La Biélorussie face à une Révolution avortée

Biélorussie/Russie – « World of Tanks » a beau s’inscrire parmi les jeux vidéo les plus visionnés au monde , très peu savent qu’il a été conçu en Biélorussie, un pays considéré avant les élections présidentielles, comme la Silicon Valley de l’Europe Orientale, un exploit pour ce pays d’à peine dix millions d’habitants qui se voit faire l’actualité non pas pour ses performances technologiques mais pour avoir à sa tête un homme contesté et assimilé au dernier dictateur du continent européen tout entier. L’ascension biélorusse dans l’univers du numérique ressemble à un conte  de fée qui a démarré après  la chute du régime soviétique pour se poursuivre avec à l’arrivée au pouvoir d’Alexander Lukaschenko,  un homme aux œillères communistes qui a préféré laisser les ingénieurs s’agiter dans leur coin plutôt que de mesurer le potentiel de ce nouveau secteur. Il a fallu attendre 2005 pour que les états-majors  prennent conscience des capacités hors pair des jeunes Biélorusses en matière de télécommunications et de développements de logiciels,  mettent à leur disposition et financent  à Minsk un pôle des hautes-technologies auquel adhèrent plus de 840 entités. De cette pépinière sont nés des projets et  applications mondialement reconnus, à l’instar de Messenger Viber (un milliard d’utilisateurs), Fitness Verv (plus de 75 millions d’abonnés) mais aussi de l’application MSQRD pour selfies sur iPhone et iPad, acquise en 2016 par Facebook. Douze ans plus tard, en 2017, la reconnaissance internationale des travaux de ses compatriotes incite le président de la République  à faire adopter un décret spécifique au développement de l’économie numérique et plus particulièrement du e-commerce.

Kirill Golub
Mikita Mikado

Retour à la case départ

Minsk devient alors un paradis pour tous les intervenants du secteur en quête de financement. « Il est impossible de trouver à 1.500 kilomètres à la ronde un lieu plus propice au digital que l’est Minsk » déclarait cette année-là Kirill Golub, créateur du programme Aheadworks pour Magento, à la chaîne internationale allemande Deutsche Welle.  A ce climat favorable est venu se greffer en 2018 l’autorisation des visas pour les occidentaux, ce qui a contribué à l’arrivée massive d’investisseurs étrangers, dont Google, Yandex et EPAM, attirés par le savoir-faire du personnel biélorusse, une main d’œuvre hautement qualifiée et bon marché dont le salaire moyen ne dépasse qu’exceptionnellement les 1.800 dollars par mois, soit quelque 1.500 euros. Mais cette période prometteuse n’a été que de courte durée. Elle s’est achevée 9 août 2019, au lendemain d’élections présidentielles outrageusement organisées par un homme prêt à tout pour rester au pouvoir. Parce qu’ils s’étaient fait fort de manifester pacifiquement contre des hommes armés jusqu’aux dents, les opposants ont été salués et admirés de toute part et jamais, depuis sa création en mars 1918, on avait autant entendu parler de cette République née des cendres de la 1ère guerre mondiale. Mais cette reconnaissance n’a été que de courte durée et dès l’automne, les Biélorusses se sont retrouvés face à leur destin, coincés entre leurs aspirations occidentales et leur soumission à la fédération de Russie.  Les génies de l’informatique qui, à l’instar du cofondateur de PandaDoc,  Mikita Mikado, avaient eu l’audace de se solidariser avec les manifestants, ont vu leur locaux perquisitionnés et bon nombre de leurs employés placés en garde à vue, comme au bon vieux temps de ce qu’on appelait en occident, la « dictature douce ».  Les start-upers ne sont pas les seuls à s’interroger, aujourd’hui, sur leur avenir mais ils sont en revanche les seuls à pouvoir encore rêver d’un avenir meilleur mais ailleurs, c’est-à-dire en Lituanie, Pologne ou Ukraine, trois pays qui leur tendront les bras si la situation venait à se détériorer. En 2018, l’économie du numérique employait 54.000 personnes et a généré un chiffre d’affaires de 3,1 milliards de dollars, soit 5,7% du PIB et autant que les ressources provenant de l’agriculture  ou de l’industrie du bâtiment. Ces trois secteurs complémentaires devraient suffire pour garantir la paix, la démocratie et la justice sociale. Cette révolution avortée dans un pays de dix millions d’habitants coïncide à quelques mois près, avec celle, latente et perceptible  dans un territoire 33 fois plus peuplé en l’occurrence les Etats-Unis et dans les deux cas, on constate que les politiques ne sont plus en mesure de répondre aux attentes de ceux qu’ils sont censés protéger, ce qui signifie qu’il est urgent d’inventer une nouvelle définition au pouvoir et une nouvelle forme de démocratie par nécessité hybride c’est-à-dire donnant autant de pouvoir aux structures civiles qu’aux entités purement politiques.   (Source : MoskauerDeutscheZeitung/Daniel Säwert – Adaptation en français : pg5i/vjp)Nombre de mots : 1.012

 

 

 

 

 

 

 

 

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