Un virus « messager du futur » !

Allemagne/Monde – Le journaliste-écrivain Matthias Horx étudie depuis plus de quarante ans les conséquences qu’ont les crises sur le futur. Ses prévisions ne font pas toujours l’unanimité mais force est de constater que dans la plupart des cas, elles s’avèrent. Il avait été vivement critiqué après avoir considéré que Facebook allait disparaître après cinq à six années d’existence, ce qui ne s’est révélé qu’en partie inexact  car la pandémie qui sévit à l’heure actuelle a prouvé qu’un réseau social, à l’échelle planétaire, ne joue pas le rôle qu’on pourrait attendre de lui et que ce sont les structures politiques existantes qui doivent enfourcher le cheval de bataille, les réseaux sociaux ne devenant alors qu’un simple relais d’informations la plupart du temps anarchique et à ce titre autant dommageable que fiable.

Le magazine Horizont lui a ouvert la semaine dernière ses colonnes. Dans le climat de peur qui s’instaure à cause du coronavirus, nous avons estimé nécessaire et salutaire de publier de larges extraits de sa tribune en espérant que les politiques ne soient pas les derniers à les lire. Dans la situation que nous vivons actuellement, la première chose à ne pas faire est de tomber dans le désespoir généralisé. L’empereur Corona (voir notre épisode I) n’attend en effet qu’une déprime universelle pour achever sa mission. Le moyen le plus rationnel de lutter contre lui consiste à renverser la vapeur, tirer les leçons de tous les maux qu’il a provoqués pour inventer un monde nouveau, sans Révolution et sans guerre c’est-à-dire sans ces dizaines de millions de victimes provoquées par une poignée de dictateurs infiniment plus dangereux et dévastateurs que le pire des virus.

Plus jamais comme avant

« On m’interroge souvent, ces jours-ci, à savoir si, après la crise, tout reviendra à la normale. Ma réponse est : « jamais »  car il y a des moments historiques où l’avenir change de direction . Nous les appelons des bifurcations ou des crises profondes. C’est le moment. Le monde, tel que nous le connaissons est en train de se dissoudre mais derrière, un nouveau monde se dessine dont on peut au moins deviner la forme. A cette fin, je voudrais vous proposer un exercice avec lequel nous avons eu une bonne expérience des processus dans les entreprises et que nous appelons le « RE-Gnose » en référence au « Prognose » (pronostic) et qui consiste à un retour du passé par le présent. Imagin0ns-nous sur la terrasse d’un café en septembre 2020. Il fait chaud et les gens se déplacent à nouveau dans la rue. Se déplacent-ils différemment ? Est-ce que tout est comme avant ? Le vin et le café ont-ils le même goût ? Comme avant Corona ? Ou mieux encore, qu’allons-nous nous demander rétrospectivement ? Nous serons alors surpris que les sacrifices sociaux nous ont rarement conduits à la solitude. Au contraire, après un choc initial, beaucoup d’entre nous se sont sentis soulagés et c’est ainsi qu’est née une nouvelle culture de l’accessibilité et de l’engagement (…). Les émissions de téléréalité, ces déchets de l’âme sans finalité déversés sur tous les canaux, semblaient soudain embarrassantes. Quelqu’un se souvient-il de la controverse sur le politiquement correct ? Les guerres culturelles sans fin…, oui, de quoi s’agissait-il exactement ? Le principal effet des crises est qu’elles dissolvent les vieux phénomènes et les rendent superflus. (…) Nous serons surpris de constater qu’au cours de l’été, on a finalement trouvé des médicaments qui ont augmenté le taux de survie et que cela a fait baisser le taux de mortalité, comme ce fut le cas pour la grippe et beaucoup d’autres maladies.

L’économie peut s’assoupir et rêver

« Les progrès de la science ont aidé mais nous avons aussi fait l’expérience que ce n’est pas tant la technologie qui a été la clef mais le changement des comportements sociaux. Le fait que les gens aient pu rester solidaires et constructifs a été le facteur décisif. L’intelligence humaine et sociale a aidé mais, en revanche, l’intelligence artificielle tant vantée, dont on croyait qu’elle est capable de tout résoudre n’a eu qu’un effet limité. Cela va modifier la relation entre la technologie et la culture . Avant la crise, la première semblait être la panacée et le support de toutes les utopies. Aujourd’hui, personne, à quelques exceptions près, ne croit encore au grand salut numérique. Une fois de plus nous portons notre attention sur les questions humaines. Qu’est-ce que l’Homme ? Que sommes-nous l’un pour l’autre ?  Nous nous émerveillons à l’envers de la quantité d’humour et d’humanité qui s’est réellement développée à l’époque du virus. Nous allons être étonnés de voir à quel point l’économie peut se contracter sans qu’un effondrement ne se produise réellement, comme c’était la cas auparavant à chaque augmentation d’impôt, aussi minime soit-elle ou à chaque intervention de l’Etat. Bien qu’il y ait eu un « avril noir », un profond marasme économique et un effondrement de 50% de la Bourse, bien que de nombreuses entreprises aient fait faillite, aient rétréci ou se soient transformées en quelque chose de complètement différent, il n’est pas arrivé à zéro. C’était comme si l’économie était un être respiratoire qui peut aussi s’assoupir, dormir ou même rêver. »

« Aujourd’hui, à l’automne, l’économie mondiale est de nouveau présente. (…) Elle est en cours de démantèlement et de reconfiguration. Partout dans les chaînes de production et de service  sont intégrés des unités de fabrication intermédiaires, des dépôts et les réserves se multiplient à nouveau. Les productions locales sont en plein essor, l’artisanat connaît une renaissance et la mondialisation s’opère par une localisation du global. Nous serons surpris que même la perte de richesse due à l’effondrement de la Bourse ne soit pas aussi douloureuse qu’elle ne l’a été au départ. Dans le nouveau monde, la richesse ne joue soudainement plus le rôle décisif. Le plus important est d’avoir de bons voisins et un jardin potager florissant. Se pourrait-il que le virus ait transformé nos vies dans une direction qu’il fallait de toute façon changer. (…) Lorsque nous regardons vers l’avenir, nous ne voyons généralement que les dangers et les problèmes qui vont nous tomber dessus mais cette barrière de la peur nous sépare de l’avenir. C’est pourquoi les futurs de l’horreur sont toujours plus faciles à dépeindre. Le « Re-gnose », en revanche, forme une boucle de connaissance dans laquelle nous  incluons nous-mêmes notre changement intérieur dans le calcul de l’avenir. En se connectant intérieurement avec l’avenir,  on crée un esprit du futur. Si vous faites cela correctement, quelque chose comme une intelligence du futur est créé. Vous êtes alors capables d’anticiper non seulement les événements mais aussi les adaptations avec lesquelles vous réagissez à un monde changé. Cela est bien différent d’un pronostic qui, dans son caractère apodictique a toujours quelque chose de mort ou de stérile. »

Adrénaline et dopamine

« Nous connaissons tous le sentiment d’avoir réussi à surmonter la peur. Lorsque nous allons chez le dentiste pour des soins, nous sommes  inquiets bien avant. On perd le contrôle dans le fauteuil du dentiste et ça fait mal avant même d’avoir mal ! En prévision de ces sentiments, nous fabriquons des craintes qui peuvent nous submerger complètement mais une fois que l’intervention est terminée, nous avons le sentiment de nous en sortir, le monde semble à nouveau jeune et frais et nous sommes soudainement pleins d’énergie. Sur le plan neurobiologique, l’adrénaline de la peur est remplacée par la dopamine, une sorte de drogue endogène du futur. Alors que l’adrénaline nous guide pour nous échapper ou nous battre, ce qui n’est pas vraiment productif dans le fauteuil d’un dentiste ou dans la lutte contre un virus, la dopamine ouvre les synapses de notre cerveau qui nous rendent curieux et nous permettent d’anticiper. Lorsque nous avons un niveau de dopamine sain, nous faisons des plans, nous avons des visions qui nous amènent à agir de manière prévoyante. »

Etonnamment, c’est exactement ce que vivent de nombreuses personnes pendant cette crise du Covid-19. Une perte de contrôle massive se transforme soudain en un véritable élan de positivité. Après une période de confusion et de peur, une force intérieure se développe. Un monde s’achève mais dans l’expérience que nous vivons surgit de l’intérieur une nouveauté. Au milieu de l’arrêt de la civilisation, nous nous  promenons dans des forêts, des parcs ou des lieux presque vides, mais il ne s’agit pas d’une apocalypse mais d’un nouveau départ.

« Le changement commence par une modification des attentes, des perceptions et des connexions mondiales. Parfois, c’est précisément la rupture avec la routine, avec le familier qui libère notre sens de l’avenir. L’idée et la certitude que tout peut être complètement différent, même pour le mieux. Nous serons peut-être surpris que M.Trump soit démis de ses fonctions en novembre, que des mouvements extrêmes à l’instar de l’AfD montrent de sérieux signes d’effilochage car une politique vicieuse et conflictuelle qui evut monter les gens les uns contre les autres,  ne s’inscrit plus dans un monde sous l’influence d’un virus. »

Et si le virus faisait  la peau à Trump ?

« La crise a redonné à la politique son premier sens , celui de la crédibilité et de la légitimité.  C’est parce que la politique a dû agir avec autorité qu’elle a créé la confiance dans la société. La science, elle aussi, a connu une renaissance étonnante. Les virologues et les épidémiologistes sont devenus des stars mais aussi les philosophes, sociologues, psychologues et anthropologues  « futuristes »,  qui étaient auparavant en marge des débats polarisés. Tous ont pu retrouver leur voix et leur poids. Les fausses nouvelles, en revanche, ont rapidement perdu de leur valeur marchande. Même les théories de conspiration ont eu du mal à se vendre. »

« Chaque crise profonde laisse derrière elle une histoire, un récit qui pointe vers le lointain. L’une des visions les plus fortes laissées par le coronavirus sont les Italiens qui jouent de la musique sur les balcons. La seconde vision nous est envoyée par images par satellite qui montrent soudainement des zones industrielles de Chine et d’Italie exemptes de smog. En 2020, les émissions de CO2 de l’humanité diminueront pour la première fois et ça nous fera quelque chose. »

« Si le virus peut faire cela, pouvons-nous le faire ? Peut-être que le virus n’est qu’un messager du futur. Son message drastique est que la civilisation humaine est devenue trop dense, trop rapide, trop surchauffée. Elle va trop vite dans une direction où il n’y a pas d’avenir mais elle peut se réinventer. » (Publié sur Horizont/Traitement en français et rajout des intertitres: www.pg5i.eu/vjp)

 

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