aux Roms persécutés. Sur les 140 lieux où s’étaient sédentarisés les Roms avant la Seconde Guerre Mondiale avant de faire l’objet de persécutions massives, seuls onze sont dotés d’un monument ou d’une stèle leur rendant hommage. Lorsqu’ils disparaissent lors d’inondations, de tremblements de terre ou de toute autre catastrophe naturelle dont ils sont les premières victimes à cause de leur habitat de fortune, les Roms deviennent très vite des « citoyens inconnus . Pourquoi en serait-il autrement avec les guerres ? vjp

(*) Les soviétiques ont toujours reproché aux Roms leur esprit nomade et individuel contraire aux idéaux révolutionnaires. Pour les intégrer le plus rapidement possible dans la collectivité, il leur a été interdit de pratiquer leur propre langue, le Romani, ce qui les a détachés de leurs racines. Tout enfant se hasardant à parler romani était humilié et tondu devant ses camarades dans la cour de l’école.

Conseil de lecture

A toutes celles et tous ceux qui ne considèrent pas la communauté Rom comme un fardeau et qui aspirent à mieux la connaître avant de la juger voire la condamner, on ne saurait trop recommander la lecture du roman de Martin Smaus, paru en français en 2009 et toujours disponible aux Editions Syrtes. Dans cet ouvrage, traduit par Christine Laferrière, Smaus conte les aventures d’Andrejko Dunka, dont la famille a été persécutée par les nationaux-socialistes puis les soviétiques. Pris dans le tourment de l’Histoire, le jeune Anderjko devient, de force, un voleur hors pair, tout en étant victime de toutes les injustices qui le conduisent dans une maison de correction et en prison . Il entreprend tout pour s’adapter à la société qui l’entoure tout en cherchant à retrouver ses racines Selon la note de l’éditeur, « Petite, allume le feu… » est un éloge du sentiment de liberté, une célébration de la quête, à travers l’expérience de la découverte tout comme de la perte. C’est aussi un hymne d’amour au romani chiib, langue chargée d’émotion et de violence, émaillée de tout l’imaginaire des croyances populaires» . (Disponible sur : www.editions-syrtes.fr au prix de 22 euros)

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