L’aéroport de Berlin ou l’histoire d’un fiasco programmé

Allemagne/UE – Les Allemands sont mondialement connus pour ne pas faire les choses à moitié. Lorsque leurs entreprises réalisent des bénéfices, ils se chiffrent en millions voire milliards d’euros et il en va de même lorsqu’elles affichent des pertes, comme le prouve le bilan désastreux du nouvel aéroport de Berlin Brandebourg qui était censé devenir la plus grande plate-forme aéroportuaire d’Europe et qui est à ce jour la plus endettée.

Les Berlinois ont attendu près de 20 ans l’ouverture de leur aéroport.

Tout a commencé au lendemain de la réunification lorsqu’il a été question de remplacer les trois aéroports existants, ceux de Tegel et de Tempelhof situés à Berlin-Ouest, et celui de Schönefeld érigé par la République Démocratique Allemande. Ce dernier, une fois agrandi et réaménagé, étant destiné à devenir le seul et unique aéroport de la capitale. Les initiateurs du projet, tous plus euphoriques les uns que les autres, se mettent alors à l’ouvrage en baptisant leur bébé. Ils lui attribuent l’abréviation BBI (Berlin-Brandebourg-International) mais s’aperçoivent quelques mois plus tard qu’un aéroport est déjà attaché à ce sigle, en l’occurrence le BBI Airport, situé dans la ville indienne de Bhubaneshwar, capitale de la région d’Odisha où vivent plus 42 millions d’habitants, soit la moitié de la population allemande. Cette méprise, qui n’aurait pu être qu’anecdotique, marque toutefois le début d’un projet qui ne cessera pendant plusieurs décennies à cause de ses déboires à répétitions, de créer l’actualité. A partir de 1992, s’enchaîne les études de fiabilité et quatre ans plus tard, les Berlinois croient rêver lorsque le démarrage des travaux leur est annoncé tout comme l’année d’ouverture, prévue pour 2007. Tout se serait passé en temps et en heure, si divers opposants n’étaient pas parvenus à faire entendre leur voix, ce qui s’est produit en 1999 lorsque la cour d’appel administrative a décidé d’annuler les procédures d’adjudication. A partir de de ce moment-là, le BBI qui est devenu le BER-Airport Willy Brandt, est déjà pressenti comme le projet le plus mal « ficelé » que l’Allemagne ait été amenée à concrétiser depuis sa réunification. En 2006, soit un an après l’arrêt des travaux consécutif à un jugement rendu par le tribunal administratif fédéral de Leipzig, ces derniers peuvent être engagés mais à condition que les barrières de protection du son soient renforcées. Une nouvelle date d’ouverture, extrêmement précise, est alors annoncée : promis juré, ce sera le 30 octobre 2011. Mais en février 2010, les élus du land de Berlin-Brandebourg et du sénat berlinois tombent des nues lorsqu’ils apprennent que le bureau d’ingénieurs en charge du projet, la société Kruck, est contrainte de déposer son bilan.

Aletta von Assenbach : elle a la difficile mission de faire oublier aux Allemands sept milliards d’investissements.

Un navire en perdition

L’aéroport ne pourra plus être inauguré le 30 octobre 2011 mais seulement le 3 juin 2012, soit cinq ans après la date initialement programmée. En avril 2012, nouveau coup de semonce : les nouveaux concepteurs du projet constatent que l’aéroport envisagé est beaucoup trop petit et qu’il n’est pas doté d’un nombre suffisant de guichets d’enregistrement. Un mois plus tard et suite à une inspection de la commission de sécurité, il s’avère que les protections anti-incendie laissent à désirer et qu’il est par conséquent nécessaire de reporter l’ouverture au mois d’août. Au cours de cet été 2012, d’autres problèmes d’ordre technique, sécuritaire ou logistique dont le manque d’étanchéité de certaines structures, sont mis à jour, ce qui a contraint les gestionnaires du site à reporter autant de fois sa mise en service. En novembre 2012, à la question de savoir quand elle aura lieu, le maire de Berlin, Klaus Wowereit, préfère s’abstenir et deux ans plus tard, il décide de démissionner. Son successeur, Michaël Müller, a hérité, en 2014, d’un dossier ingérable et il a fallu attendre le 31 octobre 2020 pour que la BER Airport devienne opérationnel, ce qu’il n’a pu être comme prévu à cause de la pandémie. Au cours de la décennie 2011-2021, ce ne sont pas moins de cinq managers qui se sont succédé à la tête de ce « Pannenflughafen » (aéroport en panne) que la presse assimilait à un navire en perdition. Depuis son ouverture officielle, c’est une femme, Aletta von Massenbach, 54 ans, qui a la difficile charge d’éviter le naufrage. Compte tenu des dettes qui ont été cumulées au cours des dix dernières années et qui s’élèvent à près de trois milliards d’euros, aucun résultat positif n’est à prévoir avant 2034 voire au-delà. Depuis que cette spécialiste du transport aérien, qui a été de 2016 à 2020 vice-présidente exécutive du département commercial de Fraport AG, la société gestionnaire de l’aéroport de Francfort-sur-le Main, tient les rênes du BER Airport, le nombre de passagers et le volume de fret, ne cesse d’augmenter mais la gestionnaire, dont personne ne met en doute le professionnalisme, doit toujours composer avec toutes les erreurs commises lors de la conception de l’aéroport. Comparativement à l’aéroport de Francfort, celui de Berlin est doté de deux fois moins de guichets d’enregistrement, soit 120 contre 224. Il faudra encore attendre de longues années pour que la plate-forme aéroportuaire de la capitale puisse rivaliser avec celle de Francfort. La première a enregistré à peine vingt millions de passagers en 2022, alors que la seconde a pu s’en prévaloir, avec 49,8 millions, de plus du double.

Dieter Faulenbach da Costa, urbaniste, plaidait pour une implantation plus éloignée de la capitale.

Une situation géographique inadaptée

Ce bilan désastreux n’étonne en rien le planificateur urbain Dieter Faulenbach da Costa qui a été impliqué dès le début du projet mais qui n’a jamais été écouté. A l’instar d’autres experts, M.da Costa a toujours estimé que le choix de Schönefeld n’était pas approprié car ce site risquait d’être rapidement englobé dans la ville de Berlin. Il aurait été préférable, selon lui, que le nouvel aéroport soit implanté sur la commune de Sperenberg, située à 70 kilomètres au sud de la capitale, susceptible d’être rapidement accessible par une ligne ferroviaire à grande vitesse. A Sperenberg, seuls 3.000 riverains auraient été concernés par le bruit des avions, alors qu’à Schönfeld, on en compte plus de 100.000, un nombre qui va être amené à augmenter ce qui risque de susciter une désapprobation constante de la population au fur et à mesure de la croissance de l’aéroport. Parallèlement au mauvais choix du lieu d’implantation, Dieter Faulenbach da Costa déplore celui des architectes qui n’avaient aucune expérience dans le construction aéroportuaire. Le système de livraison des bagages prévu était trop petit avant même que le problème de capacité ne se pose. Au départ, seuls huit tapis roulants de livraison étaient prévus pour dix-huit millions de passagers, or chacun sait qu’il faut compter un tapis par million de passagers. Les planificateurs de l’aéroport ont pas ailleurs passé outre les règles européennes qui précisent explicitement que les passagers hors espace-Schengen doivent être traités de manière séparée. C’est ainsi que les cages d’escalier censées établir des liaisons Schengen-Schengen et non-Schengen-non Schengen n’ont pas été planifiées en bonne et due forme, ce qui a entraîné des travaux extrêmement coûteux. La plus grosse des erreurs a concerné le mauvais emplacement des avions de type A380 prévu au nord du site alors qu’ils atterrissaient sur la piste sud et là encore, il a été nécessaire de corriger les plans initiaux. Dès 2008, il a été constaté que le capacité de l’aéroport risquait de ne pas être suffisante. Les concepteurs ont alors pris la décision de compléter la jetée sud et de rallonger la jetée principale de trois positions. Toujours en 2008, le nombre de passagers a été réévalué à la hausse à 27 millions, soit douze de plus que lors de la première demande de construction. On constate alors que les voies d’évacuation seront trop étroites. Par ailleurs, il s’est avéré qu’elles avaient été attribuées aux mauvais niveaux. Entre 2012 et 2020, il ne s’est passé d’année sans que la commission d’enquête ne décèle des défauts de fabrication ou des problèmes de sécurité. Au déficit cumulé du nouvel aéroport, il faut ajouter les millions d’investissements qui ont été nécessaires à la reconversion et au réaménagement de Tempelhof et Tegel. Alors que le premier de ces aéroports civils a été fermé en 2008, le second n’a pu l’être qu’en 2020. Malgré toutes ces déconvenues, Aletta von Massenbach, demeure confiante dans l’avenir car depuis plusieurs mois, le nombre de passagers ne cesse d’augmenter. En février dernier, il s’élevait à plus de 1,4 million, soit une progression de 48,9% par rapport à la même période 2022. Depuis le début de l’année, le BER Willy-Brandt affiche une croissance à deux chiffres, ne fait plus l’objet de polémiques et va enfin pouvoir être géré de manière sereine. C’est le moins que les Allemands sont en droit d’attendre d’un projet qui leur a tout de même coûté la bagatelle de plus de sept milliards d’euros ! kb

 

error: Content is protected !!