Les Autrichiens plébiscitent leur jeune Chancelier

Autriche – Les résultats aux élections législatives autrichiennes sont sans appel et sans équivoque. Les 6,4 millions d’inscrits appelés aux urnes se sont comportés en femmes et hommes responsables et ne se sont pas laissés influencer par cette « valeur » européenne qui veut qu’on ne pardonne jamais à ceux qui pactisent avec l’extrême-droite. En 2017, lorsque le jeune porte-drapeau du parti conservateur ÖVP, Sebastian Kurz, avait décidé en tant que plus jeune Chancelier de la République de gouverner avec le parti populiste FPÖ (Freiheitliche Partei), il subit alors les critiques des modérés de son camp, des formations d’opposition au premier rang desquelles le SPÖ social-démocrate et, naturellement, des milieux politiques étrangers qui lui reprochèrent alors d’ouvrir ses portes au diable. Tous ses opposants reniés par les urnes, se mirent à rêver d’un rapide retour à Vienne lorsque le scandale de la vidéo d’Ibiza éclata. Sebastian Kurz fut alors contraint de démissionner et ses adversaires en profitèrent pour l’enterrer avant l’heure. Un gouvernement de transition et d’experts fut constitué, une Chancelière par intérim au dessus de tout soupçon nommée et la vie politique reprit son cours avec un gouvernement se concentrant sur les urgences et évitant tout sujet sensible susceptible d’entraver une campagne électorale prématurée.

L’inverse du scénario français

Le scandale Ibiza en Autriche a eu l’effet inverse de l’affaire Fillon en France, car il n’a pas détruit un parti  historique, au contraire il l’a renforcé. Les Autrichiens ont eu l’intelligence de ne pas faire d’amalgame entre coalition et complicité et toujours considéré leur chef de gouvernement comme le plus apte à les gouverner. De tous les dirigeants européens, Sebastian Kurz n’est pas seulement le plus jeune, 33 ans, mais il est aussi celui qui est le plus proche de son peuple. Issu d’un milieu modeste, élevé dans une banlieue cosmopolite, il sait de quoi il parle lorsqu’il se penche sur des sujets populaires. Sur le plan vie privé, il est plus proche d’Angela Merkel que d’Emmanuel Macron et il n’est jamais venu à l’idée de sa moitié de s’afficher tous les jours sur les pages d’accueil des réseaux sociaux. Les Autrichiens où qu’ils habitent dans l’une des neuf régions électorales du pays, s’identifient à leur Chancelier , quel que soit leur âge. Si Sebastian Kurz a su et pu rajeunir le « vieux » parti qu’est le parti du peuple ÖVP, c’est parce que les jeunes Autrichiens peuvent voter dès 16 ans, ce qui est normal puisqu’un grand nombre d’entre eux, en tant que stagiaires en entreprises ou apprentis, contribuent à la vie de la Nation ou, en tant que pré-étudiants ont leur mot à dire sur leur avenir.

Encore célibataire, et alors !

A l’instar de la Chancelière allemande, Sebastian Kurz se fait un devoir de protéger sa vie privée. Il est de notoriété publique qu’il est encore célibataire mais qu’il partage sa vie avec une amie d’adolescence, Suzanne Thier, Suzi pour les intimes, encore plus discrète que lui. Claudia Ströckl (photo ci-contre), célèbre animatrice d’un talkshow sur la chaîne Ö3, a beau faire tous les efforts possibles et imaginables sur son plateau lorsqu’elle reçoit Sebastian Kurz pour qu’il étale sa vie privée, elle perd son temps car son invité trouve toujours les moyens d’esquiver les questions qu’il n’aborde que dans la sphère privée, avec ses parents, encore plus réservés que lui. A-t-il l’intention d’épouser Suzanne Thier ? lui a demandé récemment la blonde Claudia. Peut-être mais si tel est le cas, ce n’est pas cette renifleuse de petits potins qui en aura l’exclusivité et ce n’est pas encore demain la veille que Suzi sera la première Dame d’Autriche. Il faut se faire à l’idée que Sebastian Kurz semble être né pour gouverner un pays qui, bien que modeste sur le plan démographique, n’en demeure pas moins du fait de son rôle dans l’Histoire européenne, un terrain d’expérimentation politique. Mais de ce qui reste du gigantesque Empire austro-hongrois dépend aussi l’avenir de l’Europe toute entière car c’est ce territoire qui est toujours en première ligne lorsqu’il faut instaurer un dialogue entre l’ouest et le centre du continent. La nouvelle présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, ne s’y est pas trompé et le commissaire autrichien, Johannes Hahn, reconduit pour la troisième fois, est, de fait, le plus expérimenté de son équipe. Reste désormais à savoir, avec qui Sebastian Kurz va gouverner ? Fort du succès de son parti qui a gagné sept points par rapport à 2017 et grimpé à plus de 38% des suffrages exprimés, le Chancelier a les moyens d’imposer le ou les partenaires qu’il estime adapté(s) à son programme. S’il est peu probable qu’il renouvèle l’expérience avec l’extrême-droite qui a chuté de neuf points à 17,25% des suffrages et dont le secrétaire général a déjà annoncé qu’il préfèrerait revenir dans l’opposition, il peut en revanche soit retenter une expérience avec le parti social-démocrate qui, bien qu’ayant perdu 5,3 points demeure le second parti autrichien (21,55%), soit se risquer avec les Verts qui font une entrée remarquée au Parlement après avoir atteint un score historique de 12,35% des voix.

Sebastian Kurz avec sa compagne Suzanne Thier
Sebastian Kurz avec sa compagne Suzanne Thier

Une coalition bi, tri voire quadricéphale

Dans le premier cas, la coalition bicéphale aurait une confortable majorité, frisant les 60%, dans le second cas, elle serait beaucoup plus fragile (50,7%) car sujette à des tensions dues en partie à des conceptions sur le plan économique diamétralement opposées. Mais, il ne serait pas étonnant de la part d’un Chancelier qui se voue à l’unité nationale, qu’il s’oriente vers un gouvernement regroupant les conservateurs, les sociaux-démocrates et les libéraux du parti Neos, une sorte de Modem à l’autrichienne peu représentatif au niveau électoral(7,36%) mais suffisamment puissant pour faire pencher la balance dans le sens voulu par le chef de gouvernement. Quel que soit son choix, la posture de Sebastian Kurz méritera d’être observée, car il peut avoir des incidences sur des dossiers sensibles. Le plus important est la future relation de l’Autriche avec son voisin hongrois, dont le chef de gouvernement, Viktor Orban, était persuadé que le FPÖ allait demeurer un parti de gouvernement, ce qu’il ne sera vraisemblablement plus. Arrive ensuite l’élargissement de l’union aux pays d’Europe Orientale dont l’Autriche profiterait en priorité s’il ne se limitait pas à l’Albanie et à la Serbie. Il faut en effet rappeler que de tous les pays de l’Union Européenne, c’est l’Autriche qui a tiré le plus bénéfice  de l’arrivée des dix républiques d’Europe Centrale au milieu des années 2000 (1). L’économie autrichienne est depuis plus d’une décennie conditionnée par celle de ces nouveaux territoires qui lui garantissent un taux de croissance supérieur à la moyenne européenne. Tous les grands groupes autrichiens sont implantés dans tous les pays d’Europe Centrale et c’est grâce à ces relais que la « petite » République blottie au cœur des Alpes, à proximité des Balkans, frontalière de l’Allemagne et de l’Italie, peut pactiser en toute sérénité avec la Chine qui voit en elle un partenaire historiquement fiable. Les deux pays entretiennent des relations depuis 1971, année au cours de laquelle ils ont concrétisé leurs premiers échanges scientifiques et culturels. En 2005, ils fondèrent l’ÖCJG (Österreichisch-Chinesische Juristische Gesellschaft), un organisme bilatéral spécialisé dans les relations Europe-Asie qui publie chaque année une revue en collaboration avec l’Institut Autrichien de Recherches sur la Chine et l’Asie du Sud-Est. Un agence de voyages Donau-Sino (Danube-Chine) est venue se greffer sur cette double initiative afin de faciliter les relations entre les citoyens des deux pays. Si les Autrichiens n’ont pas abandonné leur jeune Chancelier, mieux l’ont confirmé au delà de ses espérances, c’est parce qu’ils ont le sentiment qu’il est le mieux placé pour répondre aux défis qui les attendent. A l’instar des Français, ils ont misé sur un homme jeune qu’ils n’ont pas désavoué. L’avenir proche nous dira lequel des deux a su le mieux restaurer l’unité nationale, celui de la pensée partagée ou celui de la pensée unique. gs & vjp (Nombre de mots : 1.336)

(1) www.pg5i.eu publiera prochainement un dossier détaillé sur les conséquences de l’entrée des dix Républiques d’Europe Centrale sur l’économie autrichienne.

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