Biélorussie : une dictature légitimée par un vote truqué

Biélorussie – Le président sortant Alexandre Loukaschenko a été reconduit dimanche dernier dans ses fonctions grâce à un scrutin défiant toutes les lois de la démocratie.  Le résultat « à la Stalinienne » (près de 90% des voix) confirme que la Biélorussie demeure un musée du soviétisme à ciel ouvert où se perpétuent des méthodes dignes des pires dictatures.  Arrestations et incarcérations sont le lot quotidien de tous ceux qui osent se dresser pacifiquement sur son passage  et c’est grâce à ces agissements qu’il est parvenu à se faire réélire pour la sixième fois depuis 1994.  Mais il n’est toutefois par certain qu’il puisse se maintenir  au pouvoir, car jamais son système de clans et de prébende n’a été autant contesté et ce, par le truchement de femmes courageuses qui ont eu l’idée géniale de se substituer à leurs conjoints, emprisonnés ou contraints à l’exil, pour relayer leurs discours.  Ces passionarias des temps modernes dans un pays moyenâgeux sont parvenues à réveiller les consciences biélorusses et si elles n’ont pas été reconnues à leur juste valeur par les mouvements féministes c’est parce qu’elles allaient au-delà  du harcèlement sexuel et des violences conjugales pour s’atteler à lutte contre la corruption, les entraves aux Droits de l’Homme et à la moralité tout court, trois combats qui transcendent les âges et les sexes et concernent directement tous les citoyens.

Macho, facho et « faisandé »

Alexandre Loukachenko, aussi machiste que fasciste, ne les a jamais prises au sérieux en prétendant haut et fort que les Biélorusses étaient « beaucoup trop  intelligents pour donner le pouvoir à des femmes ! »  Ce fut sa première erreur et peut-être celle qui contribuera à ce qu’il ne puisse pas achever son sixième mandat.   En effet, chacun sait, dans les villes et les campagnes biélorusses que le score officiellement obtenu par Svetlana Tikhanovskaya, épouse de Sergei Tikhanovsky , emprisonné quelques jours après avoir annoncé sa candidature, ne correspond en rien à la réalité. Officiellement, elle n’aurait mobilisé que 8,8% des inscrits. Dans toutes les régions où les sondages la donnaient vainqueur les forces de police et de l’armée sont venues perturber le vote, n’hésitant pas, si nécessaire, à saisir les bulletins imprimés en son nom.  « Je crois ce que je vois de mes  propres yeux et je vois que la majorité est derrière nous » a immédiatement déclaré   Svetlana Tikhanovskaya, devenue en quelques semaines  une héroïne non pas seulement pour avoir su affronter un « dictateur faisandé » pour reprendre l’expression fort imagée de Wolfgang Braun, rédacteur en chef-adjoint des OÖ Nachrichten autrichiennes,  mais pour avoir annoncé qu’en cas de miraculeuse victoire, sa première mesure consisterait à démissionner pour organiser aussitôt des élections dignes de ce nom.  Pour la première fois dans  le règne autoritaire de Loukaschenko, les opposants ont eu le courage de descendre dans les rues pour dénoncer le truquage des élections. Malgré la fermeture des tuyaux d’Internet, décrétée par le candidat sortant et appliquée par ses sbires, des vidéos ont filtré sur les réseaux sociaux et on a pu voir ce qui semblait inimaginable avant le jour J, en l’occurrence des milliers de manifestants investissant la rue face à presqu’autant de forces de police utilisant grenades et gaz lacrymogènes pour avoir raison des rebelles.  Ces scènes ont rappelé aux plus anciens, également de la partie, ces images prises en 1956 à Budapest ou en 1968 à Prague. Il ne manquait que les chars russes pour revivre les pires moments de la guerre froide, de quoi susciter l’indignation de tous ces experts et observateurs qui auraient dû être sur les lieux pour veiller à la régularité des élections mais n’y étaient pas à cause, soit-disant,  du coronavirus.

Le prélude à une profonde crise ?

Maria Kolesnikova,  bras droit de Svetlana Tikhanovskaya (notre photo), a  déclaré dès l’annonce des résultats qu’une « crise profonde et sans précédent se profile à l’horizon ». Elle a constaté sur le terrain que dans certains bureaux de vote , le taux de participation était supérieur au nombre d’inscrits et « les autorités devraient admettre que la majorité est de l’autre côté. » Comme il est de règle dans ce type d’événements , la révolte post-électorale a suscité de vives réactions de la part des dirigeants des pays de l’Union Européenne  et comme à l’accoutumée, on a l’impression que ces derniers  découvrent des situations qu’ils connaissent depuis des années pour les avoir eux-mêmes dénoncées.  Les relations tendues entre l’UE et la Biélorussie sont fréquemment évoquées sur le site du Parlement Européen qui les abordent en ces termes :  « Le dialogue UE-Biélorussie sur les droits de l’homme a repris en 2016, le dernier cycle de négociations ayant eu lieu en juillet 2017. En 2016, le groupe de coordination UE-Biélorussie a été créé pour servir de forum de dialogue politique au niveau des hauts fonctionnaires. La principale tâche de cet organisme est de diriger la coopération entre l’UE et la Biélorussie est de superviser le développement des relations. Le groupe de coordination s’est réuni pour la cinquième fois en avril 2018 et l’UE a réaffirmé la nécessité d’une réforme électorale globale et l’opposition à la peine de mort . » Mais à quoi peut servir un « forum de dialogue politique » avec un pays qui n’hésite pas à s’allier avec la Russie ou la Chine dès que les observateurs européens ont plié bagages pour rejoindre Bruxelles ou Strasbourg ? Le seul homme d’Etat à avoir compris l’opportunisme et la dangerosité de Loukaschenko n’est, hélas, plus de ce monde. Il s’appelait Vaclav Havel et fut le premier à soutenir les opposants au dictateur en fonction à Minsk. Le 16 décembre 2010, soit trois jours avant les élections présidentielles, le Président de la République Tchèque et dramaturge leur envoya une lettre qui fut lue devant plus de 50.000 personnes qui manifestaient déjà contre le régime.  Le Belarus Free Theatre (BFT) dont une partie de la troupe vit en exil à Londres, s’est  produit en Lettonie, Allemagne,  France, République Tchèque, aux Etats-Unis et naturellement au Royaume-Uni pour relayer un message de résistance à la politique du Président Loukaschenko  et depuis les années 2000, il tire le signal d’alarme sans être entendu.  En 2016, il présenta à Prague  « Time of Women » à l’occasion des commémorations à titre posthume du 70ième anniversaire du Président Tchèque décédé cinq ans plus tôt.  Cette pièce, en hommage au chef d’Etat disparu,  peut être assimilée à un prélude à ce que le monde découvre aujourd’hui grâce aux réseaux sociaux (*).  Le combat qu’a mené Svetlana Tikhanovskaya s’inscrit dans une logique de rébellion que les dirigeants occidentaux n’ont jamais réellement soutenue. En signant à Minsk des accords de paix douteux consécutifs à l’annexion de la Crimée, ils ont légitimé la plus torride des dictatures en exercice aux portes de l’Europe. Certains responsables politiques,   à l’instar de  Robert Habeck, leader du parti des Verts en Allemagne, évoque déjà la possibilité d’exercer  des sanctions économiques à l’encontre de la Biélorussie alors que  chacun sait que ce type de mesures pénalise prioritairement les populations civiles et laisse indifférents les dirigeants qui peuvent continuer à se gaver de caviar quand leur peuple est affamé. Pour sauver la Biélorussie mais aussi la plupart des pays d’Europe Orientale qui se trouvent sans une situation similaire, il faut commencer par protéger leurs diasporas et cesser d’expulser leurs ressortissants sous prétexte qu’ils sont originaires de territoires épargnés par des conflits militaires. Les assimiler à des « pays sûrs », c’est cautionner les emprisonnements arbitraires, la privation des libertés fondamentales et la fraude électorale. vjp

(*) Natalia Kaliadia, artiste dissidente et cofondatrice du BFT avait accordé à cette occasion une interview  à la Prager Zeitung (PZ) que nous avions jugé utile d’adapter en français et de diffuser sur www.pg5i.eu. Dans cet article intitulé  « Natalia Kaliadia, artiste dissidente s’exprime : nous avons le public le plus courageux du monde » et disponible à la rubrique « Biélorussie », elle s’exprimait sur le rôle qu’a joué Vaclav Havel  chez les opposants au régime d’Alexandre Loukaschenko.
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