Ces jeunes Roumains condamnés à ne rien faire … à vie

Roumanie/EU – Le chômage des jeunes n’est hélas pas un phénomène nouveau et les premiers à s’en être inquiétés, ont été les Anglais qui, dès le début des années 90 ont intégré dans leurs statistiques une catégorie dont ils se seraient bien passés, en l’occurrence, les NEETs c’est-à-dire toutes ces personnes qui n’ont aucune éducation, aucune formation et de fait aucun emploi (Not in Education, Employment or Training).

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Des crises à répétition

Ce qui aurait dû être une priorité de la Commission Européenne ne l’a pas été, et les crises financière de 2008 et migratoire de 2015 ont conduit à l’exacerbation d’un problème qui semble de plus en plus difficile à résoudre et qui peut avoir des conséquences dramatiques sur le long terme. Toutes les tentatives de réformes des retraites qui agitent les sphères politiques à l’heure actuelle dans la plupart des pays de l’Union Européenne, dont la France et l’Allemagne, risquent de n’être qu’un feu de paille, si le chômage des jeunes générations n’est pas pris de manière urgente à bras le corps. Qui paiera les pensions dans 30 ou 40 ans, si aujourd’hui des millions de jeunes gens, femmes et hommes, demeurent improductifs pendant près d’une, génération. Selon le dernier décompte d’Eurostat qui doit être analysé avec précaution, car il est un synthèse des données officielles nationales qui ne reflètent pas toujours la réalité de certains territoires, le taux de chômage des jeunes de 20 à 34 ans serait en moyenne, à l’échelon européen de 14,1%. Mais c’est dans le domaine du chômage des jeunes que les inégalités sont les plus flagrantes. Le taux atteint en effet 24,8% en Italie et 22,3% en Grèce. Mais bien qu’ils battent ce triste record, ce ne sont pas ces deux pays européens qui vont poser le plus de problèmes car leur pénurie d’emplois est davantage conjoncturelle que structurelle. En revanche, beaucoup plus inquiétants sont les taux enregistrés dans certains pays d’Europe Centrale, dont la Bulgarie (19,1%) et la Roumanie (18%), deux territoires où le « rien-faire » tend à devenir une simple habitude voire une philosophie de vie. Parce qu’elle est encore le pays le plus peuplé après la Pologne, la République des Carpates a été passée au crible par la Fondation allemande Friedrich-Ebert (FFE) qui, sans remettre en cause les données d’Eurostat, a tenu à analyser les causes de ce fléau qui, s’il n’est pas éradiqué, risque de plonger le pays dans un chaos dont personne n’ose imaginer quelles en seront les conséquences.

Symbole d’une Europe crûment inégalitaire

La Roumanie, sur ce sujet extrêmement sensible, est le symbole d’un échec flagrant des institutions bruxelloises. Que le pays, à la veille de son entrée dans l’Union Européenne, souffrait plus que d’autres des séquelles du communisme et d’un régime autoritaire qui n’a cessé de générer misère et sujétion à l’ignorance, tout le  monde le savait, mais que des moyens colossaux étaient nécessaires pour rééquilibrer ce territoire, personne n’en a eu conscience. On ne peut toutefois pas reprocher à la commission de Bruxelles de n’avoir rien fait mais il est des lieux où, pour les observer, il faut ouvrir les yeux de manière différente. En intégrant le Roumanie dans son programme « Youth Guarantee » voué aux populations de moins de 25 ans en difficultés, l’intention était certes bonne mais trop tardive. Non seulement, la Commission a mis cinq longues années pour réagir mais lorsqu’elle s’est décidée à le faire, en 2013, le mal avait tellement empiré que toutes les mesures et expériences de lutte contre le chômage tentées ailleurs se sont révélées inefficaces. Quel impact peut avoir un réseau d’agences, style Pôle d’Emploi, dans un pays comme la Roumanie où dans certaines localités, le taux d’analphabètes et de deux à cinq fois supérieur à la moyenne nationale. Ajoutons à cette réalité consternante, séquelle de l’ère Ceausescu, la diversité des ethnies et des langues, l’état d’insalubrité de toutes les structures sociales et le précipice qui sépare le monde rural de la société urbaine, il n’est besoin d’avoir fait de longues études d’économie ou de sociologie encore moins de séjourner des semaines entières en Roumanie pour se rendre compte que cette République ne peut être comparée à aucune autre, si ce n’est sa voisine bulgare. Ne sachant par quel bout commencer étant donné que tout était prioritaires, les pouvoirs publics ont décidé de scinder le programme « Youth Guarantee » en deux étapes 2014-2015 et 2017-2020, l’année 2016 étant destinée à tirer un premier bilan pour utiliser par la suite et à bon escient, les fonds encore disponibles. Vu sous cet angle occidental, tout aurait dû se dérouler comme prévu. La première année a été prometteuse et vingt-sept agences pour l’emploi des jeunes ont ouvert leurs portes sans pouvoir recevoir de visiteurs car les personnes concernées n’ayant été enregistrées nulle part, à peine une sur cinq  a été informée de l’existence et des objectifs de ces « Garantia pentru Tineret », centres de garantie pour les jeunes. On peut naturellement s’interroger à savoir si le personnel en fonction dans ces structures était suffisamment formé aux ressources humaines pour être en mesure d’orienter les éventuels visiteurs vers les filières les mieux adaptées à leur manque de compétence.

330 millions dormant dans les tiroirs

Toujours est-il qu’à l’issue de la première période d’expérimentation, 97% des fonds européens d’un montant de 330 millions d’euros, dormaient toujours dans les tiroirs, un miracle dans un pays où dans ce genre d’opportunités ils ont tendance à s’évaporer dans des réseaux où prospère la corruption. La seconde période n’a guère été plus probante car la Roumanie est confrontée à un problème unique en Europe, la pauvreté endémique des enfants qui perdure depuis que l’ancien a mis fin, dans les années 60 et 70, au contrôle rationnel des naissances. La société roumaine et plus particulièrement les femmes, récoltent toujours les fruits vénéneux d’une politique nataliste dont les conséquences ne sont plus maîtrisables. Elle a gangréné tout le pays et il a  fallu attendre 2018 pour que les observateurs de la Commission Européenne se rendent compte que 14% des jeunes gens les plus défavorisés ne sont même pas joignables. Tous errent dans un pays et tous sont condamnés à ne jamais pouvoir s’intégrer dans la société.  Pour ceux qui sortent de ce cercle vicieux, majoritairement des hommes vivant dans les villes et issus d’un milieu relativement aisé, la tâche qui les attend pour rééquilibrer leur pays est tellement ardue qu’ils préfèrent émigrer. Sensible à ces départs forcés, la FFE a sondé les personnes concernées et les résultats de cette enquête sont éloquents. Pour trouver un travail en Roumanie en conformité avec sa formation avec sa formation, les diplômes ne jouent un rôle que dans 54,6% des cas, guère que le « coup-de-pot » (53%) ou que les relations (44,3%). Pour réussir en Roumanie, il faut en tant que Roumain avoir de la chance et des amis déjà placés. Voilà comment une société se meurt, voilà ce qui se passe lorsque certaines « valeurs » occidentales sont mal exportées. Mais le pire de tout cette constellation provient du fait que les plus doués sont contraints d’accepter des emplois précaires pour lesquels ils sont surqualifiés. De plus en plus de diplômés d’Universités souvent mondialement reconnues, doivent se contenter d’un poste d’opérateur dans un callcenter alors qu’ils devraient avoir leur place dans un laboratoire de recherches ou sur la chaire d’une faculté. Sur les 330 millions disponibles, 320 attendent toujours d’être utilisés ce qui tend à prouver que si l’Europe se reconstruit et s’élargit mal, ce n’est pas forcément par manque de moyens mais par défaut d’intelligence et de compétence. Alors comment en vouloir aux jeunes Roumains lorsqu’ils manifestent dans les rues après avoir appris que leurs dirigeants avaient falsifié leurs diplômes pour acquérir le pouvoir ? (Source : Veronika Zwing/adz – Version française : pg5i/vjp

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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