Les profs hongrois persistent à défaut de signer

Hongrie/UE – Depuis plus plusieurs mois, il ne se passe de semaines sans que les enseignants hongrois ne descendent dans les rues pour dénoncer les conditions de travail d’un autre siècle auxquelles ils sont soumis. Ce samedi, ils étaient un nouvelle fois par milliers dans le centre de Budapest pour revendiquer l’abrogation d’une loi qui prévoit la suppression de leur statut d’agent de la fonction publique.

Périodiquement, le monde enseignant hongrois descend dans les rues pour dénoncer des conditions de travail d’un autre âge.

Un texte législatif qui fait déborder le vase et va à l’encontre des attentes des manifestants; lesquels demandent, au contraire, que tout soit mis en œuvre pour sauver et respecter la profession d’enseignant traitée depuis de nombreuses années comme la dernière roue du carrosse. La crise du monde éducatif hongrois frappe toutes les courroies du système, de la maternelle à l’université et plus particulièrement les écoles élémentaires, les collèges et les lycées qui, non seulement n’ont plus les moyens de recruter mais à l’inverse sont contraints de licencier, comme ce fut le cas récemment dans la capitale à l’école Karinthy Frigyes  pour six professeurs sous prétexte qu’ils en avaient appelé à la désobéissance civile, seul moyen selon eux d’éveiller les consciences. Le directeur de cet établissement a alors été forcé de le fermer, le nombre d’enseignants n’étant plus suffisant pour garantir son fonctionnement normal. Depuis le début des protestations, quelque dix mille enseignants ont été suspendus ce qui a provoqué à la chaîne des centaines de sit-in ou de manifestations organisés spontanément en signe de solidarité. Et naturellement, plus les conflits se multiplient et s’éternisent, plus s’allonge la liste des revendications et le moins qu’on puisse dire, est que sur les rives du Danube, elle ne manque pas de chapitres. Dans une pétition qu’ils ont adressée au gouvernement, les syndicats demandent, premièrement, qu’un dialogue public et transparent soit instauré afin que les médias publics puissent diffuser des informations correctes et conformes à la réalité, deuxièmement qu’il soit mis fin au discrédit et à l’intimidation dont les enseignants sont victimes, troisièmement que les enseignants licenciés soient immédiatement réintégrés, quatrièmement que l’éducation soit gérée de manière compétente et responsable par un ministre indépendant, cinquièmement qu’une formation de qualité soit assurée en fonction des besoins et des opportunités de la maternelle à l’université, sixièmement que les enseignants aient le choix des manuels scolaires dont ils estiment avoir besoin pour assurer l’enseignement. Mais parallèlement à ces revendications, le monde enseignant se bat prioritairement pour une revalorisation des salaires qui s’inscrivent parmi les plus bas de l’Union Européenne. En effet, pour prétendre à une rémunération comprise entre 520 et 560 euros, un enseignant doit avoir à son actif entre dix et quinze ans d’expérience. A partir du jour où il entre en activité et pendant la décennie qui suit, il doit se satisfaire d’un salaire ne dépassant que rarement les 360 euros. Ces rémunérations déjà dérisoires pendant la pandémie au cours de laquelle les enseignants ont multiplié leurs efforts pour garantir à distance leurs missions, le sont encore davantage aujourd’hui à cause de l’inflation.

« Au bord de la clochardisation »

Dans une lettre ouverte au ministre-président Viktor Orban qui a été rendue publique, un jeune professeur décrit son début de carrière. Bien qu’il ait effectué six années d’études, il ne perçoit que 395 euros desquels il doit déduire 296 euros pour le loyer et les charges locatives d’un appartement moisi de dix-sept mètres en sous-sol. Ce jeune homme est désespéré. Il ne lui reste que 98 euros par mois pour vivre. Il n’a pas pu investir, ne serait-ce qu’un euro, à Noël pour offrir un cadeau, il est dans l’incapacité d’économiser suffisamment d’argent pour remplacer son sèche-cheveux et il va sans dire qu’il ne peut pas se nourrir autrement qu’avec du riz et des nouilles. Quant au papier toilette, il avoue se servir à l’école car son salaire ne lui suffit pas pour s’en acheter. « En tant qu’enseignant, écrit-il, nous ne recevons aucune aide. Pas d’argent pour les vêtements, pas de prime de fin d’année, pas de cafétéria. Il n’y a pas de filet de sécurité sociale en dessous de moi et bien que je travaille corps et âme, je suis en équilibre au bord de la clochardisation ». Ce témoignage rappelle que tous les enseignants hongrois ou presque vivent à la limite de la précarité, une situation qui risque de perdurer car le gouvernement conditionne l’éventualité des augmentations salariales à l’obtention des fonds européens actuellement bloqués par la commission de Bruxelles, laquelle reproche à Budapest ses entorses à l’Etat de Droit. Las de promesses qui ne se concrétisent jamais, de plus en plus d’enseignants en activité ou potentiels, préfèrent s’orienter vers d’autres professions. Pour remédier au manque de personnel, ceux qui travaillent doivent assumer des heures de remplacement et il n’est pas rare qu’un professeur de mathématiques se transforme épisodiquement en professeur d’éducation physique, un professeur d’histoire en professeur de littérature. Le manque d’enseignants est de plus en plus flagrant dans le domaine des langues étrangères, ce qui risque d’avoir des conséquences dramatiques sur l’avenir professionnel des jeunes Hongrois. D’après la loi, le corps enseignant est tenu d’assurer un service minimum mais personne ne sait quelles disciplines sont concernées par cette obligation. En restant fermé au dialogue et en recourant aux forces de l’ordre pour repousser les manifestants désireux de marcher devant son siège, comme cela a été le cas ce week-end, le parti Fidesz au pouvoir marche sur des œufs et prend le risque de voir la société toute entière se mobiliser. Les enseignants ne sont en effet plus les seuls à descendre dans la rue. Ils ont été rejoints par les lycéens mais aussi des artistes et des acteurs. Il ne manquerait plus que les parents s’y mettent et se rallient aux mouvements de protestation, pour que la politique familiale dont Viktor Orban a fait son étendard, s’écroule. tp

 

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