La conquête spatiale est l’affaire de tous, riches et pauvres

Hongrie/Russie/Etats-Unis/ UE – La Hongrie ne se contentera pas d’un rôle d’observateur dans la conquête spatiale qui s’impose déjà comme le plus grand défi auquel tous les pays sans exception vont être confrontés  Elle veut agir activement dans son développement car son passé scientifique le lui autorise. Ce n’est pas parce qu’elle fait partie, démographiquement parlant, des plus petites Républiques du continent européen qu’elle se pliera aux volontés des puissants. Deux jeunes juristes, Istvan Sarhegyi et Tamas Darvas, se sont spécialisés dans le droit spatial, qui était une affaire d’Etats jusqu’à ce qu’Elon Musk vienne s’immiscer dans ce qui est considéré comme le plus grand des enjeux de notre siècle. Alors que la vraie révolution est déjà spatiale, elle est insuffisamment réglementée et laisse la porte ouverte à des acteurs privés qui, à  l’instar du fondateur de SpaceX, partent du principe qu’étant donné que l’espace n’appartient à personne, il est de fait la propriété de tous. Selon Tamas Darvas, qui a accordé la semaine dernière avec son collègue une interview à la Budapester Zeitung (BZ) « nous allons être confrontés à de sérieux problèmes si le partage de l’espace n’est pas clairement défini » avant de constater qu’en tant qu’avocat il lui arrive « de régler des litiges entre particuliers ou entreprises qui se querellent pour un petit morceau de terre, que va-t-il advenir lorsqu’il sera question de se partager la surface de la lune ? ».

Istvan Sarhegyi
Tamas Darvas

Le droit spatial : une discipline hongroise

Les deux spécialistes se battent pour que leur pays se dote d’un agence spatiale à l’instar de la Roumanie, de la République Tchèque, de la Pologne et de l’Autriche. Ils rappellent que la Hongrie a joué un rôle déterminant dans la conquête spatiale sous l’ère soviétique .  C’est un Hongrois, Gyula Gal, décédé en 2012 à l’âge de 86 ans, qui a été le premier en 1960 à s’atteler à un droit de l’espace et son ouvrage « Space Law »,  traduit en 1969 en anglais, fait toujours référence. Discipline qu’il a enseignée à partir de 1972 à l’Université Lerand Eötvös puis à l’Institut international de l’Université Catholique de Budapet jusqu’en 2010, c’est-à-dire jusqu’à l’âge de 84 ans ! Membre,  éminent et unanimement reconnu,  de l’Académie Internationale d’Astronautique, sa vision sur la délimitation ou la définition de l’espace extra-atmosphérique décrite en 2010 dans Spaceflight fixe un cadre à l’utilisation du cosmos en tant que bien collectif. «  Comme le droit ne régit pas les activités dans un espace délimité mais des activités menées par mouvement orbital, écrivait-il, la liberté de l’espace signifie la liberté de toutes ces activités ». Dans ce contexte la notion de superpuissance, logique sur la planète terre, n’a plus de réelle signification à l’échelle de l’univers, ce qui permet à n’importe quel pays, quelles que soient sa taille et sa démographie, de participer à la conquête spatiale. Sarhegyi et Darvas rappellent, par ailleurs, que la République Populaire de Hongrie et ses scientifiques ont joué un rôle de premier plan dans la stratégie de l’Union Soviétique. Le dosimètre Pille qui permet de mesurer l’exposition aux rayonnements des cosmonautes lorsqu’ils se trouvent à l’extérieur de la station spatiale est une invention hongroise. Cet appareil de mesure a été utilisé pour la première fois par le premier cosmonaute hongrois envoyé dans l’espace Bertalan Farkas (notre photo) devenu et demeuré une star après la chute du régime soviétique. Le système Pille, développé par l’institut des sciences atomiques de Budapest, amélioré depuis son invention, est toujours utilisé lors des vols habités. A la question de savoir, pourquoi ces découvertes sont aussi peu connues du grand public, les deux juristes apportent une réponse : « la recherche spatiale, intégrée au sein du ministère du développement, n’a jamais été reconnue comme un secteur spécifique. »  En 2018, le gouvernement de Viktor Orban a pris la décision de la rattacher au ministère des Affaires Etrangères, le meilleur moyen de la faire reconnaître à l’international.

Des acteurs jeunes, réalistes et brillants

Une délégation dédiée à la recherche aérospatiale a été créée au sein du ministère. Dirigée par une scientifique de renom, diplomée de l’Université des Technologie de Budapest et de l’Institut d’Electronique de Karlsruhe, Orsolya Ferencz (notre photo) a pour mission de coordonner les actions de tous les intervenants, entreprises privées et organismes publics. Son objectif prioritaire va consister à faire augmenter la contribution de la Hongrie à des programmes aérospatiaux internationaux qui, avec 6,2 millions d’euros est trop modeste comparativement à celle de la Roumanie (42,6 mil.), de la Pologne (34,6 mil.) et de la République Tchèque (32,54 mil.). Orsolya Ferencz a une vision globale du cosmos tout en gardant les pieds sur terre. Elle souhaite collaborer étroitement avec le ministère des ressources humaines car l’aérospatiale va générer de nouveaux métiers qui vont nécessiter de nouvelles formations. Elle part du principe que tous les pays, quels qu’ils soient, ont leur place dans les futurs enjeux qui naîtront de l’espace, cite le Nigéria, le Pakistan, le Bangladesh  mais aussi la Bulgarie, le pays le plus pauvre de l’Union Européenne qui a jugé utile de rejoindre le club des satellites. L’Université Technique de Budapest dispense des cours en ingénierie spatiale et l’université Loránd Eötvös forme à des masters en géophysique et sciences spatiales. La déléguée à la stratégie aérospatiale hongroise n’agit pas sur un terrain vierge mais au contraire sur un sol fertile qui occulte déjà les frontières terrestres en s’impliquant aussi bien dans des programmes européens que russes. Depuis plusieurs mois, ils sont de plus en plus nombreux les observateurs à jeter leur regard sur la Hongrie lorsqu’il est question du potentiel des technologies aérospatiales  et si ce pays retient autant l’attention c’est parce que ses acteurs sont la fois jeunes, enthousiastes,  réfléchis et cultivés. Lorsqu’ils s’expriment, ils évoquent le passé et rappellent que dans les années 1960, les Etats-Unis étaient sur de nombreux points dans le domaine de l’aérospatial en retard par rapport à la Hongrie.  « A cette époque, beaucoup d’Américains avaient reproché au Président Kennedy de vouloir envoyer des hommes sur la lune » déclare Tamas Darvas qui insiste sur l’importance de la pédagogie. « Il faut que les populations comprennent qu’investir dans la recherche spatiale ne consiste pas à jeter l’argent par la fenêtre mais à repenser l’équilibre de la planète » .

Un double usage : militaire et civil

Le juriste fait ici écho à Orsolya Ferencz qui évoque de son côté le « dual use » c’est-à-dire les applications militaires puis civiles des recherches dans l’aérospatial. Sans les satellites et la recherche spatiale, il n’y aurait pas de bombardements ciblés pour lutter efficacement contre le terrorisme mais il n’y aurait pas non plus de prévisions météorologiques ou d’iPhones. Il est évident que lorsqu’un agitateur de la dimension d’Elon Musk fait une apparition des plus concrètes en envoyant dans l’espace une Tesla dont les batteries sont chargées au lithium, une matière première disponible sur la lune, il sème le trouble et transmet un message qui, selon Tamas Darvas, en devient « sexy ». « Si nous avions ici une personnalité comparable à Musk, qui explique clairement les choses, les populations comprendraient et accepteraient mieux les investissements destinés à la recherche spatiale. » Il est évident que l’amerrissage réussi de la capsule SpaxeX crédibilise ce qui a longtemps été considéré comme une utopie. Elon Musk n’a pas seulement réussi son pari, il a bouleversé la donne, défini un nouveau cadre d’interprétation de l’espace et fait passer des opérateurs puissants à l’instar de la NASA de l’état d’opérateur à une situation de sous-traitant. Preuve est désormais faite qu’une initiative privée peut être plus performante qu’une organisation publique multilatérale qui passe plus de temps à négocier des accords et protéger des intérêts qu’à construire des fusées et agir concrètement dans l’univers. (Source : Budapester Zeitung – Elisabetn Katalin Grabow / Adaptation en français : pg5i/vjp). Nombre de mots : 1.280)

 

 

A nos lecteurs

Si cet article vous a plu, nous nous en réjouissons, mais si vous avez pu le lire, c’est grâce à nos éditeurs partenaires qui nous cèdent gratuitement depuis bientôt cinq ans l’ensemble de leurs contenus afin qu’ensemble nous puissions construire une Europe plus juste et plus égalitaire dotée d’une presse indépendante éloignée des lobbies privés et des institutions publiques.

www.pg5i.eu est devenu la propriété de l’association ADEOCSE (Association pour un Dialogue Est-Ouest Culturel, Social et Economique / Prononcer : adéoxe) ; laquelle s’apprête à constituer un fonds de soutien à la presse indépendante d’Europe Centrale et Orientale dont 60% seront répartis entre nos éditeurs-partenaires, les 40% restants étant destinés à des événements que nous souhaitons organiser en collaboration étroite avec nos lecteurs.

Soutenir ADEOCSE, c’est avoir accès à près de 1.000 articles publiés depuis 2015, c’est découvrir l’Europe telle qu’elle est,   mais c’est aussi et surtout permettre à des journalistes de travailler librement avec moins de pression et quelques euros en plus pour vivre plus dignement.

Mais soutenir ADEOCSE et lire www.pg5i.eu, c’est aussi agir activement à l’édification d’une Europe plus grande, plus juste, sans préjugés et sans clichés.  

  Pour vos dons, cliquez ici

 

 

 

 

 

 

 

 

 

error: Content is protected !!