Angela Merkel dans la tourmente

 

Allemagne/UE – Après quinze ans de présence au sommet de l’Etat, la Chancelière Angela Merkel dispose toujours d’un cote de popularité que la plupart de ses homologues européens pourrait lui envier. Son parti, l’Union Démocrate Chrétienne (CDU) n’est plus ce qu’il était lorsque qu’Helmut Kohl en tenait les rênes mais , avec 28 à 30% d’opinions favorables, il reste toujours la première formation de la République Fédérale bien qu’étant talonné par le parti des Verts, Die Grünen, lequel dans la partie ouest de la RFA est devenu le seconde force politique, lois devant de SPD, crédité de 14 à 16%. Alors que son illustre prédécesseur restera dans l’Histoire, l’homme qui a su réunifier l’Allemagne, la première femme aux commandes de la cinquième puissance mondiale, risque quant à elle d’être assimilée à la réparatrice de pots qu’elle a  elle-même cassés.

Manifestation anti AfD à Erfurt, capitale de la Thuringe

Cohabitation « impardonnable »

Quel drôle de hasard que de voir tomber sur ses épaules autant de problèmes au moment même une tempête historique s’abattait sur le pays, provoquant des dégâts tellement importants qu’ils en sont actuellement inchiffrables ! C’est lors de son voyage en Afrique que la Chancelière a appris que le parti libéral FDP, celui qui a failli ne pas obtenir les 5% nécessaires à sa représentation au Parlement de Thuringe, était parvenu, en s’alliant au parti populiste AfD (Alternative für Deutschland), la bête noire de la Chancelière,  à ravir la gouvernance d’un land qui a beau être  l’un des plus petits sur les plans géographique et démographique, n’en demeure pas moins le plus intéressant pour comprendre le passé et le présent d’une Nation prédestinée pour se remettre sans cesse en question. La Thuringe est la petite goutte qui a fait déborder un vase contenant autant de boue que d’eau claire. « Impardonnable » s’est écriée la Chancelière, lorsqu’elle a eu connaissance de cette alliance qui n’a choqué que du bout des lèvres sa dauphine, Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), une femme dont la carrière a été fabriquée de toutes pièces par Angela Merkel pour lui succéder à la Chancellerie. Les femmes ont beau se battre pour trouver leur place sur l’échiquier politique, cela ne les empêche pas pour autant de commettre les mêmes erreurs que leurs rivaux masculins. AKK était avec Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission Européenne, la seule candidate crédible à la succession d’Angela Merkel. En ne s’opposant pas outre-mesure à une coalition régionale improbable et  perdue d’avance, elle connaît le même sort que  Martin Schulz, l’ancien président du Parlement Européen qui avait quitté son confort strasbourgeois pour, soi-disant, venir sauver le Parti Social Démocrate (SPD). Dès son arrivée à la tête du plus vieux parti allemand, Schulz, inconnu du grand public, s’était auréolé en l’espace de quelques semaines d’une image de fanfaron à mille lieues des réalités de son propre pays et de son propre parti.

Quel avenir politique pour AKK, l’ex-dauphine d’Angela Merkel ?

Ces femmes qui imitent les hommes

Grassement rémunéré par Bruxelles, il ne s’est jamais rendu compte des inégalités pérennisées par la réunification et qui sont à l’origine de la montée de l’AfD. Ces mouvements extrêmes  ne prospèrent pas d’un coup de baguette magique mais naissent des failles et des erreurs des systèmes et du personnel en place. Angela Merkel est une exception européenne en matière de longévité au pouvoir mais elle l’est aussi au niveau de ses choix, louables et courageux mais aussi prématurés et dangereux. Lorsqu’elle a décidé de mettre fin au nucléaire, elle a  naturellement été applaudie et soutenue par tous  les écologistes et tous ceux ne se retrouvant plus dans les formations traditionnelles. Elle a été assimilée à une dissidente qui ne l’avait jamais été lorsqu’elle vivait et étudiait en ex-RDA mais que le devenait dans sa propre famille politique. Les conservateurs de la CDU se sont alors sentis trahis et leur colère a redoublé d’intensité lorsqu’elle a décidé d’accueillir plus d’un million de réfugiés en mettant devant le fait accompli des pays voisins dont elle savait pertinemment qu’ils étaient dans l’incapacité de leur garantir un minimum de dignité. Face à l’opposition des Républiques d’Europe Centrale à l’égard de sa politique des quotas, cautionnée par l’ancien président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker, la Chancelière est allée se blottir dans le giron du président turc ; lequel a profité de l’aubaine pour exercer son chantage à l’encontre de toute l’Union Européenne. La promesse formulée par Erdogan n’a pas été tenue et le nombre de réfugiés censés ne plus traverser les frontières  en direction de l’occident, est reparti à la hausse au cours des derniers mois et personne ne sait qu’elle sera l’issue d’une crise qu’on croyait éradiquée il y a deux ans et qui resurgit aujourd’hui. C’est dans ce contexte,  qui n’a strictement rien en commun avec celui des années 30, qu’ont eu lieu les élections en Thuringe. Les Thuringeois et leur histoire le prouve, n’ont jamais été connus pour se laisser marcher sur les pieds. De la Réforme à la Chute du Mur de Berlin en passant par les guerres napoléoniennes, la création de la République de Thuringe au lendemain de la 1ière guerre mondiale, la République de Weimar, la montée du national-socialisme, la soumission au régime soviétique et enfin la libéralisation de leur économie ils n’ont jamais tout avalé sans broncher. Dès le démarrage de la campagne aux élections régionales d’octobre dernier, chacun savait que la partie allait être dure à gagner pour la simple et unique raison que dans aucun autre land, le paysage politique est autant morcelé qu’il ne l’est en Thuringe.

18 partis, zéro majorité !

Dix-huit partis et 399 candidats étaient en lice pour faire entendre leur voix, ce qui fait beaucoup pour 1,73 million d’électeurs. De ce morcellement de l’opinion, seuls les deux partis extrêmes de gauche, Die Linke, et de droite, l’AfD ont pu tirer profit en recueillant respectivement 31 et 23,4% des suffrages , soit une progression de 2,8 et 12,8%, par rapport au scrutin de 2014. Si les Thuringeois ont suivi la tendance nationale en confirmant la chute des deux paris traditionnels que sont le CDU (moins 11,7% à 21,8%) et le SPD (moins 4,2% à 8,2%), en revanche ils se sont distingués en boudant le mouvement écologiste qui, à l’instar du parti libéral FDP, est parvenu de justesse à intégrer l’assemblée régionale avec 5,7% des suffrages. Le gros problème avec la Thuringe provient du fait que le cumul des sièges revenant aux quatre formations dites « démocratiques », la CDU (21 sièges), le SPD (8 sièges), le FDP et les Verts (chacun cinq sièges)  ne permettait pas d’atteindre la majorité absolue des 46 sièges. La grosse erreur d’AKK a été de cautionner une alliance de son parti avec l’AfD plutôt que de plaider pour une reconduite de la coalition rot-rot-rot (rouge-rouge-rouge), laquelle grâce au 29 sièges de Die Linke aurait autorisé une majorité de 47 sièges. Face au tollé provoqué par ce choix, Annegret Kramp-Karrenbauer n’a eu d’autre possibilité de se démettre de ses fonctions de présidente de la CDU et il est désormais fort à parier qu’elle disparaisse bientôt et définitivement de la scène politique allemande. Ce n’est pas seulement Angela Merkel qu’elle a trahie mais surtout l’ancien ministre-président CDU du Land, Bernhard Vogel, qui a exercé avec brio ses fonctions au moment le plus stratégique, c’est-à-dire entre 1992 et 2003, onze années au cours desquelles il était parvenu à redonner confiance et courage aux habitants d’un land qui aurait pu se métamorphoser en  cité dortoir des riches Bavière et Hesse limitrophes, ce qu’il n’a jamais réellement été mais tend à devenir.  C’est grâce à Bernhard Vogel que Zeiss, implanté à Iéna,  a pu survivre et se restructurer. Ce groupe, le seul à s’être développé à l’international sous l’ère soviétique, est aux Thuringeois ce qu’est Michelin aux Auvergnats ou Baccarat aux Lorrains, un  label indissociable de leur Histoire. Mais si Zeiss a pu être sauvé des griffes de la Treuhandanstalt (TA), l’organisme de privatisation de l’économie est-allemande, il n’en a pas été de même de centaines autres entreprises de toutes tailles, sacrifiées sur l’autel de la mondialisation  au profit de sociétés et conglomérats occidentaux. En Thuringe comme ailleurs en Europe Centrale, le tissu industriel laissait à désirer mais en Thuringe plus qu’ailleurs des entreprises et notamment de nombreuses petites et moyennes entreprises auraient pu reprendre leurs activités si les agents de la TA avaient fait preuve d’un minimum de solidarité à l’égard d’une population traumatisée par près d’un demi-siècle de communisme. Ceux qui comparent la Thuringe d’aujourd’hui à celle des années 30, se trompent allègrement. Les tensions politiques qui créent l’actualité sont dues à un contexte contemporain dans un land où les habitants ne comprennent plus ce que le gouvernement de Berlin leur propose. En revanche, dans l’entre deux-guerres tous les Allemands comprenaient ce que les nationaux-socialistes faisaient lorsqu’ils construisaient des autoroutes, des logements sociaux et des voitures pour le peuple. La déception des Allemands de l’Est consécutives à la Chute du Mur de Berlin ne date pas d’aujourd’hui. Elle s’est exacerbée au fil des années sans que les dirigeants au sommet de la République n’en mesurent les conséquences. La bévue d’AKK en est la preuve flagrante et aura de graves conséquences sur l’avenir de la RFA toute entière. Quant à la CDU, elle est face à un défi inédit car pour la première fois de son histoire, à l’instar du SPD,  elle n’a plus de tête d’affiche encore moins de mentor. Et pourtant, ce sont ces deux partis qui gouvernent. vjp (Nombre de mots : 1.575)  

 

 

 

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