Les Allemands vont-ils bientôt voir le bout du tunnel ?

Allemagne – Au cours des deux premiers confinements, l’Allemagne a été souvent citée en exemple pour sa gestion de la crise au point de faire des émules sur tout le continent. Et s’il en a été ainsi, c’est parce que les Allemands sont mondialement réputés, souvent à tort, pour leur sens de la discipline, un atout dont la Chancelière a su faire usage. Plus des trois-quarts de ses administrés, y compris ceux qui n’ont jamais voté pour son parti, l’Union Chrétienne Démocrate, ont adhéré aux règles adoptées en collaboration étroite avec les ministres-présidents des lands, ce qui a permis à tous de flatter les vertus du fédéralisme. Mais cette machine bien huilée est mise à mal depuis plusieurs semaines  par l’incapacité des pouvoirs publics à maitriser une crise qui les dépasse.

Bien qu’elle ne soit plus candidate à sa propre succession, la Chancelière doit veiller à ce que son parti demeure la première force politique du pays

Agenda politique et calendrier sanitaire

On s’aperçoit qu’en Allemagne, comme ailleurs,  il est difficile de synchroniser agenda politique et calendrier sanitaire. Alors que le premier, fixé d’avance, est valable pour tous, le second aménageable d’un jour à l’autre, doit satisfaire des couches différentes de la population. Deux  électeurs  ne voteront pas de la même façon, si l’un est privé depuis six mois de son travail et d’une partie de ses revenus et l’autre s’enrichit en vendant plus de produits sur internet  ou en percevant de fortes commissions sur la vente de masques ou de gels. Comme tout fléau, toute guerre, la pandémie fabrique une minorité de riches et une quantité astronomique de pauvres. A la veille d’élections, les dirigeants au pouvoir souhaitant s’y maintenir et leurs opposants aspirant à les détrôner doivent redoubler d’efforts pour convaincre ceux que la crise a rendu indécis et versatiles. Les sondages hissent toujours le parti d’Angela Merkel, la CDU et son allié historique, la CSU, à la première place mais ces  deux formations en totalisant entre 33 et 35% des intentions de vote ne sont plus ce qu’elles étaient sous Helmut Kohl, c’est-à-dire des partis dans lesquels les électeurs se reconnaissaient et s’épanouissaient avec leurs idées fondées sur les racines chrétiennes de l’Europe. En arrivant au pouvoir en 2005, Angela Merkel a rompu avec cette tradition. Depuis plus de 15 ans, elle gouverne avec le parti social-démocrate (SPD), ce qui a contribué à gauchiser sa politique et lui faire perdre une partie de son assise électorale. De ses deux principales décisions, la fin du nucléaire et l’accueil des réfugiés, la Chancelière a tiré un avantage à l’échelon international en suscitant l’empathie de mouvements traditionnellement en marge des formations traditionnelles mais elle a, à l’échelon national, brouillé les cartes au sein de son propre parti et si les tensions s’exacerbent avec la Hongrie où l’Allemagne demeure le plus investisseur, c’est parce que Viktor Orban est le seul chef d’Etat du centre de l’Europe à poursuivre la politique prônée par Helmut Kohl. Le SPD s’est retrouvé affaibli au profit des Verts, le parti libéral FDP, allié de Kohl  pendant plus de seize ans dans cinq gouvernements, s’est désagrégé et pour couronner le tout deux partis extrêmes, Die Linke à gauche, et l’AfD à droite, sont parvenus à trouver leur place sur l’échiquier politique.

Des extrêmes déstabilisateurs

Certes, ni l’un, ni l’autre ne pourront à court terme devenir membre d’une coalition au niveau fédéral mais leur influence, à cause de la pandémie, peut jouer un rôle déstabilisateur dans un certain nombre de lands. Le Covid 19 a en effet ravivé les tensions entre l’est et l’ouest de la République. Bien que les nombres de personnes infectées, hospitalisées et décédées n’aient pas été plus élevés dans les régions orientales qu’occidentales, il n’en demeure pas moins que c’est dans le premières que les mesures de restriction ont été le plus mal vécues  et ce, pour la simple et unique  raison que le produit intérieur brut par habitant dans les cinq lands de l’ex-RDA (29.739 euros) y est de 73,9% inférieur à celui enregistré dans les cinq lands les plus riches de la République Fédérale (51.726 euros). C’est à l’est du territoire que la crise sanitaire fabrique le plus grand nombre de pauvres, de précaires et personnes socialement vulnérables. Il est évident qu’au lendemain du 16 septembre prochain, jour où les Allemands auront été priés de renouveler le Bundestag, les résultats ne pourront pas être analysés comme ils l’ont été lors des précédents scrutins. Les ministres-présidents des lands mais aussi les membres du gouvernement sont les premiers à les appréhender car c’est ce jour là qu’aura été jugée leur stratégie d’éradication du virus mais aussi leur politique sociale et économique élaborée par une coalition CDU/CSU-SPD qui ne représente plus la majorité de la population. Tous depuis le début du troisième confinement marchent sur des œufs et ce n’est pas sans sueur qu’ils sont parvenus à envisager un déconfinement par étapes dont la réussite est encore loin d’être acquise et dont l’objectif est de faire croire à un maximum de personnes que des jours meilleurs les attendent . Ce retour à la normale promis par les autorités a du mal à passer parce qu’il est complexe et remet en cause indirectement l’efficacité des vaccins. Comme au début de la crise, il a été pensé en fonction du nombre de personnes infectées par tranche de 100.000 habitants et sur une durée de sept jours. Pour faciliter les calculs, ces seuils ont fixés à 50 et 100 , ce qui  est pour le moins contestable car une ville totalisant 51 cas se verra soumise à autant de privations et frustrations qu’une autre en comptant deux fois plus. Par ailleurs ce critère n’est pas objectif car les régions ne sont pas toutes sur le même pied d’égalité au niveau des tests qui sont effectués de manière massive en certains lieux et plus ou moins aléatoires en d’autres. Enfin, il est difficile de comprendre pourquoi certains commerces, à l’instar des salons de coiffure, ont été les premiers autorisés à rouvrir leurs portes, le 1er mars dernier, alors que d’autres attirant moins de publics, devront attendre une, deux, trois voire davantage de semaines pour reprendre leurs activités alors même qu’ils se sont soumis à toutes les réglementations qui lui avaient été imposées lors des deux précédents confinements.

Les photos de ces milliers d’enfants nés sans bras sont encore gravées dans la mémoire collective d’une population qui revendique le risque « zéro »

Les vaccinations : un espoir déçu

Après une  campagne des tests gratuits pour tous, qui s’est révélée un échec  car preuve a été faite qu’ils n’étaient pas tous fiables, les Allemands portaient leur espoir sur celle des vaccinations qui ne se présente pas, elle aussi,  sous les meilleurs auspices. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les Allemands sont sceptiques à l’égard de certains traitements, médicaments et vaccins. Tous ont en mémoire les expérimentations effectuées dans les camps de concentration mais aussi l’affaire du contergan, médicament qui, prescrit aux femmes enceintes, avait provoqué la naissance de milliers d’enfants sans bras. Ces images de bébés et de jeunes enfants handicapés à vie ont fait la une des journaux pendant les années 1960 et 1970 et s’immiscent toujours de manière  inconsciente dans la  mémoire collective. Aucun discours ne peut mettre fin à la suspicion des populations à l’égard de certains remèdes, surtout lorsque ces derniers ont été mis au point en un temps record, comme cela a été le cas avec le Covid 19. Les dirigeants ont beau se féliciter de la rapidité d’actions des laboratoires de recherche qu’ils ne récoltent pour autant les fruits qu’ils en attendaient.   Les vaccins plutôt que d’incarner l’espoir, sèment le doute et même certains personnels hospitaliers censés donner l’exemple n’hésitent pas à populariser leurs interrogations.  Le fait que plusieurs vaccins soient disponibles renforce une autre suspicion concernant le mercantilisme des laboratoires pharmaceutiques, accusés à l’instar des fabricants et distributeurs  de masques, de profiter de la crise pour s’enrichir, engraisser leurs actionnaires et appauvrir les personnes précaires et vulnérables. Le fait que le ministre de la Santé, Jens Spahn, ait acquis une villa de luxe de plus de quatre millions d’euros dans le quartier huppé de Dahlem à Berlin au moment où la pandémie atteignait un pic et ce, après avoir négocié un deal douteux avec la société suisse Emix, a mis à mal toutes les belles paroles sur l’égalité de traitement des couches de la société.

Andreas Scheuer : être la personnalité la plus impopulaire de l’année ne l’empêche pas de porter une double casquette

La « blague » de la task-force

Dans un éditorial cinglant publié la semaine dernière par Die Welt, la journaliste Luisa Hofmeier du service de politique intérieure répondait au ministre-président de Bavière Markus Söder qui avait déclaré «  il est trop difficile d’utiliser d’autres paramètres que l’incidence sur sept jours pour évaluer la situations du coronavirus », en écrivant : «après un an de pandémie, c’est probablement trop demander que de s’attaquer à ce qui est compliqué ! » Pour rassurer une population qui trouve le temps long et calmer des médias qui investiguent , le gouvernement a annoncé mercredi dernier la création d’une « task force »,  dont l’objectif plus ou moins avoué va consister à recoller les morceaux. En Allemagne comme en France et dans la plupart des pays, on adore recourir aux anglicismes mais celui-ci pourrait très vite se transformer en « talk force » c’est-à-dire en un comité où on cause plus qu’on agit.  Comme il fallait s’y attendre, c’est Jens Spahn en personne, l’homme qui a acheté des masques à presque dix euros l’unité, qui a pris la tête de ce raid anti-covid.  A ses côtés, siège Andreas Scheuer, le ministre Fédéral des Transports et des Infrastructures Numériques. Que ce jeune loup de la politique dont les dents sont tellement longues qu’elles pourraient ronger le plancher du grenier en même temps que celui de la cave, ait été nommé à un poste qui n’a strictement rien à voir avec son expérience n’a pas manqué de surprendre tous les observateurs, y compris les plus objectifs. « Il a tellement bousillé le projet de péage automobile autoroutier qu’on se demande pourquoi il est encore en fonction » résume Luisa Hofmeier à propos de l’homme qui, en 2020,  a obtenu le titre de la personnalité la plus « impopulaire » de l’année, ce qui incite la rédactrice de Die Welt à assimiler la task-force à une « blague ». Avec un bras droit ressemblant  à une jambe cassée, Jens Spahn, dont les ambitions n’ont aucune limite, aura probablement le plus grand mal à faire accepter unanimement la campagne de vaccination. En 2019, il avait déjà été confronté au même problème suite à la résurgence de la rougeole. Pour inciter les parents à faire vacciner leurs enfants, le ministre de la Santé avait prévu des mesures autoritaires dont l’interdiction d’inscrire dans les crèches les enfants non-vaccinés  et une amende de 2.500 euros infligée aux parents réfractaires. Ce genre des mesures peut être appliqué lorsqu’une infime partie de la population est concernée mais il en va tout autrement lorsqu’elle menace avec ses variants une majorité de la population, tous âges confondus. Cette difficulté à vulgariser la vaccination  risque d’avoir des conséquences beaucoup plus graves en Allemagne que dans d’autres pays européens car la République Fédérale est réputée, parallèlement à son sens de la discipline , pour son addiction aux grands rassemblements festifs, dont la Fête de la Bière de Munich est le plus emblématique. Cet événement, créé en 1810, n’a été suspendu avant le Covid 19, qu’à deux reprises en 1854 et 1873  à cause du choléra, mais il ne faut pas oublier que cette pandémie avait provoqué alors la disparition de plus d’un demi-million de personnes pour une population de trente cinq millions d’habitants (estimée en fonction des frontières actuelles), soit 1,4%.  Sigmar Gabriel, ancien secrétaire général du SPD et à deux reprises ministre de l’Environnement puis de l’Economie et de l’Energie dans les gouvernements Merkel 1 et Merkel 3, s’est étonné que la crise sanitaire ait été gérée au 21ième siècle exactement comme l’ont été les pandémies au 19ième siècle. Selon lui, l’équipe gouvernementale actuelle  a été dans l’incapacité de mettre à l’épreuve le potentiel du numérique et des nouvelles technologies qui auraient permis d’effectuer un réel traçage des personnes infectées, asymptomatiques ou non. Si on s’en réfère au plan progressif de déconfinement, l’Allemagne devrait commencer à voir le bout du tunnel  à partir du 22 mars prochain, jour fixé pour envisager ou non une réouverture des bars, hôtels et restaurants et autoriser éventuellement l’organisation d’événements culturels. A cette date là, les cinémas, théâtres et terrasses de bars et restaurants auront été opérationnels depuis une semaine et il est donc fort possible que ces sept jours d’activité contribuent à ce qu’une augmentation du nombre de personnes déclarées positives, fasse dépasser le taux d’incidence retenu et  remette en cause toute la stratégie élaborée. Jusqu’à présent, les Allemands ont fait preuve de patience et de compréhension face au désarroi des gouvernants mais rien n’indique qu’il en soit de même dans les prochains mois. Emmanuel Macron et son gouvernement ont encore un an devant eux pour se préparer à  l’échéance présidentielle, Angela Merkel et le sien n’ont, quant à eux,  que quelques semaines pour prouver qu’ils ont fait les bons choix et pris les bonnes décisions. vjp (Nombre de mots : 2.155)

 

 

 

 

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