Angela Merkel refait son apparition

Allemagne/Ukraine/Russie – Six mois jour pour jour après avoir quitté ses fonctions de cheffe du gouvernement, Angela Merkel a fait une réapparition attendue et de fait remarquée en s’exprimant dans la grande salle du Berliner Ensemble, un des lieux les plus emblématiques de la capitale allemande. Cette interview qu’elle a accordée en public à Alexander Osang, reporter au Spiegel et un des plus fins connaisseurs de la carrière politique d’Angela Merkel, de ses débuts en tant que vice-présidente de l’Union Démocrate Chrétienne à son ascension à la Chancellerie, a permis au public présent de retrouver la femme dont le retrait de la vie politique a été regretté par une majorité de la population. Face aux multiples questions qui lui ont été posées dans ce monde tourmenté dont certains disent qu’il serait différent, moins brutal si elle était encore au pouvoir, l’ex-Chancelière a su faire preuve de modestie, consciente qu’à elle seule, il lui aurait été impossible de changer le cours de l’Histoire. Qu’a-t-elle fait pendant ses six mois de silence volontaire ?

Dans l’air pur de la Baltique

Elle s’est isolée sur les rives de la mer Baltique où elle a passé son temps à lire, lire et encore lire. « J’ai découvert la magie des livres-audio » avoue-t-elle, ce qui lui a permis d’« avaler » Shakespeare et plus particulièrement Mac Beth. Après trois décennies de vie politique et des milliers de rendez-vous qui se sont enchaînés à un rythme plus ou moins effréné, l’ex-Chancelière craignait l’ennui et la nostalgie du pouvoir, or c’est tout le contraire qui s’est produit et du jour au lendemain elle s’est sentie soulagée. « Singulièrement, je ne me suis jamais ennuyée » reconnaît-elle, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle se soit désintéressée des événements ayant mobilisé l’actualité. Quand bien même aurait-elle consenti à un nouveau mandat, il aurait été alors conditionné par une longue période de repos car la Chancelière, fin 2021, n’était pas seulement fatiguée mais exténuée. Elle était prise fréquemment de tremblements qui ne laissaient présager rien de bon alors qu’ils n’étaient en réalité que les conséquences d’un stress permanent exacerbé par la disparition de sa mère dont elle a mis beaucoup plus de temps à se remettre qu’elle l’aurait imaginé. « Le fait d’être en permanence sous le feu des projecteurs et des caméras n’a pas arrangé les choses » a déclaré Angela Merkel qui se souviendra toujours de premier tremblement de mains qu’elle a eu du mal à maîtriser lors de la visite à Berlin du Président ukrainien. «J’étais épuisée mais tout est revenu en ordre grâce à l’air de la Baltique » se satisfait aujourd’hui celle qui a été assimilée à plusieurs reprises à la personnalité le plus puissante et attachante du monde. Angela Merkel n’a pas caché vouloir désormais « penser à elle » et de n’accepter que les « rendez-vous qui lui apportent du plaisir » . Il n’est pas du tout dans son intention de porter un jugement personnel sur telle ou telle décision prise actuellement pas le gouvernement. Il en va de la politique intérieure et extérieure et c’est dans les rues de Florence où elle flânait incognito qu’elle a appris l’annexion de l’Ukraine et eu connaissance de la sollicitation de président Wolodymyr Selenski la priant de venir constater sur place à Butscha les dégâts causés par l’armée russe. « Je ne peux pas me déplacer de partout où il y a des problèmes sur la planète » déplore une ex-Chancelière qui estime à juste titre avoir déjà porté suffisamment sa contribution à la paix dans le monde. Elle précise qu’elle a toujours été convaincue que « le changement de gouvernement se déroulerait dans de bonnes conditions car elle avait préparé le terrain pour qu’il en soit ainsi.» C’est avec son successeur, Olaf Scholz, qu’elle a eu un très long entretien avec le président américain lors du G20 à Rome en octobre 2021. A la question de savoir, si la crise russo-ukrainienne aurait dégénéré à ce point, si elle était restée à la tête de la République Fédérale, Angela Merkel ne souhaite pas s’aventurer, préférant parler de « spéculations ». En revanche, elle regrette profondément le manque de communication provoqué par la pandémie ; laquelle a empêché Vladimir Poutine de participer au G20, une occasion manquée qui lui aurait peut-être permis, grâce à l’appui du président français d’éviter le pire. Partie sur ce terrain, l’ex-Chancelière n’a eu d’autre choix que de s’expliquer sur les accords de Minsk qui n’étaient certes pas « parfaits » mais qui ont toutefois permis de « faire une pause » et à l’Ukraine de « se développer ». Lors du sommet de l’OTAN, en 2008 à Bucarest, la Chancelière avait fermement plaidé contre l’entrée de l’Ukraine dans l’organisation transatlantique. Elle s’en explique aujourd’hui en rappelant qu’à l’époque l’Ukraine,  n’étant pas un état entièrement démocratique et rongé par la corruption, il ne répondait pas aux critères du Member Action Plan nécessaires à l’intégration. Pendant toute la durée de son intervention, l’ex-Chancelière est restée calme, souriante tout en sachant peser ses mots. Elle a su esquiver les sujets qui fâchent, telle la présence à la tête de le CDU de Friedrich Merz, dont les méthodes sont diamétralement opposées aux siennes. Quand va-t-elle réapparaître en public ? Personne ne le sait car elle-même l’ignore. Elle avoue ses attirances pour l’Italie de la Renaissance mais aussi les Rocky Mountains aux Etats-Unis ou le Bhoutan. Elle a longtemps rêvé d’un long voyage dans le Transsibérien qui ne semble plus d’actualité … vjp

 

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