Le Chancelier Scholz s’offre une tribune pour dissiper les malentendus

 

Allemagne/Chine/Russie – Le Chancelier Olaf Scholz se prépare ce vendredi 4 novembre à un voyage en Chine qui suscite en République Fédérale de nombreuses interrogations et met aussi à mal la coalition au pouvoir. Un certain nombre de membres du gouvernement estiment en effet que le calendrier ne se prête pas à ce genre d’initiative, d’autres craignent une mainmise de la Chine sur l’économie du pays. Pour dissiper tout malentendu, Olaf Scholz a jugé utile de publier une tribune libre dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) que nous tenons à diffuser ci-après.

Le Chancelier Olaf Scholz ne disposera que de onze heures à Pékin pour rencontrer et s’entretenir avec son homologue chinois et c’est très peu, si on tient compte de la multiplicité et de la complexité des sujets qu’il escompte aborder.

Cela fait bien trois ans que mon prédécesseur s’est rendu en Chine pour la dernière fois. Trois années au cours desquelles les défis et les risques ont augmenté – ici en Europe, en Asie de l’Est et bien sûr aussi dans les relations sino-allemandes. Trois années au cours desquelles le monde a connu de profonds changements. D’une part à cause de la pandémie Corona, d’autre part à cause de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, avec ses graves conséquences pour l’ordre international, pour l’approvisionnement en énergie et en denrées alimentaires, pour l’économie et les prix dans le monde entier. C’est précisément parce que le business as usual n’est pas une option dans cette situation que je me rends à Pékin. Pendant longtemps, de telles rencontres n’ont pas été possibles en raison de la pandémie de Covid-19 et de la politique stricte de Pékin en matière de Corona. Le dialogue direct est d’autant plus important maintenant.

Cinq pensées m’accompagnent dans ce voyage.

1) La Chine d’aujourd’hui n’est plus la même qu’il y a cinq ou dix ans. Les résultats du congrès du parti communiste chinois qui vient de s’achever parlent un langage clair : les déclarations de soutien au marxisme-léninisme occupent une place nettement plus importante que dans les décisions antérieures du congrès. La recherche de la sécurité nationale, synonyme de stabilité du système communiste, et de l’autonomie nationale revêt une importance accrue à l’avenir. Il est clair que si la Chine change, notre approche de la Chine doit également changer.

De nouveaux centres de pouvoir apparaissent

2) La Chine n’est pas la seule à avoir changé, le monde aussi. La guerre de la Russie contre l’Ukraine remet brutalement en question l’ordre international de paix et de sécurité. Le président Vladimir Poutine n’hésite même plus à brandir la menace de l’arme nucléaire. Il menace ainsi de franchir une ligne rouge tracée par l’humanité tout entière. Au début de l’année encore, la Chine s’est clairement positionnée contre l’utilisation ou même la menace d’armes nucléaires dans une déclaration avec les autres membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité, la Chine a une responsabilité particulière. Il est important que Pékin s’adresse clairement à Moscou, afin de préserver la Charte des Nations unies et ses principes. Ceux-ci incluent la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les États. Aucun pays n’est l' »arrière-cour » d’un autre. Ce qui est valable en Europe en ce qui concerne l’Ukraine, l’est également en Asie, en Afrique ou en Amérique latine. De nouveaux centres de pouvoir d’un monde multipolaire y voient le jour, avec lesquels nous voulons établir et développer des partenariats. Ces derniers mois, nous avons mené une concertation internationale intensive – avec des partenaires proches comme le Japon et la Corée, avec des puissances asiatiques émergentes comme l’Inde et l’Indonésie, mais aussi avec des États d’Afrique et d’Amérique latine. À la fin de la semaine prochaine, je me rendrai en Asie du Sud-Est et au sommet du G20. Parallèlement à ma visite en Chine, le président de la République se rendra au Japon et en Corée.

L’Allemagne en particulier, qui a fait l’expérience particulièrement douloureuse de la division pendant la guerre froide, n’a aucun intérêt à voir se former de nouveaux blocs dans le monde. La nouvelle stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis réaffirme également à juste titre l’objectif d’empêcher une nouvelle confrontation entre blocs. En ce qui concerne la Chine, cela signifie que ce pays, avec ses 1,4 milliard d’habitants et sa puissance économique, jouera bien sûr un rôle important sur la scène mondiale à l’avenir – comme ce fut d’ailleurs le cas pendant une grande partie de l’histoire mondiale. Mais on ne peut pas répondre à la demande de certains d’isoler la Chine et accepter une revendication de domination hégémonique de la Chine ou même un ordre mondial sinocentrique.

Qu’attend réellement le président chinois du Chancelier allemand ? Tout le monde s’interroge car personne ne le sait !

Pas de découplage de la Chine

3) La Chine reste, même sous des auspices différents, un partenaire économique et commercial important pour l’Allemagne et l’Europe. Nous ne voulons pas d’un découplage de la Chine. Mais que veut la Chine ? La stratégie économique chinoise des deux cycles vise à renforcer le marché intérieur chinois et à réduire les dépendances vis-à-vis d’autres pays. Dans un discours prononcé fin 2020, le président Xi Jinping a en outre parlé d’utiliser des technologies chinoises pour « aggraver la dépendance des chaînes de production internationales vis-à-vis de la Chine« . Nous prenons de telles déclarations au sérieux.

Nous allons donc réduire les dépendances unilatérales, dans le sens d’une diversification intelligente. Pour cela, il faut faire preuve de discernement et de pragmatisme. Une grande partie du commerce entre l’Allemagne et la Chine concerne des produits pour lesquels il n’y a ni manque de sources d’approvisionnement alternatives, ni menace de monopoles dangereux. Au contraire, la Chine, l’Allemagne et l’Europe en profitent toutes trois. Mais là où des dépendances risquées se sont créées – par exemple pour des matières premières importantes, certaines terres rares ou certaines technologies d’avenir – nos entreprises élargissent désormais leurs chaînes d’approvisionnement, à juste titre. Nous les soutenons dans cette démarche, par exemple, par le biais de nouveaux partenariats pour les matières premières.

Nous différencions également les investissements chinois en Allemagne selon qu’une telle transaction crée ou renforce des dépendances risquées. C’est d’ailleurs le critère qu’a appliqué le gouvernement fédéral dans le cas de la participation minoritaire de l’armateur chinois Cosco dans un terminal du port de Hambourg. Grâce à des conditions claires, le contrôle total du terminal reste entre les mains de la ville de Hambourg et de la société portuaire. Diversifier et renforcer notre propre résilience plutôt que le protectionnisme et le repli sur son propre marché, telle est notre position, en Allemagne et dans l’Union européenne.

Nous sommes loin, trop loin de la réciprocité dans les relations entre la Chine et l’Allemagne, par exemple en ce qui concerne l’accès au marché pour les entreprises, les licences, la protection de la propriété intellectuelle ou les questions de sécurité juridique et d’égalité de traitement de nos ressortissants. Nous continuerons à exiger la réciprocité. Mais lorsque la Chine n’autorise pas cette réciprocité, cela ne peut pas rester sans conséquence. Une telle approche différenciée avec la Chine correspond aux intérêts stratégiques à long terme de l’Allemagne et de l’Europe.

Aborder des sujets difficiles

4) Le président Xi a déclaré au début de l’année à Davos : « Le monde évolue grâce au mouvement des contradictions – sans contradiction, rien n’existerait« . Cela signifie aussi admettre et supporter la contradiction. Cela signifie ne pas exclure les sujets difficiles dans les échanges entre nous. Le respect des libertés civiles et politiques ainsi que des droits des minorités ethniques, par exemple dans la province du Xinjiang, en fait partie.La situation tendue autour de Taïwan est inquiétante. Comme les États-Unis et de nombreux autres pays, nous poursuivons une politique d’une seule Chine. Mais cela implique qu’un changement du statu quo ne peut se faire que de manière pacifique et d’un commun accord. Notre politique est axée sur le maintien d’un ordre fondé sur des règles, la résolution pacifique des conflits, la protection des droits de l’homme et des minorités et le commerce mondial libre et équitable.

Représentant des intérêts européens

5) Si je me rends à Pékin en tant que chancelier allemand, je le fais également en tant qu’Européen. Non pas pour parler au nom de toute l’Europe, ce qui serait faux et présomptueux. Mais parce que la politique chinoise de l’Allemagne ne peut être efficace que si elle s’inscrit dans une politique chinoise européenne. En amont de mon voyage, nous nous sommes donc étroitement concertés avec nos partenaires européens, dont le président Macron, ainsi qu’avec nos amis transatlantiques. Avec le triptyque « partenaire, concurrent, rival« , l’Union européenne a correctement décrit la Chine, même si des éléments de rivalité et de concurrence ont sans aucun doute augmenté au cours des dernières années.

Nous devons gérer cette situation en acceptant la concurrence, en prenant au sérieux les conséquences de la rivalité entre les systèmes et en les intégrant dans notre politique. Dans le même temps, il convient d’explorer les domaines où la coopération reste dans l’intérêt des deux parties. Après tout, le monde a besoin de la Chine, par exemple pour lutter contre les pandémies mondiales comme le Covid-19. La Chine joue également un rôle crucial lorsqu’il s’agit de mettre fin à la crise alimentaire mondiale, d’aider les États très endettés et d’atteindre les objectifs de développement des Nations unies. Sans une action résolue en matière de réduction des émissions en Chine, nous ne pourrons pas gagner la lutte contre le changement climatique. C’est pourquoi il est bon que Pékin se soit fixé des objectifs ambitieux pour le développement des énergies renouvelables, et je plaide pour que la Chine assume avec nous, notamment au niveau international, encore plus de responsabilités dans la protection du climat.

Nous sommes conscients que nous sommes également en concurrence pour les technologies respectueuses du climat – pour les produits les plus efficaces, les idées les plus intelligentes, la mise en œuvre la plus réussie des plans respectifs. Mais cela suppose que la Chine ne ferme pas son marché à nos technologies respectueuses du climat. Nous sommes prêts à affronter cette concurrence. Moins de concurrence signifie en effet toujours moins d’innovation. La perdante seraient la protection du climat – et donc nous tous.

Tout cela donne beaucoup de matière pour une visite inaugurale à Pékin. Nous recherchons la coopération là où elle est dans l’intérêt des deux parties. Nous ne ferons pas l’impasse sur les controverses. Cela fait partie d’un échange ouvert entre l’Allemagne et la Chine.

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