Détresse et optimisme aux portes de l’Europe riche et prospère

Ukraine/UE – Dans l’inconscient collectif des occidentaux, l’extrême précarité semble toujours être l’apanage de certains pays africains ou asiatiques qui nous ont été présentés pendant des décennies par le truchement d’images-choc d’enfants mourant de faim et observant le monde derrière des paupières infestées de mouches ou de moustiques. Mais on oublie trop souvent que la détresse extrême qui frappe toutes les couches de la population se trouve à nos portes, sur le seuil de cette maison Europe dont on veut nous faire croire qu’elle est encore riche et prospère alors qu’elle laisse toujours sur le bas côté de la route des dizaines de millions de personnes, sujettes à une indifférence qui se généralise.

Les personnes âgées sont les plus touchées par la précarité en Ukraine où elles vivent avec deux ou trois euros par jour

Parmi les plus miséreux du continent européen, il en est un qui occupe une position géographique stratégique, dont la superficie est deux fois plus grande que celle de l’Allemagne mais dont la population est deux fois moins importante et s’il est de  plus en plus déserté c’est parce que, justement, on y meurt de faim et peut-être bientôt de soif. L’écrivain, journaliste et essayiste, Christoph Brumme, auteur de l’ouvrage « 111 raisons d’aimer l’Ukraine » (*), vient de publier sur son blog un long article qui décrit à la perfection la situation de totale détresse dans laquelle tente de survivre la majorité de la population ukrainienne. « Un budget de un à deux euros par jour pour les retraités et les mères célibataires est monnaie courante » écrit-il en rappelant qu’en hiver les pensions d’environ 65 euros par mois ne suffisent pas pour payer l’électricité, le gaz, l’eau et le chauffage. 

Survivre grâce au jardin du voisin

Pour manger à sa faim, il faut avoir accès au jardin de son voisin car l’euro manque pour « s’offrir » un kilo de pommes de terre, cinq œufs et une tête de chou. « Mettre fin à l’ère de la pauvreté » : telle a été la promesse du jeune Président Selenjskyj qu’il a tenue en faisant augmenter les salaires de 18% mais sans avoir pu limiter la hausse des produits de première nécessité dont le pain (près de 10% d’augmentation), les fruits (+ 18,8%), le lait et le beurre (+ 7,8%). Seuls les légumes ont connu une légère baisse de 0,8%, ce qui ne suffit pas pour rajouter de la crème dans les épinards. Mais cette misère au quotidien prend un virage désastreux lorsque le membre d’une famille est frappé par une maladie, même bénigne, ou un accident. Quant aux opérations ou amputations, elles ne sont envisageables que si les collectes de dons effectuées par voie de presse portent leurs fruits. Aucune assurance ne couvre dans leur intégralité les frais chirurgicaux et aucun fonds d’urgence n’a été mis en place par l’Etat. C.Brumme cite l’exemple d’un homme qui n’a pu rester que cinq jours en Allemagne pour se faire  amputer des deux jambes mais qui vit désormais chez lui sans aide à domicile et doit s’administrer, seul,  des  médicaments contre la douleur et pour la cicatrisation dont il ne peut comprendre le mode d’utilisation. Selon l’auteur de cet article émouvant, « la plus grave conséquence de cette misère qui s’institutionnalise, est le manque d’engagement des citoyens dans la société civile » .   Alors que 25% des Allemands adhèrent à des associations, ils ne sont que 2% en Ukraine à effectuer cette démarche pour mieux se défendre auprès des administrations publiques locales. Cette passivité, séquelle du régime communiste qui consistait à isoler pour mieux régner, pourra s’estomper grâce aux mesures de décentralisation prises par l’Etat en 2015 et qui ont permis aux collectivités territoriales d’engranger  plus de sept milliards d’euros de recettes fiscales en 2018, soit le triple que trois ans auparavant. 40% des communes ont été fusionnées afin de réduire les coûts de fonctionnement et de rationaliser les investissements.

De la débrouille à la modernité européenne

Mais alors que la solidarité à l’échelon individuel est réelle et efficace, chacun étant prêt à venir en aide à un membre de sa famille ou de son entourage, voisin de rue ou de pallier, en revanche l’union ne fait pas forcément la force lorsqu’il est question d’améliorer les conditions de vie. Les Ukrainiens préfèrent  les relations de personne à personne (« je vais te pêcher un poisson et tu me refiles un kilo de patates ou une poignée de champignons »)   aux mouvements de force. « Les grèves pour obtenir de meilleurs conditions de travail ou des salaires plus élevés ne se produisent que rarement » constate Brumme. Les discours syndicaux n’ont pas beaucoup d’influence car la débrouille a pris le pas sur le rationnel, comme on le conçoit en occident. Et c’est ainsi que la société se scinde en deux blocs, non pas entre les riches d’un côté et les pauvres de l’autre mais entre celles et ceux qui parviennent à s’infiltrer dans des secteurs qui leur garantissent des revenus décents dont les plus cités sont les industries du gaz et du pétrole, les télécommunications et la chirurgie esthétique  et ceux et celles qui se satisfont du marché noir lorsqu’ils sont d’âge mûr ou se réfugient dans la création lorsqu’ils sont jeunes. Le lien entre ces deux mondes pourrait se tisser grâce à la réforme des collectivités territoriales qui donne davantage de moyens financiers aux pouvoirs locaux, ce qui aboutit à la création d’emplois nouveaux dans les secteurs de la culture, de l’environnement et de l’urbanisme. « Parce que les décideurs locaux ont reçu des pouvoirs accrus, beaucoup souhaitent les partager avec leurs administrés » se réjouit Christoph Brumme qui constate ce tournant dans la ville où il vit, Poltava, une cité de 200.000 habitants, proche de la frontière russe qui va bénéficier en cinq ans de 56 millions d’euros pour rénover ses bibliothèques, musées et théâtres et organiser des manifestations culturelles. Bien que son article soit globalement inquiétant et déprimant, il se conclut que une note optimiste car « la société ukrainienne rattrape peu à peu la modernité européenne ».  vjp (Nombre de mots : 1.002)

(*) Publié par la société d’édition Schwarzkopf & Schwarzkopf, nous avons consacré un article à cet ouvrage, non disponible en français, le 2 février dernier.

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