Allemagne – Lorsque les Munichois ont appris qu’une semaine après le déconfinement le propriétaire de l’Hofbräukeller préféraient refermer son établissement plutôt que de l’exploiter, leur sang n’a fait qu’un tour. Depuis près de trois mois, ils attendaient la réouverture de ce lieu emblématique, classé aux monuments historiques et pouvant accueillir quelque 600 personnes à l’intérieur et près de trois fois plus à l’extérieur. On compte sur les doigts d’une main en Europe, les édifices qui ont autant de poids dans l’histoire et la culture des villes où ils ont été construits.

L’authenticité bavaroise

Ne pas aller savourer une bière à la Hofbräukeller lors d’un séjour dans la capitale bavaroise revient à ne pas s’offrir un café sur une terrasse des Champs Elysées lors d’un passage à Paris. Pour les amoureux des traditions, la fermeture avait déjà été un véritable choc et c’est le jour où l’accès à ce lieu emblématique leur a été interdit d’accès que les Munichois ont pris conscience que l’affaire était sérieuse. Le rituel de la bière à la sortie des bureaux est tellement ancré dans leur vie quotidienne qu’on peut s’interroger si l’abstinence forcée n’a pas été la principale punition infligée par le virus. Et si les Munichois ont respecté les règles imposées par le confinement, c’est assurément pour pouvoir retrouver le plus vite possible les chemins conduisant aux brasseries, dont naturellement la plus emblématique, celle où on veut refaire le monde et qu’on doit impérativement faire découvrir au visiteur de passage. Mais cette brasserie prouve à quel point le précipice est profond lorsqu’il sépare les contraintes nées d’une pandémie de ces petits riens du quotidien qui donnent un sens authentique à la vie. En cas de nécessité, on peut annuler un séjour de rêve aux Caraïbes ou une croisière sur la mer Baltique , mais il est quasiment impossible de renoncer à un moment de convivialité près de chez soi. C’est en tenant compte de cette réalité que le gouvernement bavarois avait décidé d’autoriser le plus rapidement possible la réouverture des bars et des restaurants et ce, en partant du principe que leurs surfaces allaient les autoriser à respecter les règles de distanciation. Mais hélas, ce que s’imaginent les politiques est souvent à mille lieues de ce que doivent subir leurs administrés. Les nouvelles réglementations imposées au sommet et en vigueur dès la mi-mai ont très vite montré leurs limites. Au bout de deux semaines, la famille Steinberg, gérante de l’Hofbräukeller a préféré jeter momentanément l’éponge et refermer ses portes. Si les Munichois se sont réjouis de pouvoir retrouver leurs habitudes leur nombre n’a pas suffi pour équilibrer les comptes. Il aurait fallu qu’ils ingurgitent dix fois plus de bière qu’à l’accoutumée pour compenser le chiffre d’affaires généré par les millions de touristes qui fréquentent la ville avant et après avoir visité les châteaux de Louis II ou admirer les montagnes et lacs bavarois.

Deux tiers des bars et restaurants dans le rouge

Selon une enquête réalisée par le syndicat de l’hôtellerie et de la restauration (Dehoga), 80% des bars et restaurants estiment que la réouverture est économiquement non rentable et que leur chiffre d’affaires va baisser cette année d’au moins 55%. L’Etat fédéral a pris des mesures d’urgence, dont la plus visible est une baisse de la TVA qui passera, à partir du mois de juillet de 19 à 7% puis à 5% d’ici la fin de l’année. D’autres aides se sont imposées à la hâte et sans bureaucratie et tous les établissement dont le chiffre d’affaires a chuté d’au moins 50% par rapport à la même période 2019, se verront rembourser la moitié de leurs charges fixes des trois derniers mois. Lorsque les baisses de CA dépassent les 70%, ce qui est le cas d’une majorité d’établissements, le taux de remboursement pourra alors atteindre les 80%. Les dédommagements sur une période de trois mois s‘échelonneront de 9.000 à 150.000 euros en fonction du nombre de salariés. Le président du Dehoga a salué ces prises de décision qui ne doivent toutefois pas occulter la situation souvent dramatique dans laquelle se trouve un nombre croissant d’entreprises. Mondialement réputée pour sa force de frappe dans l’industrie, l’hôtellerie et la restauration sont souvent sous-estimées alors qu’elles génèrent plus de 20 milliards de chiffres d’affaires et presqu’autant (80%) de ressources induites, ce qui leur permet de soutenir la comparaison avec le secteur de la machine-outil (44 milliards). Mais le risque est grand que les fonds de soutien mis opportunément en place ne portent leurs fruits qu’à l’issue d’une longue période de convalescence. Ils sont certes louables mais leur durée d’attribution (trois mois) s’avère trop courte. Sera-t-il possible de la prolonger à au moins sept mois, comme le suggère le président de Dehoga ? C’est peu probable car le nombre d’ établissements qui peuvent en bénéficier(80%) est déjà plus élevé que prévu.

En première ligne sur le plan sanitaire

A l’instar du tourisme duquel il dépend, le secteur de l’hôtellerie et de la restauration est l’un des plus menacés par la crise sanitaire mais aussi peut-être le plus difficile à remettre sur pied car il est dépendant de la reprise ou non de tous les autres secteurs tout en étant la première victime des mesures de confinement. Parmi les plus touchés se trouvent naturellement tous les établissements qui génèrent leur chiffre d’affaires et survivent grâce à des événements (baptêmes, communions, fiançailles, mariages, etc.) désormais non autorisés ou très encadrés sans oublier les anniversaires qui sont de règle dans un pays où tout est prétexte à faire la fête. Le syndicat professionnel estime à 30% le nombre de restaurants dont l’existence est menacée. Les conséquences sur le plan social risquent d’être catastrophiques car le secteur avait l’avantage d’être le seul à pouvoir protéger en leur assurant un emploi les couches les plus défavorisées de la société, en l’occurrence les personnels non qualifiés, souvent des femmes et encore plus fréquemment des immigrés, tous travaillant déjà avant la crise sanitaire dans des conditions précaires et à temps partiel. Enfin, on oublie trop souvent que le secteur de l’hôtellerie et de la restauration est toujours en première ligne et le plus touché lorsque des mesures d’ordre sanitaire sont adoptées. Les bars et restaurants n’ont pas eu besoin du coronavirus pour être confrontés à des lois contraignantes. Des milliers d’établissements ont dû baisser le rideau ou s’endetter pour permettre leur accès aux handicapés. Tous ceux dont la clientèle était constituée majoritairement de personnes addictives au tabac, se sont retrouvés du jour au lendemain en graves difficultés lorsque la loi anti-fumeur est entrée en application et les bars qui, en France, avaient respecté la loi Evin en s’équipant de systèmes de ventilation très coûteux n’ont jamais été dédommagés. Lorsque le climat se réchauffe et qu’il faut mettre fin à la fabrication de véhicules polluants, les constructeurs automobiles profitent indirectement des aides à la casse et des primes à l’achat de voitures électriques et hybrides, lorsque le monde agricole est confronté à une période de sècheresse ou de forte pluviosité des millions d’euros sont débloqués pour lui venir en aide mais il faut attendre une pandémie pour que les pouvoirs publics consentent à sauver un secteur qui est, qu’on le veuille ou non, le seul à garantir une vie en société. Ce n’est pas tant le confinement qui a été difficile à supporter mais aussi et surtout la vision de ces chaises empilées aux abords de terrasses désertées. Une ville sans bar n’est plus vraiment une ville, un village sans bistrot est un lieu où on meurt avant l’heure car on s’y ennuie. En Allemagne mais aussi dans tous les pays d’Europe Centrale les bars et brasseries sont un facteur de cohésion sociale. La Fête de la Bière et la Tour Chinoise avec ses 7.000 places assises (notre photo) à Munich ne sont pas seulement des attractions touristiques, elles sont aussi un moment et un lieu où les personnels dirigeants trinquent avec les salariés et plus on va à l’est de l’Europe, plus on trouve une excuse pour se rassembler. En Ukraine, on fête le pain, en Bulgarie les roses, ailleurs le lait, la jonquille, le muguet ou le cochon mais de partout c’est dans une auberge que s’achèvent les festivités. La culture de l’accueil est aussi importante que la culture tout court .vjp

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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