Biélorussie : une Corée du Nord en plein cœur de l’Europe ?

Biélorussie/Ukraine/Russie/UE – Bien que sa population soit à peine quatre fois inférieure à celle de l’Ukraine et qu’elle ne dispose pas d’une force militaire comparable à celle de son voisin avec lequel elle partage près de 1.000 kilomètres de frontières, la Biélorussie va être amenée, si le conflit perdure, à jouer un rôle de premier plan car, de la position adoptée par son dirigeant, Alexander Loukachenko, en dépend l’issue.

« Quels sont les projets de Loukachenko ? Qu’en est-il de son soutien au sein de la société Biélorusse ? A-t-il peur d’une atmosphère de protestation qui pourrait renaître sur son sol malgré la forte répression ? » : c’est à ces trois questions qu’a tenté de répondre Waleri Karbalewitch (*) dans une tribune publiée sur la plate-forme SN Plus, dont nous reproduisons les principaux extraits.

Selon le politologue, il est fort possible que Loukachenko «profite de la guerre entre la Russie et l’Ukraine pour dégeler ses relations avec les Etats-Unis et l’Union Européenne et reproduire ainsi la politique étrangère menée par son pays entre 2014 et 2020. » Waleri Karbalewitch rappelle que « sur cette période plus des deux tiers des Biélorusses soutenaient la Russie ce qui n’était au demeurant pas le cas des dirigeants qui, eux, étaient plutôt favorables à une forme de neutralité. Cette situation était inconfortable pour le pouvoir en place car elle donnait à Moscou des leviers supplémentaires pour influencer la Biélorussie. » Mais le problème qui se pose à l’heure actuelle provient du fait que Loukachenko, en 2020, a perdu le soutien de la majorité de sa population dont celle des pro-russes et c’est ainsi que « la guerre de la Russie contre l’Ukraine au cours de laquelle la Russie a profité du territoire biélorusse a eu des conséquences négatives sur le régime en place qui est devenu co-agresseur et victime de nouvelles sanctions économiques. » Selon des études d’opinion que le politologue estime suffisamment fiables pour s’autoriser à les mentionner « 62% des Biélorusses se sont prononcés contre l’utilisation de leur territoire par les Russes pour attaquer l’Ukraine , cela signifie, poursuit-il, que Loukachenko n’a pas réussi à obtenir un soutien social convaincant et je ne pense pas qu’une poursuite de la guerre lui apportera un capital politique supplémentaire. » Plus les bombes tombent sur l’Ukraine, plus le paysage politico-social biélorusse s’obscurcit car la guerre n’a jamais autant divisé la société . « Il s’est avéré qu’une certaine partie de la population opposée à Loukachenko continue à nourrir des sympathies à l’égard de la Russie, ce qui signifie que tous ceux qui s’opposent à lui n’adhèrent pas aux valeurs démocratiques. »

Svetlana Tikhanovskala, la dissidente biélorusse la plus connue pourrait être condamnée à mort ou à une peine de prison de 10 à 18 ans, digne de l’époque stalinienne.

Peine de mort et gros calibre

Lorsque ce genre de situation se produit dans un pays où les élections sont libres, ces dernières suffisent pour régler le problème, ce qui est loin d’être le cas à Minsk où la répression politique est la seule issue. « Le 27 avril dernier, s’inquiète Waleri Karbalewitch, la Chambre des représentants a adopté un projet de loi prévoyant le peine mort pour tentative de commettre un acte terroriste. » Cette adoption est née d’une procédure accélérée modifiant le code pénal. La notion de tentative d’acte terroriste est interprétée en Biélorussie dans un sens très large par les autorités et « peut être associée à toute activité d’opposition et par exemple à l’encontre des personnalités politiques qui  à l’instar de Pavel Latouchko ou Svetlana Tikhanovskala pourraient être accusées de terrorisme.»

Cette même Chambre des représentants n’y est pas allée avec le dos de la cuillère et d’une pierre a voulu faire deux coups en autorisant les forces de l’ordre à utiliser des armes gros calibre pour réprimer les troubles de masse, dont font partie les protestations pacifiques.

« Pourquoi autant de mesures draconiennes alors que les manifestations de masse ont déjà été anéanties ? s’interroge Waleri Karbalewitch qui croit avoir trouvé la réponse : « Je pense qu’en plus de l’instinct de conservation, les dirigeants voient une augmentation du sentiment radical dans une partie de la société prête à protester. On le voit sur les réseaux sociaux. On se demande si les manifestations pacifiques de 2020 n’étaient pas une erreur et s’il n’aurait pas été préférable d’agir avec plus de détermination. Les actes sabotage des voies ferrées et les activités des cyber-partisans incitent le pouvoir en place à renforcer la répression. Le peur a finalement de grands yeux mais si le communication avec la société consiste uniquement à serrer toujours plus la vis, alors que ce modèle social n’a plus aucun avenir, on installera alors une Corée du Nord en plein cœur de l’Europe du 21ième siècle. »(Source : dekoder : Adaptation en français : pg5i/vjp)

(*) Waleri Karbalewitch est un politologue, historien et chercheur en sciences politiques. Longtemps membre du centre de recherches « Strategie » implanté à Minsk, il a dû émigrer en juillet 2021. Il collabore à de nombreux supports d’information, est l’auteur d’une biographie de Loukachenko publiée en français sous le titre « Le Satrape de Biélorussie » aux éditions Les Peregrins Eds.

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