Des experts allemands prônent la retraite à 67 ans minimum

Allemagne/France/UE – A l’instar de la France mais aussi de la plupart des pays européens, l’Allemagne est contrainte à ce jour de s’atteler au sujet ultrasensible qu’est celui du financement futur des retraites. Si, en 2021, le parti social-démocrate (SPD) a pu sauver ses meubles et permettre à son candidat, Olaf Scholz, d’accéder à la Chancellerie, c’est en partie parce que ce dernier avait promis qu’il ne toucherait pas au système de pensions. L’analyse du scrutin aux élections législatives a prouvé qu’une majorité de personnes âgées qui, jusque-là portaient leur voix sur les partis chrétien-démocrate (CDU) ou social-chrétien (CSU), par crainte de voir ses revenus diminués, s’est orientée vers le SPD.

Selon Monika Schnitzer, si rien n’est entrepris, le financement des retraites ne sera plus garanti.

Une République qui vieillit trop vite

Mais c’était sans compter sur la réalité des faits qui a été réaffirmée par le Conseil d’experts pour l’évaluation du développement économique global. Ce comité constitué de cinq experts et présidé par l’économiste Monika Schnitzer s’attelle chaque année aux sujets les plus préoccupants dont celui des retraites. Il a remis la semaine dernière son expertise au Chancelier et à son gouvernement et chargé sa présidente de déclencher l’alarme. Sans ménagement, Mme Schnitzer affirme qu’il faut faire beaucoup plus que ce qui était prévu pour garantir le système public de sécurité vieillesse. Selon elle, il est indispensable que les retraites à l’avenir augmentent moins vite que les salaires et plus particulièrement les plus élevées d’entre elles . Mais Mme Schnitzer va beaucoup plus loin. Elle légitime un âge légal d’accès à la retraite à 67 ans mais quand bien même une telle mesure serait-elle approuvée qu’elle ne suffirait pas pour faire face au changement démographique. Depuis des années, les politiques ont conscience que la population du pays vieillit mais personne ne s’est réellement attaqué à ce sujet brûlant. « On repousse cela jusqu’à ce que ce ne soit plus possible » a déploré Mme Schnitzer dans un entretien qu’elle a accordé au quotidien Süddeutsche Zeitung. En se voilant la face, les dirigeants semblent oublier que le quart du budget fédéral est déjà absorbé par le financement des retraites. Si on continue sur cette voie, d’ici 25 ans, l’Etat Fédéral sera contraint de leur en consacrer 50%.  Pour garantir leur financement le taux de cotisation devra alors atteindre 29%, soit onze points de plus qu’à l’heure actuelle. Mme Schnitzer, dont les connaissances et l’expérience ne peuvent que difficilement être remises en cause (*), se trouve en réalité à quelques nuances près dans la même situation qu’Emmanuel Macron. Elle place l’opinion face à la réalité et les politiques à leur responsabilité. Tous deux ont conscience que le vieillissement très avancé de la population avec ce qu’il implique de coûts en terme de santé et de soins, risque de mettre à rude épreuve le système démocratique toute entier.

Karsten Lummer aimerait déjà savoir quelle taille aura la population allemande en 2070, année au cours de laquelle le Chancelier Scholz pourra fêter sont 112ième anniversaire ?

Des guerres pour garantir les retraites

Les premières victimes de cette bombe à retardement seront les jeunes générations actuelles qui, soumises à des prélèvements exorbitants, n’auront plus la possibilité, contrairement à leurs parents et grands-parents d’épargner pour s’assurer un complément de retraite. Il va sans dire que les deux propositions-phare émises et divulguées par Monika Schnitzer ne sont pas du goût de la plupart des formations politiques pilotées par des personnes qui les dénoncent car elles sont électoralement dangereuses. Ceux qui remettent en cause le diagnostic des experts proposent deux solutions, l’intégration dans le régime général des fonctionnaires et des professions libérales, deux branches aux statuts spécifiques et l’afflux d’une immigration à grande échelle se substituant à une main d’oeuvre active nationale dont le pays va avoir impérativement besoin.

Sans guerre, il ne peut y avoir de réfugiés et sans réfugiés tout risque de s’écrouler.

Mais dans un cas comme dans l’autre, le pari est risqué et dans le second malsain car il laisse sous-entendre que l’Allemagne ne pourra sauver son système de retraite qu’à la condition que des conflits se multiplient ou perdurent dans le monde. Sans guerre, il ne peut y avoir de réfugiés et sans réfugiés tout risque de s’écrouler. Mme Schnitzer et ses collègues du conseil d’experts ne sont pas les seuls à regarder la réalité en face. Les analystes de l’Office Fédéral des Statistiques (BundesStatisticAmt/BSA)) se sont eux aussi penchés sur l’avenir du système de retraite en tenant compte des prévisions démographiques. Ils ont présenté un calcul prévisionnel de la population et leur conclusion est sans appel. Selon Kartens Lummer, responsable du département « population » au sein du BSA, « le nombre de personnes en âge de travailler de 20 à 66 ans va diminuer rapidement dans les années à venir et celui des personnes ayant atteint l’âge de la retraite même s’il est fixé à 67 ans augmentera tout aussi rapidement. » Le temps passe vite, très vite, trop vite et il faut s’attendre, en 2030, à ce que les baby-boomers aient dépassé le seuil 80 ans ! Depuis de nombreuses années, la pyramide allemande des âges est très inquiétante et le problème majeur qui se pose à l’heure actuelle provient du fait que dans une société qui prône « le tout tout de suite », personne n’est en mesure de réfléchir rationnellement sur les moyen et long termes. Ce qui manque à notre monde d’aujourd’hui, ce ne sont pas des élus avides de tweets et de privilèges mais des personnes qui regardent l’avenir avec lucidité et réalisme et pour ce faire, analysent en toute objectivité les données démographiques. Actuellement le nombre de personnes âgées de 20 à 66 ans s’élève en Allemagne à 51,4 millions. En cas d’un immigration élevée que le BSA estime à 400.000 par an, le potentiel en main d’oeuvre active diminuerait de 1,6 million en 2035 et en cas d’immigration faible (180.000), 4,8 millions de personnes manqueraient alors à l’économie de la République et par voie de conséquence des centaines de millions d’euros aux fonds alimentant les caisses de retraite. Le BSA émet par ailleurs des doutes sur la taille de la population.

Ce qui manque à notre monde d’aujourd’hui, ce ne sont pas des élus avides de tweets et de privilèges, mais des personnes qui regardent l’avenir avec lucidité et réalisme.

En 2022, du fait de la guerre en Ukraine, elle est passée de 83 à 84 millions d’habitants mais rien ne garantit que ce million supplémentaire se pérennise. Il serait en effet naïf de comparer les réfugiés ukrainiens avec les migrants en provenance d’Afghanistan ou des Proche et Moyen Orients. Les premiers n’aspirent qu’à une chose, retourner dans leur pays une fois la paix revenue pour le reconstruire, ce qu’ils pourront aisément faire grâce aux fonds des puissances occidentales mis à leur disposition, les seconds n’ont aucune intention de quitter leur terre d’accueil pour se hasarder à un nouveau départ sur leur sol d’origine. Que tous les Ukrainiens fassent le choix de rester en Allemagne serait naturellement une aubaine pour la République Fédérale d’Allemagne. Comme le conflit l’a prouvé, elle hériterait d’un peuple courageux, travailleur voire téméraire qui, par reconnaissance, ne rechignerait pas à la tâche. Mais pour que l’Allemagne puisse garantir à tous une retraite digne de ce nom en 2070, il faudrait qu’elle accueille chaque année entre 400.000 et 500.000 migrants, ce qui permettrait à sa population d’atteindre les 90 millions d’habitants. Pour inciter les Ukrainiennes et Ukrainiens à rester sur leur territoire, les autorités allemandes ont multiplié les initiatives destinées à leur intégration. Toutes les villes de plus 50.000 habitants sont dotées de centres de formation, dont l’objectif est à terme de combler le déficit de personnels dans pratiquement tous les secteurs (**), dont ceux de la santé et de l’artisanat. Les réfugiés ukrainiens font figure de « privilégiés » comparativement à ceux arrivant d’autres contrées. Les administrations s’avèrent beaucoup moins tatillonnes pour les titres de séjour et les demandes d’asile et à cela s’ajoute une réelle empathie à leur égard. Mais tout cela suffira-t-il pour les convaincre de rester chez ceux qui leur ont ouvert les bras ? Personne ne le sait. kb & vjp

(*) Monika Schnitzer, âgée de 62 ans, a débuté sa carrière professionnelle en tant que professeure titulaire en 1987 au département économie de l’Université de Cologne, poste qu’elle a occupé jusqu’en 1992, année au cours de laquelle elle est devenue chargée de cours à l’Université de Boston et chercheuse au MIT(Massachusetts Institute of Technology). A partir de 1995, elle a été successivement professeure aux Universités Palo Alto (Stanford), New Havne (Yale), Berkeley (Californie) et à l’université de Harvard. En 2018 et 2019, elle a été membre de la Commission sur le droit antitrust « Wettbewerbsrecht 4.0 » pour le ministère fédéral de l’Économie et de l’Énergie. Depuis 2020, Monika Schnitzer est membre du Conseil allemand des conseillers économiques (Sachverständigenrat zur Begutachtung der gesamtwirtschaftlichen Entwicklung) et du « Groupe consultatif économique pour la politique de concurrence » auprès de la Commission européenne (DG Concurrence) et depuis 2021 du comité des conseillers économiques, ministère fédéral de l’Économie et de l’Énergie.

(**) Liste des principaux métiers techniques pour lesquels les réfugiés sont les bienvenus : chauffeur de camion, menuisier, fabricants de meubles, déménageurs, mécanicien du bois, de l’estampage et du formage, technicien en métallurgie, polisseurs, bijoutiers et fabricants de petit matériel, polisseur de précision et mécanicien d’usinage, technicien de construction métallique, soudeur et maître soudeur, agent de maîtrise, mécanicien de précision et de haute-précision, carrossiers, contremaître en carrosserie, chefs de chantier, constructeur de véhicules agricoles, techniciens en aéronautique et aérospatial et technicien en électronique. A ces métiers techniques, il faut en ajouter un nombre équivalent dans les secteurs des services, de la santé, de l’information et des télécommunications. Grâce à l’implication des Chambres de Commerce et d’Industrie, les réfugiés, dès qu’ils maîtrisent les bases de la langue allemande ont dans leur grande majorité peu de difficultés pour trouver un stage en entreprise.

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