Interdire l’AfD : quelle drôle d’idée !

Allemagne – Comme si le gouvernement allemand n’avait pas suffisamment de problèmes à régler, voilà qu’il va être contraint de se pencher sur un dossier extrêmement sensible, né de l’initiative de la présidente du parti-social démocrate (SPD), Saskia Esken, laquelle continue à se battre pour une interdiction pure et simple du parti d’extrême-droite AfD.

Saskia Esken ne semble plus comprendre le monde dans lequel elle vit.

Ce sujet clive la société car l’Alternative für Deutschland a beau propager des discours antidémocratiques, il n’en demeure pas moins qu’elle a prospéré démocratiquement grâce à des millions d’électeurs qui lui permettent aujourd’hui de battre en brèche les discours convenus dont sont las de plus en plus d’Allemandes et d’Allemands. Il est d’ores et déjà évident que Saskia Esken, à l’instar de ses collègues de toutes les autres formations, appréhendent les scrutins qui vont avoir lieu à l’automne prochain dans les trois länder de l’est de la République que sont la Thuringe, la Saxe et le Brandebourg. Trois régions où l’AfD est parvenue à s’imposer comme la plus grande force d’opposition aux Parlements. Cette formation politique, à l’instar du Rassemblement National en France, ne peut plus être qualifiée de « marginale » comme le fut autrefois le Parti National Allemand (NPD), un groupuscule ouvertement néo-nazi qui n’avait jamais pu franchir la barre des 5% nécessaire à une présence dans les assemblées régionales et locales. Ce cap les fondateurs de l’AfD puis leurs successeurs ont su habilement et allègrement le passer en utilisant des arguments qui ont fait mouche auprès de tous ceux, de plus en plus nombreux, qui ne trouvent plus leur place dans la société.

Interdiction et exacerbation de la violence

La hausse des prix, la peur du déclassement, la crise migratoire, les débats souvent contradictoires sur le climat, les milliards d’aides à l’Ukraine alloués au détriment des classes défavorisées, un gouvernement de coalition qui ne fait plus l’unanimité y compris au sein des partis qu’il est censé représenter, un chancelier hésitant et sans leadership, toutes ces réalités expliquent en partie la montée en puissance de l’AfD qui, par ses positions pour le moins radicales, est la seule à pouvoir en faire la synthèse. Un nombre croissant d’observateurs n’excluent plus l’hypothèse de voir l’AfD arriver en tête dans l’une ou plusieurs des régions mentionnées ci-avant (*). Saskia Esken, aurait été bien inspirée de réfléchir avant de poursuivre son combat pour une interdiction de l’AfD car ce dernier risque de produire l’effet inverse de celui recherché. Lors des scrutins, les électeurs du parti honni opteraient pour l’abstention ou le vote blanc, ses leaders et soutiens profiteraient de l’aubaine pour endosser le costume de martyrs ou d’opprimés et l’Allemagne se verrait scinder en deux camps, celui qui participe à la vie sociale en votant et celui qui, volontairement, s’en échappe. A preuve du contraire, la censure à l’égard d’une force politique n’a jamais résolu les problèmes de sociétés, au contraire elle a plutôt tendance à les envenimer. Mme Esken devrait jeter un œil dans les archives de son propre parti qui, sous le mandat de Gerhard Schröder a été à l’origine de l’interdiction du NPD, une procédure qui avait duré près de cinq ans avant d’aboutir en 2017. Une fois officiellement dissous, les membres de cette formation extrémiste n’ont pas disparu pour autant dans la nature, ils ont continué à agir. Preuve en est : en 2018, le ministère de l’Intérieur enregistrait un nombre record (plus de 19.000) d’actes racistes ou antisémites, soit une moyenne de cinquante-deux par jour, dont ont été majoritairement victimes les communautés juive et turque.

Instagram plus dangereux que l’AfD

Saskia Esken fait partie de ces personnalités qui s’imaginent encore que la politique peut tout solutionner, qu’il suffit de faire adopter une loi pour transformer toute une population en un troupeau docile et obéissant. Or, il serait temps qu’elle comprenne le monde dans lequel elle vit, non pas le sien ,fait de confort et sécurité assurée, mais celui qui l’entoure. Elle devrait prendre conscience que ce monde là qui lui est apparemment de plus en plus étranger, non seulement ne prend plus pour argent comptant les promesses des partis traditionnels, mais tend à privilégier la rumeur sur la réalité des faits. La lutte contre l’extrême-droite ne passe pas par l’interdiction d’un parti qui la représente mais par un combat incessant contre la désinformation. En tant que députée et accessoirement informaticienne de profession, elle devrait commencer par un combat contre la désinformation. Le plus grand danger n’est pas l’AfD mais Instagram, qui vit des mythes de la rumeur. Sur cette plate-forme il a été propagé que les réfugiés ukrainiens recevraient soi-disant des allocations familiales plus importantes que celles allouées aux Allemands et que ces mêmes réfugiés bénéficieraient, en plus, d’une aide de 250 euros attribuée par les agences pour l’emploi, que Google et Apple Maps auraient supprimé le nom de la Palestine sur leurs cartes alors qu’elle n’y a jamais été mentionnée, et enfin que le président ukrainien profiterait de la guerre pour s’approvisionner en cocaïne dont il serait friand. Autant de mensonges qui ont circulé à travers une toile nauséabonde sur laquelle les autorités n’ont plus la moindre influence. Toutes les formations politiques, y compris l’AfD, ne sont pas à l’abri des méfaits des réseaux sociaux, et s’il en est ainsi c’est parce que les gouvernants ont eux-mêmes préféré profiter de ces nouveaux canaux plutôt que de les encadrer. Une grande partie des médias traditionnels ferme aussi les yeux face à cette évolution et ne s’émeut plus de voir des personnalités, politiques notamment, s’exprimer en exclusivité sur Facebook, X ou Instagram plutôt sur dans leurs colonnes ou sur leurs ondes. Nous vivons une époque où le moindre événement peut prendre une ampleur démentielle. Autrefois, lorsqu’un chef d’Etat ou de gouvernement accordait une interview à un magazine ou une chaîne de télévision, tout le monde l’écoutait. Le contenu de l’entretien était salué ou critiqué par des personnes au fait de l’actualité, aujourd’hui il est commenté par des centaines de milliers de personnes le plus souvent aussi incultes les unes que les autres. Dans ces conditions ce serait un miracle de ne pas voir des brebis s’égarer du troupeau. La désinformation consiste à faire croire à une autre réalité qui n’existe pas, elle est le plus grand poison de nos démocraties. Ce que tout démocrate attend de ceux que le gouvernent, est de trouver l’antidote. Compte tenu des moyens dont nous disposons, il devrait être possible d’imposer des règles strictes aux exploitants de plate-formes numériques, d’évaluer les quantités de données en temps réel et de tracer leurs voies de diffusion. Etant donné que les réseaux sociaux influencent à grande échelle les jeunes générations, le monde enseignant devrait être formé à la détection des fausses informations ou toute forme de manipulation et à l’apprentissage de la vérité. Cela suppose des moyens accrus dans l’éducation nationale qui ne sont, hélas, pas d’actualité. kb & vjp

(*) Il est fort possible que l’AfD arrive en tête dans ces trois länder mais, en revanche, il est peu probable qu’elle obtienne la majorité absolue. Dans le Brandebourg, la Saxe et la Thuringe, le parti détient à ce jour respectivement 23 (sur 88), 35 (sur 119) et 19 (sur 90) sièges Pour diriger, seule, un de ces länder, elle devrait gagner 21 sièges dans le Brandebourg, 25 dans la Saxe et 27 en Thuringe. Dans un pays démocratique un parti peut arriver en tête, ce qui ne signifie pas autant qu’il peut le diriger. Cela vaut à l’échelon national, à l’instar de ce qui s’est produit en Pologne, mais aussi au niveau régional. C’est la raison pour laquelle l’initiative de Saskia Esken est loin de faire l’unanimité, y compris dans les rangs de son propre parti. En réalité, en se comportant de la sorte, la présidente du parti social-démocrate ne fait que promouvoir le parti qu’elle veut détruire.


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