Biélorussie : quand un dictateur légitime la clandestinité

Biélorussie/UE – « Nous n’arrêterons personne » a récemment déclaré Alexander Loukaschenko, le président de Biélorussie, en parlant des réfugiés en provenance du Moyen-Orient qu’il accueille les bras ouverts pour leur permettre de pénétrer dans l’espace européen. Celui qui est assimilé à l’unique dictateur en fonction sur le Vieux Continent, utilise les migrants comme réplique aux sanctions exercées à l’encontre de son pays par les instances européennes. Depuis plusieurs mois, l’autocrate laisse transiter par son pays des milliers d’Afghans, d’Irakiens et de Syriens qui, grâce à lui, n’ont plus besoin de risquer leurs vies en traversant la Méditerranée pour fuir leur territoire. Le site indépendant biélorusse Reform.by a mis la semaine dernière en ligne un reportage extrêmement intéressant qui décortique la stratégie mise en place par divers réseaux et une nouvelle génération de passeurs agissant en toute légalité. La capitale biélorusse, Minsk, est en effet reliée à Bagdad par une voie aérienne qui permet à deux compagnies, Iraqi Airways et Fly Baghdad d’assurer des vols tous les lundis, mercredis, jeudis et vendredis entre les deux métropoles. Iraqi Airways propose depuis quelques jours des vols supplémentaires pour Minsk à partir de Sulaimania, Basra et Erbil, trois villes de province totalisant près de huit millions d’habitants, soit le cinquième de la population du pays.

« Une arme hybride »

Grâce à cette logistique, le risque est grand que des centaines voire des milliers de migrants affluent chaque jour en Europe Orientale dans un pays qui, non seulement est dans l’incapacité de les accueillir mais va tout mettre en oeuvre pour qu’ils s’échappent à l’ouest, c’est-à-dire en Lituanie, un « petit » pays qui est déjà dans l’incapacité de protéger une frontière de 680 kilomètres, soit 1,4 fois la chaîne des Pyrénées  séparant la France de l’Espagne entre Biarritz de Perpignan. Le ministre lituanien des Affaires Etrangères, Gabrielius Landsbergis (notre photo), accuse Loukaschencko d’utiliser les migrants comme une « arme hybride contre l’Union Européenne » et les Lituaniens assistent aujourd’hui aux mêmes événements vécus par les Hongrois il y a six ans au tout début  de la crise migratoire. Des barbelés sont érigés à proximité des passages stratégiques déjà utilisés par les autochtones fuyant le régime autoritaire de Loukaschenko. Cette vague migratoire est indirectement encouragée par des tours-opérateurs qui proposent des forfaits touristiques comme si la Biélorussie était soudainement devenue une destination à la fois paradisiaque et bon marché. Les candidats à l’exil n’ont plus besoin de négocier des départs clandestins au prix fort avec des passeurs. Sur un plateau, leur sont livrés des forfaits pour quelques centaines d’euros. Selon Reform.by, il est possible pour des sommes comprises entre 560 et 950 dollars de s’organiser un voyage incluant le billet d’avion, le visa, l’assurance, un hébergement de quelques nuits en hôtel et, pourquoi pas, quelques visites guidées.  Une agence de voyage irakienne, Jood Land, s’est spécialisée dans l’organisation de séjours défiant toute concurrence et propose par exemple des voyages de huit jours avec hébergement en chambre double pour 570 dollars par personne. L’annonce par le président biélorusse selon laquelle il ne mettrait aucun obstacle aux réfugiés désireux de venir en Europe s’est répandue comme une traînée de poudre et a été relayée pendant plusieurs jours par les télévisions irakiennes puis les réseaux sociaux, de quoi susciter des vocations au départ. Reform.by reproduit le témoignage d’Amin, un jeune Irakien de 25 ans qui,  rêvant depuis des années de quitter son pays, « un enfer sur terre » , a saisi cette chance tout en convainquant quelques amis de l’imiter. Viendrait-il à l’idée du président biélorusse d’élargir ces libéralités à d’autres territoires en conflits avec leurs voisins que l’Europe se verrait alors confrontée à une nouvelle vague migratoire qu’elle sera dans l’impossibilité de contrôler.

Deux bananes, une chemise et un pantalon

Amin n’est en effet pas une exception car la demande de départs en direction de la Biélorussie ne cesse d’augmenter et ce, grâce au professionnalisme d’agences qui, parallèlement à la gestion des documents administratifs, veillent à ce que leurs clients se dotent d’un test PCR pour éviter à l’arrivée une mise en quarantaine. Avant même qu’ils aient décollé de Bagdad, les candidats à l’émigration connaissent les chemins qu’ils vont prendre à l’arrivée. Ayant eu connaissance des rapports d’arrestations de voyageurs illégaux, ils envisagent de franchir la frontière litunanienne dans la région de Grodno car cette zone très boisée est difficilement repérables sur les cartes satellites. Dans la plupart des cas, ils renoncent à leur séjour dans l’hôtel et naturellement aux visites guidées, et préfèrent prendre immédiatement un bus ou un taxi pour le rejoindre la frontière la plus proche. Le reporter de reform.by qui s’est immiscé dans ce flôt de migrants « nouvelle génération » n’a pas rencontré que des Irakiens mais aussi des jeunes gens en provenance de Syrie, comme Mansur qui a la chance de posséder la double nationalité, syrienne et turque; ce qui lui permet de séjourner trente jours sans visa en Biélorussie, une durée suffisamment longue pour tenter un avenir meilleur dans un des pays de l’Union Européenne, la Lituanie d’abord, puis la Pologne et pourquoi pas l’Allemagne, considérée comme un Eldorado. « Lorsque je franchirai la frontière, déclare-t-il au journaliste qui l’interviewe, j’emporterai un téléphone portable avec une carte SIM chargée, deux kilos de bananes, deux litres d’eau, un pantalon et une chemise ». Personne ne lui a dit quelle direction prendre pour rejoindre le poste frontalier le plus approprié mais peu importe, il fait confiance au chauffeur de taxi ! Alors qu’ils ne sont présents que depuis quelques semaines sur le territoire biélorusse, les migrants sont souvent et déjà très bien organisés. Certains, à l’instar de Samir, ont créé leur propre réseau dont les membres partagent leurs informations et leurs expériences. Leur objectif commun est de faire en sorte que le moins de personnes possible s’exposent au risque de traverser la mer dans des bateaux de fortune. Jamais avant les sanctions décrétées par l’UE, il ne serait venu à l’idée de jeunes gens des Proche et Moyen-Orient, de tenter leur chance en Europe en passant par la Biélorussie, pays jusque là réputé pour ses stricts contrôles et ses arrestations arbitraires. Le crise migratoire qui s’amorce dans le nord de l’Europe, relativement épargné en 2015 par l’arrivée massive de migrants est inédite car elle oblige les victimes d’une dictature à se précipiter dans les bras d’une autre pour tenter de se libérer. Selon les commentaires et les «tuyaux» qui circulent sur les réseaux que Reform.by relaye, il semblerait qu’Alexander Loukaschenko, en bon dictateur perfide et rusé, ait donné à ses garde-frontières la consigne de rester coulants à l’égard des clandestins et de n’effectuer que quelques contrôles de routine. Le site en ligne a pu en interroger un qui a déclaré qu’il n’y avait pas « d’ordre spécifique et si vous dites par exemple à vos supérieurs que le flanc droit de telle zone frontalière n’est pas couverte, ils répondent que ce n’est pas grave et personne ne fait rien». A Vilnius mais aussi à Varsovie et Riga, capitale de la Lettonie, on s’interroge à savoir combien de temps va durer ce cirque migratoire perfidement organisé par l’autocrate de Minsk. Il est fort à parier que la chance qui s’offre actuellement aux réfugiés soit de courte durée. Alena Chekhovich, avocate au sein de l’association de Défense des Droits de l’Homme, Human Constanta, ne se fait guère d’illusion et estime que les migrants sont dans une situation très «dangereuse». En effet, « s’ils ne peuvent pas prouver qu’ils sont en danger dans leur pays d’origine, la Pologne et la Lituanie pourront les expulser selon leurs procédures internes respectives . Dans la situation actuelle, ajoute-t-elle, compte tenu du nombre élevé d’arrivées , il existe une très forte probabilité que les autorités lituaniennes et polonaises rejettent sans fondement les demandes d’asile et refusent l’attribution su statut de réfugiés. Le Parlement lituanien demande que les migrants originaires de pays tiers qui franchissent illégalement la frontière sans papiers , à l’exception des femmes avec enfants, des personnes handicapées et des enfants de moins de 16 ans, soient considérés comme des participants à une attaque hybride jusqu’à preuve du contraire. » Ce projet de loi a déjà été signé le 21 juillet dernier par le Président lituanien et il est difficile d’imaginer un seul instant qu’il puisse être rejeté par des Parlementaires qui, tous, doivent déjà composer avec les inquiétudes de leurs administrés. Les observateurs ont l’impression de revivre aujourd’hui à Vilnius ce qu’ils ont connu, il y a six ans, à Budapest. (Source: reform.by / Adaptation en français : pg5i/vjp)

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