Europe Centrale : une crise pour mieux s’affirmer

Europe Centrale / Hongrie / République Tchèque / Slovaquie / Pologne – Le Covid 19 a brouillé les cartes sur tous les territoires de la planète mais a mis à mal plusieurs d’entre eux qui s’apprêtaient à s’immiscer dans la cour des grands. Et parmi ces pays, dont l’espoir était permis, se trouvent les quatre membres du groupe Visegrad (V4), la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la République Tchèque, un bloc qui, sans la pandémie, aurait allègrement franchi, cette année, la barre des mille milliards de Produit Intérieur Brut, ce qui leur aurait permis de se rapprocher de la quatrième puissance européenne, en l’occurrence l’Espagne.

La République Tchèque devant le Portugal

L’an dernier, à population égale, la République Tchèque était déjà parvenue avec un BIP de 220 milliards d’euros à damer le pion au Portugal (212 Mrd.) et à dépasser allègrement les performances de la Grèce, démographiquement comparable (187 Md.). Mais la pandémie a eu, en ce qui concerne le V4, un double impact, matériel et psychologique car elle a coïncidé avec le centenaire du Traité du Trianon, consécutif à celui de Versailles, lequel est toujours considéré dans cette partie du centre de l’Europe, comme une humiliation et une blessure qu’un siècle n’a pas suffi à cicatriser. Si Viktor Orban, tant décrié en Europe Occidentale, demeure plébiscité par une majorité de Hongrois , c’est parce le ministre-président n’a jamais oublié les centaines de milliers de ses compatriotes qui ont été arbitrairement dépossédés de leur nationalité au lendemain de la Première Guerre Mondiale, un conflit dont les conséquences pèsent toujours dans la mémoire collective du peuple hongrois. Ce dernier appréhende la crise sanitaire actuelle dans un autre esprit que les occidentaux car, quel que soit le bilan de la pandémie, il ne pourra jamais être pire que les souffrances qu’il a endurées entre 1920 et 1990, sept décennies au cours desquelles il ne s’est passé d’année sans soumission à des régimes qui lui ont été imposés. Budapest est dotée d’un musée de la Terreur soviétique mais aussi depuis peu d’un mémorial (notre photo) qui rappelle que le pays a perdu du jour au lendemain, douze mille communes devenues propriété de la Roumanie et des ex-Tchécoslovaquie et Yougoslavie.

La revanche sur l’Histoire

Les membres du V4 se sentent autorisés à bénéficier du fonds de cohésion car ce dernier n’est qu’une compensation dues à des incohérences historiques dont ils ont été les premiers à payer le tribut en leur faisant perdre leur âme, leurs cultures et une partie de leurs populations. Certes, la manne en provenance de Bruxelles n’atterrit pas toujours là où elle est attendue mais souvent dans l’escarcelle de proches des dirigeants en fonction ou de leurs amis mais ce phénomène n’est pas propre à l’Europe Centrale. Il est une tradition dans tous les pays européens, dont la France où on s’aperçoit que tous les conglomérats qu’ils s’appellent Vivendi, Bolloré, Bouygues ou Dassault sont tous proches du pouvoir, quelle que soit sa couleur, ce qui leur permet de faire main basse sur les médias sans que la Commission Européenne ne s’en offusque. Mais malgré la pandémie, les membres du groupe V4 ont toutes le chances de pouvoir donner des leçons de gestion aux puissances occidentales. Parce qu’ils ont appréhendé la crise sanitaire de manière plus démocratique et rationnelle et ce, en laissant les entreprises prendre leur responsabilités, l’économie n’a jamais été au point mort dans le centre de l’Europe comme elle l’a été à l’ouest. L’un des plus beaux et prestigieux hôtels de luxe de Budapest, le Kempinski, bien que générant plus de 90% de ses ressources par le truchement du tourisme d’affaire, est resté ouvert et a profité de la crise pour avancer des travaux de rénovation et se préparer à une nouvelle forme d’exploitation de ce type d’établissements dont une partie sera réservée à l’avenir à des espaces de travail ouverts temporairement aux cadres de sociétés désireuses de s’implanter en Hongrie. Alors que les portes de Leroy Merlin ou de Brico Dépot sont restées closes pendant trois mois en France, les vingt magasins de Praktiker en Hongrie, qui emploient 1.600 personnes sur plus de 130.000 mètres carrés de surface de vente, ont été opérationnels et il en a été de même des 340 fournisseurs qui assurent 80% de l’offre de cette chaîne de bricolage qui a très vite pris conscience qu’un nombre conséquent de personnes confinées allait profiter de cette période d’isolement forcé pour rénover leur habitat. La perte forcée de clients, physiquement présents dans les filiales, a été compensée par une vente accrue en ligne, ce qui a permis au directeur général du groupe, Karl-Heinz Keth, d’éviter le recours au chômage partiel tout en améliorant ses outils numériques. Non seulement, personne n’a été licencié, mais les travaux de rénovation prévus dans les succursales de la capitale, n’ont pas été interrompus.

Des fleurons épargnés

Chaque semaine depuis le début de la crise sanitaire, la « Budapester Zeitung » , partenaire de notre site, dresse le portait d’une entreprise qui est parvenue à maintenir un minimum d’activité pour éviter les plans sociaux, le chômage partiel et, naturellement, les dépôts de bilan et leurs irrémédiables licenciements, un dommage collatéral qui risque de provoquer à moyen terme davantage de victimes que le virus. La gouvernement hongrois a tenu à préserver quoiqu’il arrive, deux secteurs, celui de l’automobile et celui du bâtiment et des travaux publics, sans lesquels il aurait été vain d’envisager ne serait-ce qu’une once de reprise économique. Les unités de fabrication d’Audi Hungaria se sont adaptées aux règles de distanciation physique pour reprendre une partie de leurs activités. Le groupe Leier, plus gros fournisseur en Europe Centrale de produits destinés aux constructions de bâtiments individuels ou collectifs non seulement n’a pas licencié un seul de ses salariés mais il n’a pas eu recours au chômage partiel. Parce que ses matières premières, au premier rang desquelles le bois et le ciment, étaient disponibles sur place ou dans des pays limitrophes (Roumanie, Slovaquie, Autriche et Serbie), l’offre a pu répondre à la demande de chantiers en cours dans la capitale mais aussi dans la plupart des pôles industriels, dont Pecs et Györ sont les plus emblématiques. Le groupe Leier, fondé en 1965 par Michael Leier , alors âgé de 19 ans, à Horitschon en Autriche, fait partie de ces sociétés familiales qu’affectionnent et choient les pays d’Europe Centrale, car elles ont pour habitude de réinvestir systématiquement la quasi intégralité de leurs bénéfices dans la recherche, le développement, la masse salariale et la formation du personnel. Dix-huit membres de la famille perpétuent son nom en Pologne, Croatie, Roumanie, Slovaquie et depuis peu en Ukraine, où sont fabriqués tuiles, béton, moellons, éléments de toitures et de revêtements de sols pour jardins, maisons individuelles, logements sociaux et immeubles de bureaux. Le groupe emploie plus de 2.500 personnes, dont beaucoup sont passées du statut d’apprenti à celui de cadre dirigeant. Qu’ils soient autrichiens comme Leier ou allemand comme Otto Bettermann, ces fondateurs de sociétés historiques se sentent bien dans les pays d’Europe Centrale car ils y trouvent un climat, une mentalité et des traditions proches de leurs origines et de leurs méthodes de gestion ; lesquelles placent l’homme plutôt que le robot au cœur des stratégies de développement. Tous ces chefs d’entreprises qui ont généralement commencé petit pour devenir des géants dans leur branche doivent leur réussite pour avoir surmonté des crises qui ont souvent été considérées, à l’instar de celle que nous vivons actuellement, comme inédites alors qu’en réalité elles ne l’étaient pas, car si elles avaient été, nous ne serions plus là pour en parler et en tirer les leçons. Ce qui manque assurément aux sommets des Etats ce sont des hommes qui ont vécu la galère et non de jeunes politiciens qui sont nés pour profiter des souffrances et endurances de leurs géniteurs. Ces hommes qui gèrent en pensant aux autres ne se laissent pas intimider encore moins donner des leçons de démocratie par ceux qui préfèrent la parole et la critique à l’action. Que les dirigeants des pays où ils s’implantent soient ultra libéraux, sociaux-démocrates, chrétiens-démocrates, pro communistes, écologistes ou populistes ne les intéressent pas car ils partent du principe que tous ont été élus démocratiquement et dans certains cas très majoritairement. Parmi les portraits hebdomadaires proposés par la Budapester Zeitung, il en est un qui ne manque pas de sel car il concerne une branche dont on nous dit que ce n’est pas encore demain la veille qu’elle sortira du tunnel. Il s’agit de la compagnie aérienne Wizz Air qui a dû se séparer de 20% de son personnel qu’elle escompte prochainement réembaucher grâce aux nouvelles perspectives de développement que lui a procurées la crise. C’est en effet à Wizz Air que l’Etat a eu recours pour rapatrier les ressortissants chinois séjournant ou travaillant en Hongrie et en faire de même dans l’autre sens pour garantir le retour de Hongrois chez eux mais aussi pour approvisionner l’Europe en masques et équipements médicaux qui lui faisaient défaut. Cette mission a obligé la compagnie à anticiper un développement prévu en direction du continent asiatique et plus particulièrement de Chine où les règles en matière de contrôle aérien sont différentes de celles en vigueur en Europe. En accélérant cette nécessité de formation, la compagnie a vu son nombre de destinations doubler et passer à plus de quarante. Selon Andras Rado, directeur de la communication, la réussite de Wizz Air est due à des appareils récents dont la moyenne se situe à 5,4 ans, ce qui limite considérablement les coûts d’entretien et de maintenance. Tous les avions sont équipés d’un système de filtration des particules, le système HIPO, qui filtre et purifie à 99,97% l’air circulant à l’intérieur des avions. « Les conditions hygiéniques et sanitaires sont comparables à celles d’un service de réanimation d’un hôpital » précise A.Rado qui insiste par ailleurs sur la capacité de la compagnie à traverser une crise. « Contrairement à la plupart des sociétés qui doivent recourir aux aides de l’Etat après quelques mois de cessation d’activités, nous pouvons tenir, grâce à notre trésorerie deux ans. » Mi-juin, Wizz Air commençait à assurer 15% de ses vols quotidiens et la compagnie va tout faire son possible pour ne pas avoir recours à des subventions, ce qui n’est pas, selon le porte-parole du groupe, une solution à long terme car « les soutiens publics perturbent la concurrence et cautionnent les conflits d’intérêts. » D’une manière générale, le monde des affaires est moins pessimiste en Europe Centrale qu’en Europe Occidentale car ses membres, depuis leur entrée dans l’Union Européenne, ont déjà fait leur preuve en matière de crise. De celle de 2008 qu’on nous présentait déjà comme le fléau du siècle, ils ne s’en sont pas plus mal remis que la plupart des membres de l’Union. Mieux, ils ont connu un taux de croissance de deux à trois fois plus élevé que la moyenne européenne. vjp (Source : Budapester Zeitung / Synthèse des éditions N° 14 au N°23)

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