La France sur la voie du non-droit social

Union Européenne / France – Lorsque les dirigeants de vingt-sept Etats qui n’ont cessé pendant des décennies de défendre leurs intérêts nationaux , parviennent après quatre jours de négociations serrées à signer un compromis, il est conseillé de redoubler de vigilance. Les hurrahs, cocoricos et bravos qui ont accompagné l’annonce du « deal » du siècle faisaient étrangement penser aux lendemains de la COP 21, période au cours de laquelle on a voulu nous faire croire que la planète pouvait devenir plus verte, plus propre et le climat moins chaud. On a vu le résultat, la plupart de ces prophètes d’un jour ont rejoint leurs pénates pour agrandir leurs centrales au charbon, construire de nouveaux barrages ou doubler leurs autoroutes. La seule différence que porte en lui le plan de lutte  contre les conséquences économiques néfastes de la pandémie par rapport à la conférence sur le climat provient du fait qu’il a été chiffré. Il a fallu qu’un virus vienne chambouler toutes les mauvaises habitudes prises depuis la création de l’Union Européenne, pour apprendre que celle-ci pouvait disposer de centaines de milliards d’euros alors même qu’il y a à peine un an, ces mêmes dirigeants nous disaient qu’augmenter les salaires de quelques centimes par heure ouvrée risquait de mettre l’Europe en danger.

Un mensonge collectif d’Etats

Ce virus est salutaire car il a mis à jour un mensonge collectif d’Etats tellement violent que les dirigeants vont être enfin tenus de rendre des comptes et surtout apprendre à les gérer. Dans le cadre de cet article, nous ne nous permettrons pas de porter un  jugement sur tous les systèmes de santé des pays les plus frappés par la pandémie mais en revanche nous nous autoriserons à nous pencher sur celui de la France qui ne laisse rien augurer de bon et de rationnel s’il n’est pas urgemment réformé. Dans un précédent article publié le 20 avril dernier, intitulé « Non coupables mais tous coresponsables », dont nous nous réjouissons qu’il ait suscité  plusieurs centaines de commentaires, nous avons rappelé que la France était le seul pays européen à avoir, en trente ans, nommé vingt-trois ministres de la Santé et/ou des Affaires Sociales et plus de cinquante Secrétaires d’Etat attachés à une ou plusieurs missions (personnes âgées, anciens combattants, famille, enfance, personnes handicapés, immigrés, sports, jeunesse, chômeurs de longue durée, etc, etc.) ce qui a, naturellement,  au fil des ans, contribué à une surcharge de personnel car il est bien connu que la plupart des collaborateurs reste ou est mutée quand le chef est prié de faire ses valises.

Un puzzle infernal

Le ministère des Solidarités et de la Santé, car c’est ainsi qu’il s’appelle désormais, a certes changé souvent de nom sans bouleverser pour autant ses mauvaises habitudes. Il est organisé en treize directions, deux délégations, une inspection et un secrétariat général, dont les compétences se culbutent et se chevauchent, pour constituer un millefeuilles ou plus exactement un puzzle de sigles qui donne le vertige. Entre la DAJ (Direction des affaires juridiques) et l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales), on découvre la DAEI (Délégation aux Affaires Européennes et Internationales), la DFAS (Direction des Finances, des Achats et des Services), la DGCS (Direction Générale de la Cohésion Sociale), la DGOS (Direction Générale de l’Offre de Soins), la DGS (Direction Générale de la Santé), la DICOM (Délégation à l’Information et à la Communication) , la DNUM (Direction du Numérique), la DREES ( Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques), la DRH (Direction des Ressources Humaines), la DSS (Direction de la Sécurité Sociale) et enfin le SGMAS ( Secrétariat Général des Ministères chargés des Affaires Sociales). En avril 2012 quelques semaines avant que Roselyne Bachelot, désormais à la Culture, cède son fauteuil à Marisol Touraine, un décret fut adopté en vue de la création d’une quatorzième structure dont les prérogatives laissent pour le moins dubitatif. La DDC (Division des Cabinets) a en effet pour objectif (le lecteur est prié d’attacher sa ceinture !) « d’assurer le traitement des demandes des membres du Gouvernement relevant des ministères sociaux en lien avec les directions et délégations rattachées au Secrétariat Général des ministères chargés des affaires sociales (DRH, DFAS,DNUM, DAJ, DAEI, DICOM et du Bureau de Communication de la Jeunesse et des sports) ».  En 2016, les 563 agents attachés à cette DDC ont reçu et orienté 61.515 courriers, répondu à 32.881 questions écrites publiées par des Parlementaires, traité 23.496 interventions dans divers secteurs (social, logistique et informatique) et procédé à 3.264 nominations ou distinctions honorifiques dont la Légion d’Honneur et l’Ordre National du Mérite. Les Français et surtout les personnels soignants qui s’interrogent à savoir pourquoi ils ont manqué de masques, de gel hydroalcoolique, de gants ou de vêtements de protection ont un début de réponse avec cette administration pléthorique et tellement kafkaïenne qu’elle en devient ubuesque.

Encore et toujours des fonctionnaires

A ceux qui s’en offusqueront, il est déconseillé de se plonger dans l’organisation de chacune de ces divisions dont certaines dépassent l’entendement. La plus emblématique est celle de la cohésion sociale. L’ancienne sous-préfète qui en est à la tête, Virginie Lasserre (notre photo), peut s’appuyer sur  les directrices et directeurs et leurs adjoints d’une trentaine de services ou sections, dont beaucoup sont déjà du ressort d’autres directions. A quoi cela sert-il d’avoir par exemple au sein de  la DGCS un bureau des affaires européennes alors qu’il existe une délégation vouée à cette mission ? A quoi cela sert-il de se doter d’une délégation  à l’information et la communication  et d’une direction du numérique à une époque où de plus en plus d’assurés utilisent Internet pour leurs échanges avec les organismes sociaux ? Lorsqu’on prend le temps, grâce au confinement, de se plonger dans la littérature du ministère de tutelle, on est stupéfait par le langage et les formulations qui prouvent à quel point les hauts fonctionnaires parisiens sont à mille lieux des préoccupations quotidiennes des assurés et surtout des bénéficiaires de minima sociaux.  Morceau choisi  à propos du numérique et de la sous-direction des projets :  « assurer la conception et le pilotage d’ensemble des applications des ministères, en proposant les mutualisations et optimisations applicatives pertinentes et en recherchant leur industrialisation » ( !). Quant au service stratégie de la direction des ressources humaines, il est constitué de cinq pôles et quinze départements permettant de rajouter quelques petits éléments au puzzle. Et voilà qu’abondent les sous-sigles : le DPCRH (Département Professionnalisation et Campus Ressources Humaines) , le DOEFRH ( Département Optimisation, Evaluation de la Fonction Ressources Humaines), le PCPDI ( Pôle Compétence, Parcours, Développement et Inclusion) ou  le VTSD (Vie au Travail et Dialogue Social). Chaque sigle a un responsable, un responsable-adjoint, un ou plusieurs chefs de projets, chaque direction ou délégation possède ses divisions, bureaux ou missions  qui, parfois, à l’instar de la direction générale de la santé,  en compte plus de quarante. A qui peut-on faire croire qu’il est possible de trouver un responsable lorsqu’un manquement est constaté ? A cette question, qui a été récemment d’actualité lors de la pénurie de masques, personne n’a été capable de répondre, y compris le ministre de tutelle.

Un dangereux et coûteux phénomène domino

Un milliard de soutien, mais aucun centime de prévu pour dédommager les victimes des abus de certaines CAF

Cet excès de bureaucratie, de technocratie et d’énarchie au sommet de l’Etat augmente l’épaisseur du millefeuille car il se reproduit à l’échelon régional et départemental. Toutes les agences régionales de santé (ARS) sont organisées sur le modèle parisien avec une surcharge de personnel administratif. Quant aux agents des cent Caisses d’Allocations Familiales (CAF) qui représentent le dernier maillon de la chaîne sanitaire et sociale, ils devraient, pour être performants,  connaître des milliers d’articles de loi que  les avocats les plus compétents ont déjà du mal à décortiquer. Le moindre litige avec une CAF ne relève pas seulement du code de la Sécurité Sociale mais peut très vite bifurquer vers celui du code Administratif, du code de l’Administration Publique, du code des Collectivités Territoriales, du code de la Famille, du code de la Santé, du code du Travail et du code civil. Beaucoup de procédures portant sur des montants allant de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers d’euros ne trouvent leur épilogue qu’à la Cour de Cassation ou au Conseil d’Etat mais pas toujours et il est fréquent qu’elles soient renvoyées à leur tribunal d’origine pour être rejugées. Chaque étape judiciaire est assortie d’une demande d’aide juridictionnelle, ce qui coûte chaque année des dizaines de millions d’euros aux contribuables et alourdit la justice. Les présidents départementaux, faisant confiance en leurs directeurs du contentieux et des affaires juridiques, cautionnent leurs agissements, ne lisent pas les jugements et il arrive que certains d’entre eux, à l’instar de celui de la Loire, médecin de profession dans le civil, assimile les attestations médicales de ses confrères à des certificats de complaisance , ce qui ne l’empêche pas une fois devenu membre du Sénat d’y siéger au sein de la Commission des Affaires Sociales ! Dans ce contexte et malgré les milliards provenant de la Commission Européenne, la France va avoir du mal à réparer les dégâts causés par la pandémie pour la simple et unique raison que ses territoires ne sont pas préparés pour affronter un tel défi. Les Auvergnats et les Rhône-Alpins en ont eu la preuve le week-end dernier  lorsqu’ils ont acheté leur quotidien et découvert, à côté du programme télé, un supplément rédigé par les collaborateurs du président de région Laurent Wauquiez qui ne rate jamais une occasion pour prendre une revanche sur sa défaite au sein de son propre parti. Dans ce document de 12 pages, il annonce une plan de relance régional d’ un milliard d’euros, sans se rendre que cette « générosité » de circonstance ne correspond qu’à 125 euros par habitant, soit exactement le montant que s’autorise à saisir arbitrairement la CAF de la Loire sur les minima sociaux de personnes en situation extrême de précarité et parfois, retraitée et sans domicile fixe. Dans aucun pays d’Europe de telles méthodes sont autorisées et la France, sur le plan social, plutôt que donner des leçons de justice à certains de ses partenaires européens serait bien inspirée de balayer devant sa porte et son gouvernement de prier certains représentants des territoires de faire le ménage dans leurs services. vjp

 

 

 

 

2015-710 du 22 juin 2015, le soutien des cabinets ministériels, des ministres délégués ou des secrétaires d’État relevant des ministères sociaux (solidarités et santé, travail, sports).

Cette structure assure le traitement des demandes des membres du Gouvernement relevant des ministères sociaux en lien avec les directions et délégations rattachées au Secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales

 

 

 

 

 

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