La fausse-couche, un sujet toujours tabou

Roumanie – Parmi les quelques avantages qu’a eus la pandémie, le non des moindres est celui qui consiste à mettre au jour des problèmes de santé qui, sans elle, auraient continuer à être ignorés. Plus les populations sont défavorisées sur le plan social et plus ces révélations prennent de l’ampleur. C’est le cas notamment en Roumanie où les femmes sont toujours victimes de tabous qui légitiment les violences conjugales mais aussi, ce qui est moins voire jamais évoqué, le nombre croissant de fausses-couches. Selon des statistiques plus ou moins officielles, de 10 à 15% des grossesses volontaires n’arriveraient pas à leur terme dans ce pays où les naissances sont motivées autant par l’amour que par la foi. Une femme qui n’a pas d’enfant n’est pas une femme normale quand elle n’en souhaite pas mais elle ne l’est pas non plus lorsqu’elle ne peut pas en avoir.

Fausse-couche et femme « fautive »
Une fausse-couche est déjà un drame pour toutes celles qui aspirent à donner la vie, elle devient un cauchemar lorsque sur la grossesse interrompue se greffe le regard désapprobateur de la société environnante et de l’entourage de la femme « fautive ». Les fausses-couches concernent en Roumanie au cours des douze premières semaines de grossesse 10% des femmes âgées de moins de 30 ans, 20% des femmes de 35 à 39 ans et 50% de celles de plus de 45 ans, un âge qui paraît très élevé en occident mais qui est fréquent dans les pays où on assimile encore la femme à une machine à faire des bébés, une machine sans maintenance qui doit fonctionner même lorsque certaines pièces détachées sont défectueuses. Cette image est brutale mais elle doit l’être car elle reflète, hélas, la réalité. En effet, si les femmes n’étaient pas considérées comme des objets, la plupart de celles qui vivent involontairement une interruption de grossesse pourraient s’épanouir comme toutes celles qui réalisent le rêve d’avoir un enfant. Toutes les causes ou presque d’une fausse-couche sont connues, détectables et de surplus soignables. Elle est généralement due à un développement anormal du placenta, à des maladies chroniques à l’instar du diabète dont sont porteurs souvent sans le savoir les géniteurs, à des défaillances de la thyroïde mais aussi dans la plupart des cas à des problèmes sanguins générés par des thromboses affectant la circulation du sang. A ces causes cliniques, s’ajoutent des facteurs plus insidieux et beaucoup plus difficiles à gérer, telles ces femmes qui aspirent à enfanter pour trouver un sens à la vie et s’échapper des contraintes imposées par leur environnement familial ou conjugal. La grossesse comme échappatoire et exutoire à un noir destin tracé d’avance est un phénomène courant dans les pays où les femmes n’ont que leur corps pour trouver un sens à la vie. Une fausse-couche est toujours un moment difficile à passer et certaines femmes, quand elles s’en remettent, ont souvent besoin de nombreuses années pour l’accepter et éventuellement l’oublier. Les conséquences psychologiques peuvent être fatales dans des pays comme la Roumanie où le machisme autorise le géniteur à faire porter la responsabilité sur une épouse « défaillante ». Des gynécologues-femmes, à l’instar du Dr.Alina Corpade, médecin exerçant à Timisoara et interviewée récemment par l’Allgemeine Deutsche Zeitung, s’inquiète de ce tabou que sont ces interruptions de grossesse dont personne ne parle parce qu’elles sont involontaires. Si elles avaient l’objet d’autant de publicité que les lois dépénalisant les avortements, des milliers de vies auraient pu être sauvées, de drames évités et autant d’enfants désirés auraient pu voir le jour. Alina Corpade conseille à toutes ses patientes de plus de 35 ans d’effectuer un test de thrombophilie mais n’est guère entendue car cette mesure de prévention n’est pas remboursée par les caisses d’assurances maladies. Les hôpitaux et maternités qui accueillent les jeunes mères portant un enfant dont le cœur ne bat plus, sont obligés de les renvoyer chez elles dans la détresse la plus totale où elles s’entendront dire par une mère éplorée : « Ce n’est pas trop grave, ma fille, tu es encore jeune ! » Une phrase, qu’il faut à tout prix éviter de prononcer car, selon Alina Corpade, elle cause davantage de dégâts qu’elle ne console. La gynécologue rêve d’un système de santé qui n’oublierait pas ces victimes à la fois silencieuses et honteuses et mettrait à leur disposition des psychologues susceptibles de les rassurer et de leur redonner l’espoir. De ces spécialistes post-traumatiques, l’Europe devrait en être bientôt dotés grâce au covid 19. Il ne reste plus qu’à espérer qu’il leur reste un peu de temps libre pour s’occuper du sort de ces femmes qui n’ont pas attendu l’arrivée d’un virus pour souffrir et parfois songer à mettre fin à leurs jours ! (Source : adz/ Raluca Nelepcu – Adaptation en français : pg5i/vjp)

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